C’est une enquête approfondie du média Decanter sur les côtes de Thongue qui est à l’origine de cet article. Le focus porté par la docte revue anglo-saxonne à cette IGP « fourre-tout » du Languedoc, met en lumière un mouvement sans précédent de nouvelles installations, à la source de vins insolites et créatifs.
L’appellation tire en outre son dynamisme par sa capacité à puiser à l’intérieur d’un réservoir très divers de cépages autorisés (plus d’une centaine), et offre aussi aux vignerons une véritable latitude d’action pour expérimenter différents types de vinification et user de nouveaux types d’élevage .
Dans l’ombre des grandes et prestigieuses appellations rutilantes du Languedoc, les côtes de Thongue tiennent lieu de territoire de liberté pour une génération de néo-vignerons désireux de s’établir à l’écarts des terroirs au foncier très onéreux.
Loin de l’image caricaturale de la grosse appellation pinardière vouée aux intérêts productifs des coopératives languedociennes, Les côtes de Thongue suivent ainsi une voie résolument créative avec des vins qui préfigurent sans doute le nouveau visage du Languedoc pour les 30 prochaines années.
Le pays des puechs
L’aire d’appellation des côtes de Thongue se loge à l’intérieur d’un vaste triangle partant de Bézier jusqu’aux aux portes du Faugères à une trentaine de kilomètres au nord.
Cette vaste zone qui inclut la ville de Pézenas est traversée par la ripisylve du bassin versant de la Thongue formant une coulée verte entre les deux agglomérations qui apporte un indéniable charme agreste à la région.
La plaine est ponctuée de petites éminences rocheuses (puech) dont le relief culmine généralement autour de 100 mètres, la montuosité des puech rompt la monotonie du plat pays et fournit d’avantageuses situations d’abris pour les vignobles face aux assauts des vents locaux : Tramontane et Marin.
Malgré leur rôle d’assainisseur d’air, leurs rafales peuvent parfois meurtrir les jeunes bourgeons des vignes, bien que sous leur influence, les conditions météorologiques favorisent une conduite biologique des vignes largement prémunies des attaques cryptogamiques ( mildiou).
Un engagement global dans le bio et un esprit libre
En dépit de son caractère hautement hétéroclite, l’appellation parvient à fédérer la multiplicité des structures vitivinicoles autour de son ambitieux programme de biodiversité dans lequel la plupart des domaines sont impliqués.
L’un des principaux objectifs de la charte « Biodiveau » vise à restaurer l’environnement naturel de la vigne au sein des domaines, ceci afin de faire renaître un écosystème plus en lien avec la faune et la flore qui interagit avec la vigne.
Au bout du compte la grande majorité des 6 coopératives et des 65 domaines qui composent cette appellation, se trouvent pleinement engagés ou en voie de conversion vers une viticulture organique.
Outre la bannière du bio, les côtes de Thongue se démarquent par un esprit franc-tireur désireux de s’affranchir du carcan de la réglementation administrative qui prévaut dans les AOP languedociennes. Aussi l’IGP côtes de Thongue apparaît pour bon nombres d’esprits libres comme une appellation-refuge en mesure d’offrir un champ d’expérimentation nouvelles.
Pléthore de cépage et liberté du choix élevages
La richesse des côtes de Thongue réside sur son impressionnant panel de cépages autorisés, la plupart languedociens, à l’image des déclinaisons ( blanc , gris noir) du Terret et du Picpoul , mais d’autres plus inattendus.
À l’image de cette parcelle d’un hectare de zinfandel plantée par le domaine de l’Arjolle qui demeure la seule implantation de ce cépage californien sur le territoire français.
Quant aux improbables hôtes : pinotage et carménère, albarino espagnol et même la petite arvine suisse, leur présence concoure à donner une coloration fortement cosmopolite à la production de cette petite IGP audacieuse.
De ce creuset ressort une propension naturelle des vignerons à tester des assemblages insolites pouvant être perçus comme contre-nature. Le couple viognier-sauvignon performe de belle manière avec sa magnificence aromatique dans la cuvée équinoxe du domaine de L’Arjolle donnant un richement parfumé et voluptueux, réhaussé par les tons de chêne de son élevage.
La pluralité des vins dérive d’une grande liberté d’usage dans le matériel vinaire utilisé à la fois pour les vinifications et les élevages. Toute la panoplie des contenants trouve droit de cité et est expérimentée par une nouvelle génération ayant soif de vins novateurs : amphores , œufs en béton , chêne…
Deux vins illustrent la lente mutation de cette IGP longtemps perçue avec une certaine condescendance par les amateurs d’appellations voisines aux noms plus évocateurs comme le Faugères.
Hammurabi, domaines de Robes noires, 15€
Le domaine des Robes noires est né de la reprise en 2021 d’une ancienne propriété viticole par un couple d’avocats bordelais.
Le couple Discours incarne en effet ces nouveaux mavericks de la viticulture qui renouvellent peu à peu les profils des vins du Sud. La cuvée Hammurabi en constitue une vibrante illustration.
Ce blanc de noir issu du cinsault est né d’une opportunité d’obtenir un blanc de circonstance offert par les conditions particulières du millésime et ce, en tirant parti d’un pressurage éclair de ce cépage à peau noir et jus blanc.
Les blancs de noirs cultivent une ligne à part dans le vaste spectre des vins blancs , leur couleur est souvent très pâle ( car peu d’extraction) et leur plaisir réside davantage dans leur ressort acidulé que dans leur longueur en bouche. Très minéral avec des contours floraux d’une belle délicatesse, ce blanc de noir parvient à faire montre d’ une matière en bouche très confortable qui dénote les petits rendements du cinsault.
Noté 91/100 par Décanter, la cuvée Hammurabi démontre avec brio que le style encore marginal du blanc de noir oppose une belle parade aux vins blancs trop alcooleux issus du réchauffement climatique. Son titre alcoométrique de 11 degré couplé à ses jolis arômes minéraux et son caractère incisif en fait un vin délicieusement atypique !
Mas Delgi, Vieilles vignes carignan, 2022, 12€
Le carignan n’a pas toujours eu bonne presse, souvent associé aux rouges rugueux et rustiques des Corbières, son image a été injustement dépréciée dans les excès des rendements de la grande expansion des coopératives languedociennes. Depuis lors, le carignan a su se réhabiliter, notamment à la faveur de vinifications plus adaptées à l’apprivoisement de son tannin puissant. La macération carbonique qui utilise les grappes entières fait ainsi merveille sur ce cépage en tirant parti de sa complexité aromatique sans trop extraire de matière.
Mais la martingale du carignan repose sur ses vieilles vignes de plus de 50 ans d’âge aptes à délivrer des jus d’une grande profondeur aromatique. En témoigne cette cuvée qui met à l’honneur le jus des vieilles vignes du Mas Delgi, vendangées à la main , elles délivrent un vin d’une vraie complexité, aux notes prononcées de prunes qui agrègent des fragrances de garrigue. Vin noté 92/100 par Decanter.
Raphno
Crédit photos : DR
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