Dans cette chronique hebdomadaire, je vous proposerai des recettes originales et historiques, réconciliant ainsi deux aspects de ma personne, celle d’historien et celle patron de bistrot. Elles seront faciles à réaliser mais surtout liées à l’histoire d’un territoire ou de grands hommes. La gastronomie traditionnelle raconte une terre, des traditions, elle s’inscrit donc dans l’idée d’un combat identitaire, soulignant les diversités qui nous sont chères d’une région à une autre, écologique, travaillant des produits locaux et de saison, et éthique, réduisant au maximum le gaspillage et s’opposant au modèle uniformisé du fast food.
Pour conclure en beauté cette série de 50 recettes sur la cuisine italienne, nous terminerons par une recette inspirée par un génie pour séduire une belle muse et inventée par une talentueuse cuisinière. Le risotto alla Duse.
Risotto alla Duse : l’histoire
Il y a un peu plus de 100 ans, Gabriele d’Annunzio, probablement la figure la plus marquante de la littérature italienne du XXème siècle, écrivait à sa femme Maria « j’ai trouvé sur le lac de Garde une vieille villa, j’y resterais quelques mois ». Au lieu de cela, le « Vate » (le prophète) qui à l’époque avait 60 ans y restera jusqu’à la fin de ses jours transformant la vieille villa en un véritable musée, éclectique, mélangeant classique et moderne, paix et guerre, amour des femmes et héroïsme viril, souvenir des camarades tombés et hymne à la vie, objets d’arts et matériel militaire à l’image du croiseur de la marine italienne planté dans la colline en direction de l’Autriche ou de son avion accroché au plafond de son théâtre, une villa à l’image du génie du poète soldat. A sa mort, la villa sera léguée à l’état Italien, qui déjà finançait les extravagances du poète, sous le nom de « Vittoriale », et demeure à mon sens une des visites les plus intéressantes et originales que l’on puisse faire lorsque l’on traverse l’Italie.
Au Vittoriale ne vivait pas seulement Gabriele mais bien une petite armée prête à satisfaire les désirs du maestro et ce qui nous intéresse aujourd’hui est particulièrement la cuisine règne d’une femme adorée de ce dernier, Albina Lucarelli Becevello. Cette vestale du gout venait de Trévise. Orpheline, elle fut adoptée à huit ans par une famille servant des aristocrates. A l’adolescence, elle est envoyée à Venise pour servir dans diverses maisons dont la « Casina delle Rose » sur le Grand Canal. En 1915, D’Annunzio loue cette maison pour une somme modique, le propriétaire autrichien étant rentrée dans son pays pour cause de guerre. Au service de la maison, le gondolier (qui deviendra ensuite son chauffeur) et une cuisinière de 20 ans sa cadette. En 1921 lorsqu’il s’installe au Vittoriale, il lui propose immédiatement de prendre la direction de la cuisine l’affublant de divers surnom comme « Suor Intingola » (Sœur saucière), Suor Ghiottizia (sœur gourmandise) ou Suor indulgenza Plenaria. Le poète s’amusait à dire que le Vittoriale était un couvent dont il aurait été le père supérieur et ainsi affuble les figures féminines de surnom débutant par « sœur ». Il lui fait construire une cuisine moderne dotée notamment d’un réfrigérateur où elle cuisine pour les 25 employés, son maitre et ses invités. Elle y restera jusqu’à la mort du poète en 1938. Elle retourna à Trévise pour y découvrir que son frère avait dilapidé les gages qu’elle lui avait confié toute ses années, elle décédera deux ans plus tard dans un hospices pour indigent dans le plus grand anonymat.
Les nombreux témoignages et un livre intitulé La Cuoca di d’Annunzio, nous en apprend beaucoup sur les gouts du poète et de ce qu’il faisait servir à ses invités. Ainsi dans la cuisine se trouvait ce qu’il nommait la « harpe cuisinière » qui était en réalité l’outil servant à découper les spaghetti alla chitarra, témoignant de son amour pour la cuisine des Abruzzes, sa terre natale. Il aimait les œufs, il pouvait en consommer jusqu’à 6 par jour. Ces derniers venaient du poulailler du Vittoriale. Autre met de prédilection les côtelettes de veau panées et croquantes accompagnées de pommes de terre tout aussi croustillantes. Il vantait à tous les merveilleux Canelloni de Suor Intingola. Poisson, gibier, mollusques, huitres (rigoureusement d’Arcachon) et fruits de mer étaient aussi bien acceptés sur sa table.
