Kristalina Georgieva, directrice générale du Fonds monétaire international s’est récemment exprimée[1] sur l’état de l’économie mondiale et les solutions à lui apporter pour en améliorer la performance. Elle s’inquiète à juste titre de l’inflation, de l’endettement et de l’inégalité qui fragilisent les économies nationales. Malheureusement, les solutions qu’elle préconise sont mutuellement exclusives et sont donc inapplicables. La raison en tient à l’abstraction qu’elle fait des causes qui expliquent l’état de l’économie aujourd’hui. Nous nous y arrêtons un instant avant d’examiner ses propositions, et conclure que l’économie mondiale est proche d’une crise majeure.
L’état de l’économie est la conséquence des remèdes apportés à la crise financière, dite des subprimes, de 2008. En un mot, au lieu de pénaliser les banques pour leur manquement à leur devoir fiduciaire, les gouvernements – Washington en tête – les ont soutenus au travers de déficits abyssaux (9,9% et 9,4% du produit intérieur brut américain en 2009 et 2010) et la fourniture d’abondantes liquidités qui en relevant la valeur des titres en bourse – les ont sauvées de la faillite. Les montants fournis par la Réserve fédérale dépassent l’entendement : 16.100 milliards de dollars de 2008 à 2010, selon le Governement Accountability Office[2], équivalent de notre Cour des comptes. Ce chiffre correspond au produit intérieur brut de 2012 – c’est-à-dire à la richesse produite aux Etats-Unis cette année-là. Il en a résulté un endettement exceptionnel des états – la dette publique américaine excède son niveau de 1945 – mais aussi une inégalité croissante des revenus et des patrimoines – les « sans-grade » payant les malversations de leurs banquiers. Pas étonnant que Kristalina Georgieva – et quelques autres – s’inquiètent de ce que l’avenir nous réserve. Que préconise-t-elle ? Elle émet trois priorités : éliminer l’inflation et l’instabilité financière, améliorer les perspectives de croissance, et promouvoir la solidarité.
Pour atteindre le premier objectif (éliminer l’inflation), les banques centrales doivent réduire les liquidités dans l’économie ce qu’elles ont commencé à faire – les Etats-Unis en tête. Depuis le 17 mars 2022, la Réserve fédérale relève son taux directeur, le portant de 0,25% à 5,00% aujourd’hui. La Banque d’Angleterre et la Banque centrale européenne suivent la même politique. Le Japon fait exception en maintenant son taux à son niveau de 2009 (0,30%). En revanche, restaurer la stabilité financière pose problème. Récemment, trois banques[3] aux Etats-Unis ont fait faillite. Ces banqueroutes tiennent tout à la fois de l’incompétence des dirigeants et de la politique de la Réserve fédérale qui, en relevant ses taux, a diminué la valeur de leurs actifs en portefeuille. Elles ont été rapidement liquidées ou rachetées. Le problème serait résolu si cette même incompétence et cette même politique ne frappait pas l’ensemble du secteur, et plus particulièrement les banques dites « systémiques »,[4] c’est-à-dire celles capables de faire basculer tout le secteur bancaire dans l’insolvabilité. Le montant des pertes comptables – c’est-à-dire des pertes non-réalisées mais néanmoins réelles – est de 690 milliards de dollars, selon Martin Gruenberg[5], directeur du Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC)[6] ce qui pourrait provoquer l’effondrement du secteur bancaire. Si une telle éventualité se présentait, la Réserve fédérale devrait injecter des liquidités dans l’économie – c’est ce qu’elle fit initialement pour soutenir les trois banques défaillantes. Ainsi donc, le premier objectif de la directrice générale du Fonds monétaire international pour consolider l’économie mondiale fait-il face à une contradiction : réduction des liquidités, d’un côté, et augmentation de l’autre.
