Il avait prévu de rentrer à Concarneau l’an prochain, la maladie n’en aura pas laissé le temps à Jean Picollec. Il est décédé le 27 avril.
Une des figures des Bretons de Paris vient de nous quitter. Difficile de se rendre à une manifestation organisée par l’une des associations bretonnes de la capitale sans rencontrer Jean Picollec ; c’était un Breton fidèle, fidèle à la Bretagne, fidèle à ses amis, fidèle à ses convictions. Considérablement affaibli après avoir été victime d’un AVC il y a plusieurs années, il continuait pourtant à travailler, éditant plusieurs ouvrages chaque année. Ces derniers temps, on pouvait le classer dans la catégorie « petit éditeur » ; mais ce ne fut pas toujours le cas. Son heure de gloire, il l’a connu en tant que directeur des Editions Alain Moreau, maison qui exista de 1971 à 2001. Jean Picollec arrivait alors de chez Hachette où il s’occupait des études de marché.
Avec Picollec, les livres à succès succédaient aux livres à succès. La maison faisait de grosses ventes avec Dossier F… comme fraude fiscale, B… comme barbouzes, S… comme Sanguinetti, etc. A cette époque-là, la matière ne manquait pas car l’affairisme qui a suivi la période de Gaulle était florissant. Chaque ouvrage bénéficiait d’un incontestable soutien médiatique, en particulier de Libération ; le quotidien gauchiste se voulait en effet offensif, toujours à la recherche d’« affaires ». Avec Picollec, il était servi… Bien sûr, tout cela donnait lieu à plaintes, procès, condamnations… Mais qu’importe, on continuait pour la plus grande satisfaction des avocats…
En 1978, Jean Picollec quitte Alain Moreau et crée sa propre maison d’édition. Ses ouvrages connaissent des succès divers. Son plus grand « coup » fut la sortie de « Au nom d’Oussama Ben Laden », ouvrage de Roland Jacquard qui fut en vente en même temps que les attentats du 11 septembre 2001 (World Trade Center). Succès total puisque traduit dans une vingtaine de pays. Homme très actif, il trouve même le moyen, pendant la période 1987-1992, de diriger simultanément les éditions de La Table Ronde créées par Gwen-Aël Bolloré et propriété alors de Vincent Bolloré.
Aux Editions Jean Picollec, la Bretagne a toute sa place grâce à la « Bibliothèque celtique ». On y trouve de nombreux auteurs : Bertrand Cousin (Bretagne : à l’ouest, du nouveau !), Yvonig Gicquel (Olivier de Clisson, connétable de France ou chef de parti breton ?), Thierry Jigourel (Merlin, Tristan, Is et autres contes brittoniques), Arnaud Le Guern (Stèle pour Edern), Roger Le Taillanter (Le noyé de Porz-Kuriuz), James MC Cearney (Ecosse : les liaisons tumultueuses avec Londres), Jacques Morin (Charpentiers de marine au pays de Saint-Malo), etc. Et, bien entendu, Gwen-Aël Bolloré (Mémoires parallèles). Celles et ceux qui s’intéressent à Vincent Bolloré liront avec intérêt la biographie écrite par Jean Bothorel et publiée chez Picollec en 2008 : Vincent Bolloré, une histoire de famille.
Jean Picollec aurait aimé publier Raymond Marcellin
Éditeur sympa, Jean Picollec n’hésitait pas à donner leur chance à des auteurs inconnus ; ce fut le cas pour Irène Frain, Jean Montaldo, Pierre Péan et d’autres. Mais il connut également de grands échecs ; ce fut le cas lorsqu’il voulut publier les Mémoires de Raymond Marcellin, l’homme qui avait été un « fameux » ministre de l’Intérieur… Un livre qui aurait été passionnant et qui ne pouvait faire qu’une grosse vente. Mais, au cours de ce rendez-vous, Marcellin commence par plaisanter à propos du FLB, avant d’indiquer à Picollec que c’était impossible. Et il lui explique pourquoi. Et Jean Picollec fut obligé d’admettre l’affirmation de Marcellin : impossible d’écrire ses Mémoires, car trop de « faits divers » (!) étaient impubliables.
Ces derniers mois, Jean Picollec racontait volontiers qu’il comptait s’installer l’an prochain à Concarneau dans la maison familiale. Car, « la Bretagne, pour moi, c’est Concarneau », disait-il. « Concarneau est une ville laborieuse entre les marins en mer, la criée dans la glace de minuit à 6-7 heures du matin et les femmes à l’usine (souvent des conserveries de sardines), les réjouissances, peu nombreuses, mais l’avant-dernier dimanche d’août, c’est fête ! Ce sont les Filets Bleus, la plus ancienne « fête folklorique » de Bretagne, c’est un défilé de coiffes (celles de Fouesnant, Pont-Aven sont les plus belles), de costumes, un éblouissement de couleurs (n’est-ce pas Plougastel-Daoulas ?), un carrousel de danses (de la gavotte au jabadao, en passant par l’an-dro), le tout scandé par les binious et les bombardes qui racontent notre vie, nos joies, nos labeurs, nos misères, nos facéties, nos espoirs (oh ! An Alarc’h), et nos malheurs (oh ! Maro Ponkalleg). C’est la Bretagne qui chante, qui célèbre ses racines, l’unicité de sa communauté. C’est la fête de la Bretagne. » (Le Sel de la Bretagne, Les Presses de la Cité, 2021) Ces lignes de Picollec font figure de testament. Un adieu à Concarneau et à la Bretagne. Il voulait être enterré à Concarneau dans le cimetière qui donne sur la mer…
Bernard Morvan
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3 réponses à “Jean Picollec, de Concarneau à Paris”
Jean Piccolec était un homme merveilleux ! Breton jusqu au tréfonds de l âme il rayonnait sa celtitude et avait une grande empathie pour ses amis ! Repose en paix Cher jean auprès des druides et des marins !
Jean fut mon parrain aux diners celtiques à Paris
Bonjour,
Merci pour cet hommage à Jean Picollec. Un esprit libre et un garçon charmant, qui m’avait bien aidé à l’époque où je préparais mon DEA puis ma thèse d’histoire contemporaine consacrés à la carrière d’Alain Moreau ; il était d’ailleurs venu assister à ma soutenance le 28 septembre 2007. Et c’était toujours un plaisir de passer le voir au Salon du livre à la Porte de Versailles. Qu’il repose en paix.
Il était sur le point de publier mon livre (Un Thriller) avec pour titre « Entre le soleil et la mort ». Jean était intéressé par mes deux autres ouvrages (toujours Thrillers) non encore publiés, car pour publier au Québec comme je le faisais auparavant est compliqué pour quelqu’un habitant une autre region du Canada (J’habite en Ontario). A ce sujet, je l’avais rencontré une dizaine de fois à Paris, ce qui n’était pas toujours facile puisque je crèche « de l’autre côté du lac »… On etait au stade final de la publication. Si quelqu’un peut me suggerer un éditeur ?…. Entretemps, que Jean repose en paix. Il le mérite.