Le bruit des roues de la poubelle pleine ras-bord claque sur la voirie fatiguée de ce quartier qui jouxte l’hyper-centre nantais. Un jeune nantais la tire, trois sacs jaune à la main. « J’habite ici, j’en ai marre des tas, j’en ai ras la hotte des discours comme quoi c’est la grève et on ne peut rien faire, qu’il n’y a qu’à laisser les poubelles s’empiler, donc je me lève la nuit et je fais le ménage, à mesure de mes forces ».
Pourquoi la nuit ? « Quand les bars sont fermés, il y a moins de viande soûle dans les rues et donc moins d’abrutis ou de gens qui tournent autour pour faire un mauvais coup ». Sa poubelle derrière lui, il descend le quartier jusqu’à une benne, «celle-ci est ramassée par une entreprise privée quoi qu’il arrive, il y a dechets de marché dedans. Dans tous les cas, ça va au même endroit, à l’incinération ». Arrivé à distance de tir, il lance les sacs, « de façon à ce qu’ils arrivent dans le fond, derrière ; Franchement, avec les grèves des éboueurs à Paris et à Nantes, la France peut faire du lancer de sac poubelle dans les bennes un sport olympique, il y aurait moyen d’avoir des médailles », plaisante-t-il.
Poubelle vide, il remonte, et s’attaque à un autre tas au pied de bennes remplies. « Je mets les sacs dans la poubelle, je tasse, je ramasse les sacs qui empêchent les poubelles de fermer, et je les referme – l’eau, et les rats ne rentrent plus. S’il y a des trucs en vrac par terre, je vide un peu les sacs dans les poubelles et je mets dedans. Visuellement, c’est plus propre, c’est mieux pour les éboueurs quand ils ramassent, ils vont plus vite car il n’y a que des bennes à rouler et faire basculer, et quand c’est propre, les gens évitent de refaire du sale en mettant les ordures n’importe comment », constate-t-il. Puis, « je prends deux ou trois sacs jaunes à la main – généralement, c’est léger, et c’est reparti pour un tour ».
La grève, il la « compren[d], c’est une réforme à la con, une parmi tant d’autres en réalité. Mais le problème, c’est qu’une ville aujourd’hui ne peut vivre sans que les déchets soient évacués, et quand on voit les déchets partout, les rats, les ordures dans les avaloirs de la pluviale, la saleté, sincèrement, il faudrait pouvoir encadrer ce genre de grève – et les blocages des centres d’incinération, car les éboueurs du privé n’ont pas demandé à ne plus pouvoir travailler ». Veolia et d’autres opérateurs ont en effet mis leurs employés au chômage technique après le blocage – par quelques dizaines de personnes tout au plus – des sites d’incinération, les camions ne pouvant plus être vidés.
Il reprend : « Et puis Macron, le fait que les poubelles s’entassent à Nantes jusqu’au premier étage de certains immeubles, voire que des riverains y mettent le feu tellement ils en ont marre, ça n’a pas l’air de l’avoir fait bouger sur la réforme – une grève, ça doit être efficace avant tout, si c’est juste pour embêter les gens, leur pourrir le quotidien, il faudrait peut-être s’abstenir . J’ai été syndiqué par le passé, j’ai retenu que la grève, ça sert à gagner des conflits sociaux, et ça doit être utilisé avec parcimonie ».
Tirant sa poubelle une fois de plus vers les hauteurs du quartier, il constate que « les discours écologiques, ça ne porte guère. Les gens n’ont pas réduit leur consommation pendant la grève, et quand on voit le volume dans les poubelles des déchets plastiques – c’est léger mais ça prend une place folle – visiblement, tout le matraquage écolo, ça rentre par une oreille et ça ressort par l’autre. Les gens n’en ont rien à faire… et dès qu’il y a un grain de sable, une ramasse manquée car c’est un férié, une grève etc. tout s’empile. S’il y a un cataclysme ou des conditions météo qui perturbent durablement le ramassage – une inondation par exemple, ou une pénurie de carburants, ça donne franchement à réfléchir. Et ça tombe bien, avec mes aller-retours, j’ai le temps ».
Une heure – et plus de 500 kilos de sacs brassés plus tard – la benne du privé est presque pleine. Dernière tournée, à plusieurs centaines de mètres de là, dernières poubelles refermées. « Les poubelles des gens, ça en dit long sur ce qu’ils sont. Par ici, il y a de bons bobos, bien repérables à leur marque de café qu’ils font venir exprès d’Italie. Leurs poubelles aussi – sacs pas fermés, n’importe quoi n’importe comment, bourrés ras la gueule, en vrac au pied des poubelles, et l’autre jour, il y avait carrément du verre qui dépassait d’un sac, ils avaient cassé un miroir ou autre chose, même pas fichus de le signaler. Sympa pour les éboueurs ! ». Retour en bas, Blam ! Le sommet de la benne, remplie ras-bord, claque, « c’est refermé, c’est propre, tant pis pour les rats ».
Autre chose qui « énerve, les types bourrés qui font tomber les poubelles. J’en vois parfois la nuit, c’est d’un pénible, faudrait prévoir une benne rien que pour eux, le tri sélectif des abrutis ! Ah, et les fabricants de certains sacs poubelles qui tirent sur la qualité. Tu le prends pour le mettre dans la benne, il t’éclate dans les mains, un vrai bonheur… coucou les fabricants de sacs noirs 30 et 50 litres premier prix… »
Bien placé il est, notre nantais, pour constater que le retour à la normale après la grève, « ce n’est pas pour tout de suite. Dans le quartier, on y est presque, mais c’est sans queue ni tête. Pas vu un seul camion grappin, comme ils disent – mais il y en a très peu. Il y a des tas dans une rue annexe qui n’ont toujours pas été ramassés, en un mois de grève. Il y a clairement pas assez de poubelles aussi – deux, parfois trois poubelles pour un immeuble de 25 appartements comme il y en a par ici, c’est insuffisant, et puisqu’il y avait grève, la moindre des choses, c’était que la mairie leur donne des bennes en plus, à titre provisoire.
Le verre, c’était encore plus dingue, les colonnes étaient relevées ici mais pas en périphérie, du coup les gens venaient tout mettre ici, ils ne vont pas s’arrêter de boire pendant quatre semaines. Tant la grève que le retour à la normale, c’est un fiasco total – comme beaucoup de choses qui touchent au quotidien des nantais.
Il n’y a qu’à voir l’état de certaines rues, les nids de poule qui ne sont jamais bouchés, on peut appeler quinze fois la mairie, ils s’en foutent, à croire qu’on se déplace en char d’assaut ici – je vais finir par en avoir assez et aller chercher deux ou trois pots de bitume à froid de 25 L pour faire la tournée de tous les trous du quartier, avec une truelle et une dame – c’est un outil de maçon qui sert à tasser, l’ancêtre de la plaque vibrante. Après tout, quand on en a assez, faut se bouger et le faire soi-même. Seulement, à ce compte là, à quoi sert de payer des taxes locales ? Pour qu’ils en fassent des confettis ? ».
LM
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Une réponse à “« Presque toutes les nuits, je fais le boulot des éboueurs » : une nuit avec un nantais qui vide les poubelles”
RAS, sinon que depuis le Canada où je reside, je vous garantis que la France en prend un sacré coup derriere la tête ! Dire que j’ai honte, Non ! C’est faux. Je n’ai pas honte, mais sincerement, Mon Pays ne m’a pas habitué à ce genre de demonstrations politiques qui aboutissent aux excès qui surgissent à nos yeux. Oui, la France, Mon Pays, s’enfonce chaque jour un peu plus …