Pour atteindre le second objectif, améliorer les perspectives de croissance à moyen terme, Kristalina Georgieva recommande de « stimuler la productivité et le potentiel de croissance en réalisant des réformes structurelles ». L’expression « réformes structurelles » est un euphémisme qui désigne les réformes à entreprendre pour limiter, voire éliminer, certaines formes de protection sociale. Ce commentaire confirme le précédent qu’elle inclut dans son premier objectif, à savoir la réduction des déficits budgétaires – autre euphémisme visant la protection sociale, jugée trop coûteuse. Les réformes structurelles réduiront la consommation des ménages. Or, les deux-tiers du produit intérieur brut des nations avancées reposent sur cette consommation. Est-il possible d’accroître la croissance tout en réduisant la capacité des personnes à consommer ? Bien sûr que non. Stimuler la productivité, comme le recommande Kristalina Georgieva, augmentera le potentiel de croissance mais cela prendra du temps, sans compter que le résultat est incertain au vu des paramètres que cette solution implique. En résumé, la solution proposée pour atteindre le deuxième objectif est inopérante.
Le troisième objectif, la promotion des solidarités, fait partie du credo occidental auquel plus personne ne croit depuis longtemps, les nations émergentes en premier auxquelles il est destiné. Inutile de s’y arrêter.
En résumé, il s’agit là d’un exercice de pure forme, convenu, sans grand intérêt d’autant qu’il occulte l’un des risques majeurs qui menace l’économie mondiale : les produits dérivés.[7] Ils sont inscrits au passif des banques, hors bilan, et échappent de ce fait aux règles prudentielles émises par les autorités nationales et internationales.
Le Crédit suisse – 45ème banque mondiale – très actif en tant que contrepartie sur ce marché, virtuellement en faillite depuis plusieurs mois, a été racheté par son concurrent, l’Union des banques suisses (UBS), le 19 mars. Etonnant que Kristalina Georgieva n’y ait pas fait allusion car le marché des produits dérivés– cause probable mais non exprimée officiellement – de la faillite du Crédit suisse est un marché énorme. Selon la Banque pour les règlements internationaux, il s’élève à 632.238 milliards de dollars, soit six fois le produit intérieur brut mondial. Or ce marché qui couvre de nombreux segments de l’économie (taux de change, taux d’intérêt, produits pétroliers, céréales, etc.) est extrêmement spéculatif. Les banques les plus actives sont cinq banques américaines, JPMorgan Chase, Goldman Sachs, Citigroup, Bank of America et Morgan Stanley qui à elles seules comptabilisent près d’un tiers du risque total (189.893 milliards de dollars).[8] Pour limiter leurs risques, elles s’en déchargent pour partie auprès d’autres banques. En tant que contrepartie, le Crédit suisse est donc tout aussi exposé au risque de faillite que le sont ces banques. Le 19 septembre 2019, le marché au jour le jour de New York, ou marché des « repos »,[9] connut une crise de liquidité inattendue qui obligea la Réserve fédérale à intervenir. Aucune explication ne fut donnée mais la rumeur laissa entendre que les acteurs de ce marché ne souhaitaient plus prêter au Crédit suisse. L’intervention de la Réserve fédérale sauva temporairement la banque et la crise fut évitée.
Les produits dérivés sont l’une des causes principales de la fragilité des banques systémiques, comme l’a démontré la crise des subprimes de 2008. Par nature spéculatifs, ils sont sensibles aux variations de taux d’intérêt et aux événements politiques. Le relèvement des taux d’intérêt, la guerre en Ukraine et les tensions en mer de Chine sont autant de facteurs susceptibles de provoquer des variations importantes dans la valeur des actifs auxquels ils sont adossés. Compte tenu de cette instabilité, une crise financière majeure ne peut être exclue. Le danger, dans cet environnement fragile, est qu’une banque systémique entraîne dans sa chute l’ensemble du secteur par un effet de dominos sans possibilité pour les banques centrales d’endiguer ce flot tant le volume des produits dérivés est important. Voilà l’état de l’économie mondiale – un état qui requiert l’attention des autorités.
