Il s’agit de l’un des aspects les plus controversés de l’accord du Vendredi saint en Irlande du Nord, qui fête ses 25 ans aujourd’hui. La libération anticipée des prisonniers paramilitaires a été critiquée par de nombreuses familles de victimes, mais était considérée comme essentielle pour assurer la participation des loyalistes et des républicains aux derniers jours du processus de paix.
Good Friday Agreement : 483 prisonniers libérés entre 1998 et 2000
Au total, 483 prisonniers ont été libérés – 250 étaient des républicains, de l’IRA et de l’INLA, et 194 des loyalistes de l’UDA, de l’UVF et du Red Hand Commando. Trente-neuf autres prisonniers non affiliés ont bénéficié d’une libération accélérée de la part des commissaires chargés de l’examen des peines (SRC). Gerry Adams a expliqué dans An Phoblacht, le journal du Sinn Fein, qu’à l’époque, les Républicains voulaient que les prisonniers soient libérés dans un délai d’un an tandis que les Britanniques voulaient trois ans. La poire a été coupée en deux.
Parmi les meurtriers les plus célèbres libérés figurait Patrick Magee, responsable de l’attentat à la bombe de 1984 contre l’hôtel Brighton, qui a fait cinq morts. Ou encore Sean Kelly, condamné pour son rôle dans l’attentat de Shankill en 1993, qui a tué neuf protestants ; Thomas Begley, membre de l’IRA ; James McArdle, auteur de l’attentat de Docklands, et les personnes condamnées pour le meurtre de Lance Stephen Restorick, le dernier soldat britannique tué dans le Nord. Du côté loyaliste, a été libéré par exemple Torrens Knight, condamné pour un total de 12 meurtres, dont ceux commis au bar Rising Sun à Greysteel en octobre 1993, Même Tony Blair, le Premier ministre britannique et l’un des principaux architectes de ces accords de paix, a admis que ces libérations étaient « très difficiles à digérer ».
Seuls 11 prisonniers ont vu leur demande rejetée en vertu de la loi de 1998 sur les peines en Irlande du Nord (Northern Ireland Sentences Act 1998). Sur ces 483 prisonniers, 23 ont toutefois vu leur libération suspendue par le secrétaire d’État. Le premier était le chef de l’UDA, Johnny Adair, dont le permis a été révoqué quelques années plus tard après que la « Compagnie C » a été impliquée dans des règlements de compte avec d’autres loyalistes. Sa fin de détention a été annulée à deux reprises.
Ceux dont les organisations n’avaient pas annoncé de cessez-le-feu n’étaient pas éligibles à ce programme de libération anticipée.
Sur les 23 prisonniers rappelés à retourner en prison, sept avaient une affiliation républicaine et 16 avaient des liens avec les paramilitaires loyalistes. Un seul prisonnier reste derrière les barreaux après s’être vu refuser l’accès au programme de libération anticipée. Clifford McKeow, un loyaliste qui purge une peine minimale de 24 ans derrière les barreaux pour le meurtre de Michael McGoldrick près de Lurgan, dans le comté d’Armagh, en juillet 1996. En octobre 2022, un juge a statué que le comité avait le droit de rejeter la demande du membre de la Loyalist Volunteer Force sur la base d’une évaluation de la menace qu’il représentait encore aujourd’hui.
Il reste le seul prisonnier d’Irlande du Nord condamné pour une infraction prévue par la loi et qui peut présenter une demande en vertu de la législation de 1998. Mais revenons à ce qu’il s’est passé en conséquence des accords du Vendredi Saint.
Dans un premier temps, les détenus, y compris pour meurtres, ont bénéficié d’une réduction d’un tiers de la date prévue de leur libération. En Irlande du Nord, les détenus bénéficiaient déjà d’une remise de peine de 50 %. Pour les condamnés à perpétuité, un délai a été établi et la date de libération anticipée a été calculée à partir de celui-ci.
Les premières libérations anticipées ont eu lieu en octobre 1998, et l’un des premiers à sortir a été Pat Sheehan, prisonnier de l’IRA et ancien gréviste de la faim. Condamné à 24 ans de prison pour des faits d’attentats à la bombe, il a été par la suite élu député du Sinn Fein pour Belfast Ouest en 2010, après avoir occupé diverses fonctions au sein du parti.
