Cinéma. Sur les chemins noirs

« Il faut écouter les invitations des cartes, croire aux promesses qu’elles énoncent »… Nanti de cette certitude, Pierre, alias Sylvain Tesson, débute un périple de 1300 kilomètres en forme de réparation mentale après une chute qui, « à quelques millimètres près », aurait pu le rendre paraplégique. Célèbre écrivain voyageur, Tesson est le Nicolas Bouvier du XXIe siècle, adepte des expériences extrêmes (un an dans une cabane au fin fond de la Sibérie) et de la liberté inconditionnelle. Sur son lit d’hôpital, le miraculé se fait une promesse : s’il s’en sort, il traversera la France à pied, lui l’habitué des grands espaces de l’Asie centrale… L’itinérance n’est pas choisie au hasard : il opte pour la « diagonale du vide », cette France qui, du Mercantour au Cotentin, en passant par le Cantal et l’Indre, voit ses campagnes se dépeupler et les centre-ville dépérir graduellement.

 Sur les chemins noirs est l’histoire d’une lente résurrection, la réappropriation d’un corps fragile et soutenu à grand peine par des bâtons de marche. L’adaptation du récit est conforme à l’idée que l’on se fait du personnage Tesson : bloc de granit taiseux, téméraire – et surtout sans préjugé –, et Jean Dujardin s’avère un excellent choix de casting. Le film ne propose pas d’analyse sociologique ou économique de la désertification rurale et, comme dans tous les textes de Tesson, situe les êtres de rencontres dans leur cadre naturel, comme la jeune marchande de fromages, le père abbé ou le paysan lozérien, fraîchement retraité. Les gens parlent, existent, font corps avec la terre ou la pierre et ne demandent pas autre chose. Les paysages sont magnifiés par la lumière de l’aube ou du couchant, celle que l’on ne peut contempler qu’en dormant à la belle étoile, auprès d’un feu, sans autre perturbation sonore que les canonnades visant à effrayer les loups. Les massifs des Cévennes ou du Cantal sont baignés de lumières mordorées ou rougeoyantes, et le réalisateur échappe le plus souvent à la picturalité publicitaire (« Herta : retrouvons le goût des choses simples ») pour rendre compte d’une reconstruction qui passe par le silence, la contemplation sans objet, et peut-être le carrousel de quelques plaies jamais cicatrisées – la mère de Sylvain Tesson était décédée peu de temps avant l’accident, et ce n’est qu’à l’occasion de ses journées de solitude, avant la rencontre d’une tante ou de la sœur que la mémoire à vif peut s’exprimer.

Sans que jamais la métaphore ne soit trop soulignée, on ne peut s’empêcher de voir dans ce corps couturé de balafres, épileptique et cardiaque l’image d’un pays en grand désarroi, qui peine à trouver son assiette et paie pour ses excès passés. À l’ivresse ou au triomphe littéraire ont succédé l’ascèse et les vertus cardinales de l’amitié, de l’échange, du partage – un opuscule de Thoreau offert en viatique à un jeune sans repères vaut toutes les conversations du monde. Sur les chemins noirs ne propose pas de programme mais une échappatoire. Et c’est beaucoup.

Sévérac

Sur les chemins noirs,  un film de Denis Imbert, avec Jean Dujardin, Joséphine Japy, Izïa Higelin, Annie Duperey.

Illustration : DR
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6 réponses à “Cinéma. Sur les chemins noirs”

  1. Corlou dit :

    J’ai vu ce film avec beaucoup de plaisir , je suis en phase avec l’analyse qui en est faite . Tesson est à Lire .

  2. Landier Dominique dit :

    Bel hommage au film, à l’acteur principal et à l’écrivain. J’adhère totalement

  3. Françoise Tahiti dit :

    Pas vu le film, mai le commentaire correspond bien ai livre

  4. Catherine Rey dit :

    Je l’ai vu, un film magnifique qui fait réfléchir sur l’essentiel de la vie

  5. Meudal dit :

    Croire en la résurrection et la réappropriation de son corps et son âme avec cet exercice de marche, sans rien de patho, tout en bénéficiant de la beauté naturelle de notre France, et toute la spiritualité que l’on veut y voir, pour moi c’est l’essence même de ce film que j’ai beaucoup apprécié.
    A cet effet, je relis le bouquin pour me replonger dedans avec les sublimes images vues sur grand écran. Je suis une inconditionnelle de la marche, pour le recul que ça procure et les bienfaits sur la forme et la santé mentale et spirituelle.
    Ne pas chercher midi à quatorze heures 😉

  6. Ronan dit :

    Hors des sentiers battus c’est le cas de le dire, des films français d’aujourd’hui , qui baignent dans l’artificiel, le superficiel ou carrément le faux de la pensée dominante derrière des émotions démagogiques, cette oeuvre nous fait respirer de l’air frais, nous fait retrouver une vraie humanité.
    Avec pudeur, sensibilité et naturel, il nous entraine derrière un homme que l’effort et la nature vont reconstituer.Il nous touche par la simplicité et la sincérité des rencontres que son parcours va provoquer.
    Sans oublier la merceilleuse musique qui va nous accompagner endant cette heure et demi autant apaisante que pénétrante.Merci à votre chroniqueur pour cette critique si juste.

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