Dans l’est de la Birmanie, a lieu le conflit armé considéré comme la plus longue guerre civile en cours dans le monde. Depuis plus de sept décennies, des soldats karens combattent pour l’autonomie et la survie de leur peuple, affrontant sans relâche la terrible répression du pouvoir central. Sans relâche car s’arrêter voudrait dire disparaître.
Nous avons interrogé l’Italien Franco Nerozzi qui connait bien la guerre et le front, puisqu’il y a dédié sa vie. Il l’a documentée pendant une décennie, pour ensuite s’y consacrer physiquement, en tant que soldat libre et à travers son association qui fournit assistance aux populations en lutte pour leur existence. Il est l’auteur d’un livre Nascosti tra le foglie, où il raconte, entre roman et souvenir, un monde fait de conflits, d’aventures, d’amour et d’engagement. (1)
Breizh-info.com : Franco Nerozzi, pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Je suis né dans l’une des plus belles villes du monde, Vérone, j’ai 61 ans. Diplômé en Sciences Politiques, j’ai été journaliste indépendant pendant plusieurs années, puis j’ai travaillé pour la Télévision Publique Italienne (RAI) et enfin j’ai été soldat libre. J’ai naturellement déchiré ma carte de journaliste. Depuis environ 20 ans, j’exerce des activités de volontariat dans le domaine de la coopération internationale avec mon organisation à but non lucratif, la Comunità Solidarista Popoli.
Breizh-info.com : Les Karens sont une population asiatique d’environ 7 millions de personnes qui, depuis 1949, cherchent à obtenir l’autonomie de la Birmanie. Comment en êtes-vous arrivé à vous intéresser au sort de ce peuple aussi lointain que différent de nous, et embrasser sa lutte ?
Je me suis approché d’eux grâce à Bob Denard, le célèbre mercenaire français avec qui j’ai entretenu une étroite relation d’amitié. C’était en 1994. Certains de ses hommes se rendaient dans la jungle birmane pour la commémoration d’un de leur camarade tombé sur le champ de bataille en combattant (de façon tout à fait gratuite) pour les Karens. Il m’a demandé si je voulais aller voir ce front de guerre. J’ai dit immédiatement oui. Quand, quelques jours après la célébration, les hommes de Bob rentrèrent en Europe, je restai sur place et et je demandai aux dirigeants militaires de la résistance d’aller en première ligne. Ainsi, pendant quelques semaines, je partageai la vie au front avec les guerrilleros, ayant été profondément impressionné par certaines de leurs caractéristiques. En particulier, par leur gentillesse associée à une volonté obstinée de se battre pour l’autonomie de leur nation, qu’ils appellent Kawthoolei (la Terre sans péché). Le tout avec une sorte d’ingénuité politique qui les rendait à mes yeux, encore plus vulnérables face aux ruses non seulement des Birmans mais aussi des compagnies multinationales qui avaient des intérêts économiques dans la région. L’attachement à leurs antiques traditions, à une spiritualité d’origine animiste, me toucha aussi beaucoup. Enfin, l’intransigeance dans la lutte contre l’un des pires fléaux de l’humanité : la drogue.
Breizh-info.com : Plus de 70 ans de lutte armée, mais les Karens semblent plus que jamais les grands oubliés de la communauté internationale et des médias occidentaux. Pourquoi cette omission ?
Ayant été journaliste, je peux certifier que la logique des médias suit des chemins très différents. Il n’y a pas toujours un complot du silence à l’égard de certains événements. L’implication d’entreprises occidentales dans l’exploitation économique des régions habitées par des « petits peuples » a certainement encouragé la superficialité et le désintérêt de nombreux journaux à l’égard de la Birmanie. De plus, dans un monde toujours plus orienté vers la globalisation (je dirais plutôt mondialisme), les luttes identitaires dérangent. Elles sont presque considérées comme des batailles rétrogrades, obscurantistes. Ce n’est pas un hasard si on à nouveau parlé de la Birmanie après que Soros ait décidé de soutenir la dissidence démocratique. Or, cette dernière a hélas peu à voir avec les instances des minorités ethniques et traditionnelles. Si l’ennemi commun est le gouvernement birman, la dissidence soutenue par Soros suit déjà un agenda mondialiste précis et même inquiétant : ils n’ont pas encore gagné la guerre qu’ils parlent déjà de théorie du genre, d’inclusion, de non-discrimination sexuelle, etc. J’ai vu de mes propres yeux ces messages sur des tracts distribués parmi les Birmans qui ont cherché refuge dans la jungle Karen. La Birmanie est en train de devenir une histoire populaire, mais elle est dépeinte comme une nouvelle croisade contre le fascisme et le Moyen Age. Ce qui est un paradoxe, puisque les seuls Européens à avoir sacrifié leur vie pour les Karens étaient précisément des jeunes provenant de milieux culturels très proches de l’idée de fascisme.