Les prisonniers étaient évalués par des psychiatres afin de déterminer s’ils représentaient un danger pour le public. En de rares occasions, l’Office de l’Irlande du Nord (NIO) présentait des informations qui n’étaient pas du domaine public – des renseignements de la plus haute importance qui ont fait, par exemple, que des gens comme Johnny « Mad Dog » Adair reste derrière les barreaux.
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La seule condition pour laquelle ils n’étaient pas libérés était le fait qu’ils soient considérés encore comme représentant un danger pour le public. Néanmoins, suite aux accords de 1998, les prisonniers ont commencé, avec leurs avocats, à mener des batailles judiciaires longues et à obtenir des révisions judiciaires importantes. Au bout de deux ans, tous ceux qui étaient encore en prison à ce moment-là ont été libérés. En juillet 2000, il n y avait plus de prisonniers liés aux Troubles en Irlande du Nord dans les prisons.
Lors de la principale journée de libération des prisonniers en 2000, dans une ambiance tendue car tout fût fait pour que les différents clans ne se croisent pas, Gerry Kelly, membre Sinn Fein de l’Assemblée d’Irlande du Nord qui, en tant que membre de l’IRA, a été emprisonné pour l’attentat à la bombe de l’Old Bailey et qui s’est évadé du Maze en 1983, déclarait à l’époque : « Tous les prisonniers présents ici sont des victimes : J’étais en prison et je ne suis une menace pour personne ». Toute la population ne partageait toutefois pas cet avis : « Nous avons des prisonniers qui sortent d’ici aujourd’hui et qui sont des tueurs en série, qui pensent qu’ils ont le droit d’assassiner des gens au nom de leur cause » déclarait ainsi à l’époque le représentant de familles de victime de l’IRA.
La libération des prisonniers s’était, dans certains quartiers, accompagnée de scènes de liesse, qualifiées par les familles de victimes d’obscènes.
La libération anticipée des paramilitaires : un mal nécessaire pour la paix en Irlande du Nord ?
Il n y a jamais eu d’amnistie, mais des sortes de « libération sous caution ». Dès lors, le taux de récidive, y compris en remettant des paramilitaires dans les rues, a été très faible. Il faut savoir que pendant la période précédant l’accord, les prisonniers ont été tenus informés de l’évolution de la situation politique à l’extérieur. Ils s’attendaient déjà à être libérés, car ils savaient qu’ils faisaient partie de ce processus de paix.
Avec les dirigeants des organisations politiques, avec qui ils étaient en contact, ils avaient clairement indiqué ne pas vouloir être les bouc-émissaires, les pions. Les négociations de paix ne visaient pas à faire sortir les prisonniers de prison, mais à s’attaquer aux causes du conflit. Et dans ce conflit, les prisonniers qui avaient combattu les armes à la main n’étaient que des pions de quelque chose bien plus important.
Le rôle des influences politiques extérieures fait partie de l’histoire de l’accord de paix historique et la question des prisonniers y était pleinement intégrée. Et cela, même si cela a pu choquer du monde que des meurtriers soient remis en liberté. Ils étaient avant tout considérés comme des combattants, et comme à la fin de chaque guerre, on remet les combattants prisonniers en liberté.
Johnny Adair, l’un des chefs paramilitaires loyalistes les plus influents de l’époque – aujourd’hui en exil forcé en Ecosse suite à des règlements de compte entre factions loyalistes – avait d’ailleurs rencontré la secrétaire d’État de l’époque, Mo Mowlam lorsqu’elle s’est rendue à la prison de Maze pour convaincre les loyalistes de continuer à participer aux pourparlers de paix. Et ils lui avaient fait savoir que sans libération, sans la permission de retrouver amis, proches, familles, il n y aurait pas d’accord de paix.
25 ans après, cela peut toujours paraitre surprenant qu’autant d’auteurs de meurtres, d’attentats sanglants, aient été libérés du jour au lendemain. Mais la paix civile (relative) qui règne aujourd’hui en Irlande du Nord au regard de l’impasse dans laquelle elle se trouvait en 1998, ne valait-elle pas tous les sacrifices, y compris moraux ? C’est en tout cas ce qu’ont pensé, et validé, tous les principaux artisans de la paix en Irlande du Nord à cette époque.
YV
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