Jean-Luc Baslé
Jean-Luc Baslé est ancien directeur de Citigroup (New York), et l’auteur de « L’euro survivra-t-il ? » (2016) et de « The international monetary system : challenges and perspectives » (1983).
[1] Sur la voie de la croissance : trois actions prioritaires, 6 avril 2023.
[2] Opportunities exist to strengthen policies and processes for managing emergency assistance. July 2011.
[3] Silicon Valley Bank, Signature Bank, First Republic.
[4] Les banques « systémiques » sont dites « trop grosses pour faire faillite », la défaillance de l’une d’elles entraînant l’effondrement du système bancaire. Cette désignation est une garantie informelle, mais réelle, du gouvernement fédéral qu’elles ne peuvent faire faillite.
[5] “Recent Bank Failures and the Federal Regulatory Response”, March 28, 2023.
[6] Agence fédérale dont la responsabilité est de garantir les dépôts bancaires faits à concurrence de 250 000 dollars.
[7] Les produits dérivés sont des produits financiers dont la valeur dépend du prix d’un actif sous-jacent. Les banques les utilisent pour spéculer sur les cours d’actifs financiers ou réels sans avoir à le détenir.
[8] Source: Office of the Comptroller of the Currency, fourth quarter 2022.
[9] « Repos » pour Repurchase agreements.
Illustration : DR
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Une réponse à “L’économie mondiale dans l’expectative”
Très bonne analyse générale financière de la sphère de l’occident cigale depuis Louis XIV, ou du banquier Law qui ruina l’Europe et Venise au 17ème siècle par des papiers valeurs. Au même titre que les assignats de Napoléon pour financer ses campagnes de guerres. De même aux USA depuis l’indépendance et sa guerre de sécession et en abandonnant l’étalon OR références et garanties du dollars. Le monde occidental ne change pas sa mégalomanie. les pouvoirs ont endetté l’occident pour leurs promesses électorales ainsi que tous les milliardaires qui en ont profité. Bref après 1929, les guerres nous voilà en 2008 ou les USA étaient endettés de 10’200 milliards. Ils le sont en 2023 proche des 50’000 milliards. Les hors bilans bancaires qui comprennent tous les combines financières des produits dérivés des garanties avals cautionnement par le truchement de financement sont de l’ordre de 300’000 milliards autant que les dettes irremboursables de l’occident cela va ensemble malheureusement. La spéculation de tout en virtuel représente environ 1,5 million de milliards alors que seul le quart est réel. L’orient fourmi, Chine Inde Russie les BRICS ne veulent plus souscrire aux dettes de l’occident cigale. Ils refusent désormais le dollars en cotation des matières premières. Ils prônent un pool de 5 monnaies mondiales. D’où la guerre en Ukraine contre la Russie pr les USA. Ce qui serait la faillite du dollars, sa dévaluation et donc une perte globale mondiale que j’estime en gros à 750’000 milliards de dollars, de valorisation d’actifs avec les bourses en cotation, les fonds de placement, les pétro dollars, les multinationales, les assurances les banques, tout ce qui est exprimé ou adossé au système dollars. En cela les USA refusent et font des guerres pour mettre l’effondrement de côté ou en standby et ne pas accepter la dévaluation du dollars. Celle-ci était prévue en 2008 mais refusée jusqu’à quand ? Bref le monde financier et l’économie ne peuvent plus vivre avec de la monnaie fiduciaire ou virtuelle qui ne représente plus rien. Et ce n’est pas une guerre Asie Pacifique contre une Chine fourmi qui va résoudre le problème, au contraire ce sera la catastrophe pour tout l’occident. Les USA seront obligé de négocier le dollars inclus dans le pool des monnaies du commerce mondial. Je cite cela en connaissance de causes.