Breizh-info.com : Comment se manifeste l’aide des Occidentaux sur place ?
Les organismes officiels travaillent dans les camps de réfugiés en territoire thaïlandais. Mais toutes les aides qui arrivent dans le pays des Karen bouleversé par la guerre sont d’origine privée, en ce sens qu’il n’existe pas de gouvernements qui fournissent une assistance systématique à la résistance de ce peuple. Nous nous trouvons donc face à un front de solidarité qui implique un nombre assez réduit de sujets : associations humanitaires, communautés de la diaspora karen hébergées aux États-Unis ou dans des nations européennes, particuliers. Du point de vue militaire, il y a certains anciens militaires qui, sur une base totalement volontaire et gratuite, passent de longues périodes dans la jungle en formant les troupes de la résistance et en participant aux opérations. Il y a encore des Français, héritiers spirituels de ces volontaires qui dans les années 80 partaient pour la grande aventure en Asie du Sud-Est (racontée dans des chansons du groupe « La Souris Déglinguée »), Italiens, Suisses, Américains, Australiens, Allemands, Anglais. Tous des personnages assez singuliers, animés par un véritable esprit révolutionnaire et un amour pour les Karens qui risquaient leur vie pour prêter main forte à leurs amis. Parce que la guerre des Karens est juste, ayant pour but de maintenir la spécificité culturelle, la paix et la prospérité d’un territoire habité par cette population depuis plus de 2700 ans.
Breizh-info.com : Les images des femmes karens et de leurs enfants contraints de quitter leurs villages que vous avez publiées ont ému. Que se passe-t-il ?
En ce moment, l’activité de guerre a augmenté, grâce notamment à un plus grand dynamisme des forces de la résistance, qui sont passées à l’offensive depuis quelques mois. L’armée d’occupation birmane, en difficulté sur le terrain, recoure donc à l’utilisation massive de la force aérienne, ce qui entraîne une augmentation conséquente des victimes parmi la population civile. Les villages sont touchés non pas par erreur, mais en représailles aux attaques de la guérilla contre les bastions birmans. Je rappelle que la guérilla karen est une véritable force armée qui se bat dans des formations régulières, portant des uniformes et ne recoure en aucun cas à des actes terroristes. Au contraire, les Birmans visent la population pour créer la terreur et forcer les civils à refluer en Thaïlande, cherchant à créer des tensions entre le mouvement autonomiste Karen et les autorités de Bangkok.
Breizh-info.com : Comment voyez-vous leur avenir?
Je suis convaincu que, tôt ou tard, les Karens obtiendront l’autonomie tant rêvée et souffert, malgré toutes les dynamiques mondialistes qui vont à l’encontre d’une telle solution. Il y a malheureusement aussi un problème de corruption dans la direction politique actuelle, qui a pactisé avec le gouvernement d’occupation et agit souvent contre ses commandants militaires, « coupables » de ne pas vouloir renoncer à la lutte. Une situation compliquée qui pourrait être résolue par un coup de main de certains officiers charismatiques qui auraient l’audace de chasser les anciens politiciens et de prendre la tête de la révolution Karen. Depuis trop longtemps, ce peuple subit la répression, la torture, le viol et la violence. Je crois qu’il est temps de présenter la facture : certains chefs guerriers le font quotidiennement. Avec courage, abnégation et amour pour leur nation.
Propos recueillis pas Audrey D’Aguanno
(1) Franco Nerozzi, Nascosti tra le foglie, Altaforte edizioni, Roma, 2019
Crédit photo Alberto Palladino
Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2023, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine
3 réponses à “« Dans un monde toujours plus orienté vers la globalisation, les luttes identitaires, comme celle des Karens, dérangent ». Interview du mercenaire italien Franco Nerozzi”
dans ce monde particulierement oppressif et cruel voir des peuples si courageux cela donne une bonne leçon à « l’occident » incapable de defendre son identité sommes nous conscients de cela,j’en doute…..!
L’identité de chaque peuple doit être respectée, comme la diversité des paysages de notre planète qui assure sa beauté et sa suvie.
Toute idéologie totalitaire est aussi conquérante que néfaste.
Sous le terme « transréalisme » j’ai souligné, en 1994, que l’idéal humain consiste à développer le respect et de la Nature, et de l’identité des peuples qui la composent …
bravo a ce peuple et a ses rares defenseurs. »occident » décadent hélas mille fois