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1967 : un concert gratuit de Mireille Mathieu à Fougères

On pourrait écrire un ouvrage consacré aux hommes politiques qui sont venus se faire élire député en Bretagne. On peut citer quelques parachutés : hier Alain Madelin (Redon), aujourd’hui Matthias Tavel (Saint-Nazaire). Conséquence de la centralisation politique : à Paris, leur parti –  de droite ou de gauche – leur a attribué une « bonne » circonscription en Bretagne où ils pourront devenir député facilement. L’ouvrage « Michel Cointat – Itinéraire d’un homme politique de De Gaulle à Mitterrand » (éditions Jean  Picollec, 2022) raconte avec précision « comment ça se passe » ; son fils Alain Cointat  nous montre son père à la recherche d’une circonscription : Haute-Marne, Nîmes, jusqu’à ce que « Matignon » – c’est-à-dire le conseiller du Premier ministre Georges Pompidou chargé des investitures – lui propose Fougères ; il sera donc le candidat du parti gaulliste (UD-Ve République) pour les élections législatives de mars 1967. La campagne démarre le 4 janvier. Les militants sont nombreux : il y a ceux qui mettent sous plis les tracts, ceux qui téléphonent, ceux qui distribuent les journaux, ceux qui remplissent les salles, ceux qui collent les affiches… Heureuse époque !

L’arrivée du « général Fracasse »

Donc tout se présente bien jusqu’au 15 janvier. Ce jour-là, « la campagne prend une autre tournure. Le général Pierre Guillain de Bénouville annonce sa candidature. Ce compagnon de la Libération, proche de Marcel Dassault et ami de Mitterrand, est très connu des électeurs de la circonscription. Il les avait représentés à l’Assemblée nationale jusqu’en 1962. L’UNR l’avait exclu pour ses positions trop engagées en faveur de l’Algérie française (…) Candidat sans étiquette, Pierre de Bénouville, administrateur de sociétés, directeur de Jours de France, entre avec fracas dans la bataille. Surnommé « le général Fracasse », il organise une campagne à l’américaine. Dépense des sommes folles. Fait venir pendant plusieurs jours sur le champ de foire le grand cirque Bouglione et distribue 35 000 entrées gratuites aux électeurs. A chaque représentation, Pierre de Bénouville se produit sur la piste et prononce un discours de sa voix fluette et éraillée.

Il se présente à l’improviste au supermarché près des caisses. Dès qu’une ménagère, le cabas chargé, arrive pour payer, il se précipite : « Permettez à votre futur député de vous l’offrir ! ». Avec candeur, il tente d’autres actions saugrenues. Son journal Jours de France offre cinq minijupes à toutes les épouses des maires ruraux de la circonscription ! L’histoire ne dit pas si elles en ont fait bon usage… On n’a jamais vu un tel spectacle, une telle débauche d’argent. Du délire ! » Mais Alain Cointat oublie d’évoquer un « argument » formidable de la campagne de Bénouville : ce dernier fait venir Mireille Mathieu qui est à l’époque une immense vedette populaire – les électeurs ont droit à un concert gratuit. Notons qu’il faudra attendre la campagne présidentielle de 1974 pour voir des artistes se produire au profit d’un candidat, à savoir Valéry Giscard d’Estaing.

La création de la Brittany Ferries

Mais tout ce cirque ne paie pas puisque de Bénouville est largement distancé au premier tour et se retire. Quant à Michel Cointat, il est élu au second tour avec 622 voix de plus que le député sortant, Jean Le Lann (CNIP). A l’époque le cumul des mandats étant habituel, le député est élu maire de Fougères en mars 1971 et siège au conseil régional de Bretagne dont il est vice-président. « Il s’engage dans le projet audacieux de la Brittany Ferries de son ami, le Breton Alexis Gourvennec : création d’une société de transport maritime sous pavillon français pour accélérer le développement économique et touristique de cette région. Celle-ci pourra exporter ses productions en Angleterre et en Irlande et attirer par ces navettes une nouvelle clientèle de visiteurs (…) Il faut un véritable opérateur maritime pour assurer des liaisons transmanche. Dans cette perspective, il prend la présidence d’une société d’économie mixte (la Sabemen). Elle a pour objet d’alléger la dette de l’exploitant en assurant le portage des navires. C’est ainsi que la Brittany Ferries voit le jour. Sa flotte va se développer et la société connaître un bel essor », poursuit  Alain Cointat. Notons que l’armateur français CMA CGM va entrer au capital de la compagnie Brittany Ferries, dont les finances ont été fragilisées par la crise sanitaire, en convertissant en actions l’argent qu’elle lui avait prêté en septembre 2021. Les 25 millions d’euros de soutien financier sont donc transformés en actions, ce qui signifie une participation de CMA CGM dans le capital de la Brittany Ferries à hauteur de 12 %. « CMA CGM avait souscrit pour 10 millions d’euros d’obligations convertibles de Brittany Ferries et lui avait prêté 15 millions. » (Le Télégramme Economie, mercredi 15 mars 2023).

Pour revenir à 1967, on ne s’étonnera pas que de Bénouville ait pu mener « une campagne à l’américaine » puisque son sponsor s’appelait Marcel Dassault ; on sait que ce dernier était habitué à financer les campagnes électorales et les partis politiques – de droite et de gauche, sans oublier le Front national. Mitterrand, Lecanuet, Marchais et les autres passaient à son bureau situé au rond-point des Champs Elysées… Mais Alain Cointat a omis de nous préciser qui a financé la campagne de son père Michel Cointat ; on peut répondre à sa place : les fonds secrets de Matignon.

Bernard Morvan

Crédit photo : Heinrich Klaffs via Wikimedia (cc)
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4 réponses à “1967 : un concert gratuit de Mireille Mathieu à Fougères”

  1. Paul Delorme dit :

    Bonjour,

    Dommage qu’il n’y ait pas de lien sur le concert…

  2. Gaï de ROPRAZ dit :

    La Politique, c’est toujours -et cela restera- une histoire de pognon.

    Et rien ne changera. Il suffit de se demander pour quelles bonnes raisons, la plupart des politiques, lorsqu’ils perdent leur poste, jouissent de leur salaire (Mirobolant, c’est à dire bien superieur à la moyenne nationale) pendant plusieurs années ensuite, quand ce n’est pas à vie. Et qui finance ? Nous, le peuple abruti qui paye obscurement, sans le moindre « Merci », ses impôts qui nous sont imposés.

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