Si Gabriele d’Annunzio était un amateur de bonne cuisine, il avait en revanche quelques manies bien moins communes. L’amour et le travail n’ayant pas d’heure, le poète exigeait d’avoir la cuisine ouverte 24h. sur 24 en cas de fringale. D’autre part, il n’aimait pas manger en public trouvant la chose vulgaire. Ainsi il préférait consommer ses repas seul. Si il avait des invités, il les faisait diner dans la salle à manger où trônait sur la table la carapace d’une tortue morte d’indigestion, invitation à la modération. En effet si lui ne se refusait rien, il était connu pour une certaine pingrerie, le prétexte de la tortue lui servant à justifier les petites portions servies aux invités.
Pour ce qui de la cuisine servie au Vittoriale, elle est à l’image de son maitre de maison. Elle est à la fois très enracinée dans la tradition, en particulier celle des Abruzzes comme nous l’avons déjà dit, mais aussi profondément moderne. Suor Intingola utilisait volontiers, sur demande du « Vate » des parfums de rose ou de violette, des fleurs comestibles comme on peut en retrouver aujourd’hui dans la cuisine moderne. Ce dernier écrivait sur des billets ses demandes spéciales qu’il faisait ensuite parvenir à sa fidèle Albina, souvent en pleine nuit n’hesitant pas à la faire réveiller. Pour un diner prélude à l’amour avec une belle femme, un risotto avec des pétales de Rose ou pour un petit déjeuner reconstituant un délicieux sabayon accompagné d’oranges confites et d’un croquant aux amandes caramélisées. Ces billets ont fait l’objet d’un ouvrage Il piacere a tavola con Gabriele D’Annunzio : le ricette del Santo Priore e di Suor Intingola par Andrea Maia.
Risotto alla Duse : la recette
Voici la recette probablement la plus célèbre de la Suor Intingola grâce à laquelle elle permit à D’Annunzio de séduire la plus célèbre des actrices de son temps, Eleonora Duse, surnommée la « Divine », le fameux risotto alla Duse.
Ingrédients : 300gr de Riz Carnaroli, un verre de champagne, rosé de préférence, 800ml de bouillon végétal (fait maison de préfèrence), 30gr de parmesan, une noix de beurre, deux cuillères à soupe de ricotta, huile d’olive, sel et poivre, 6 langoustines crues, une demi gousse de vanille, 20 grammes de truffes noires.
Décortiquez les langoustines en prenant soin d’ôter le boyau se trouvant sur la partie supérieure de la queue. Les têtes et les pinces pourront vous servir pour faire une délicieuse bisque, ne les jetez pas. Taillez finement les queues puis dans un bol mélangez avec un filet d’huile d’olive, la vanille, du sel et du poivre. Réservez au réfrigérateur.
Passons au risotto… dans une poêle, mettre un filet d’huile d’olive à chauffer puis mettez y le riz. Faites le torréfier (il change légèrement de couleur, il devient plus blanc) puis déglacez avec une louche de bouillon. Laissez évaporer quelques instants puis versez un demi verre de champagne. Une fois absorbé continuez la cuisson du risotto en ajoutant peu à peu le reste du bouillon. La cuisson prend généralement entre 16 et 18 minutes. Une minute avant la fin de la cuisson, versez l’autre moitié du champagne, laissez absorber environ une minute puis coupez le feu. Mettez le beurre et le parmesan et mélangez bien votre risotto. Ajoutez ensuite la Ricotta et mélangez de nouveau. Servez votre risotto dans des assiettes plates et placez-y des quenelles de votre tartare de langoustine. Grattez ou tranchez en fines lamelles votre truffe et servez accompagné de champagne.
Nous nous retrouverons bientôt pour une nouvelle série de recette mais cette fois sans nous limiter à celle de la botte. Arrivederci !
Pierre d’Her
Illustration : DR
[cc] Breizh-info.com, 2023, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine
Une réponse à “Gastronomie italienne. Le risotto alla Duse.”
Très bonne initiative ! Les recettes je suis toujours preneur, d’autant plus sortant de l’ordinaire. Et je suis certain que je ne serais pas le seul à les apprecier !