Jusqu’au dernier Ukrainien. Régis le Sommier (Omerta) : « Aujourd’hui, il faut éviter l’idéologie, d’être prisonnier d’une lecture, d’une narration imposée » [Interview]

Il y a trois personnalités qui m’ont donné envie de faire du journalisme, ou qui, une fois que Breizh-info.com fût lancé, m’ont donné envie de continuer, et de persévérer dans la recherche de l’information, et de la vérité. Il y a Jérôme Pierrat, Philippe Buffon, et Régis le Sommier, qui partage en plus avec moi le fait d’être breton.

Lorsque ce dernier a fondé Omerta, après avoir fait une grande partie de sa carrière à Paris-Match, nous nous sommes tout de suite intéressés au travail effectué par celui qui est sans aucun doute un exemple pour tous les apprentis grands reporters, et plus globalement, pour beaucoup de journalistes.

Ce dernier, en plus de parcourir le monde pour tenter de le comprendre et de retranscrire, par des reportages, ce qui s’y passe, prend également le temps d’écrire. Et c’est à l’occasion de la sortie de son nouveau livre «Jusqu’au dernier Ukrainien», paru aux éditions Max Milo, que nous l’avons contacté, pour un entretien de haute qualité que nous vous invitons à lire ci-dessous. Régis Le Sommier a en effet été le seul journaliste à être allé, pendant un an, de part et d’autre du front, avec l’armée ukrainienne et avec l’armée russe. Odessa, Kherson, Zaporijjia, Marioupol, Donetsk, Lougansk, Donbass et Bakhmout… sont autant de zones de guerre dont il a saisi la vérité du terrain. Jusqu’au dernier Ukrainien est un livre cru, un livre à hauteur d’hommes, loin des analyses fumeuses des spécialistes de salon. 

Une leçon de journalisme.

Breizh-info.com : Vous êtes né à Toulon, mais avez un nom breton. Quelle est votre relation avec la Bretagne aujourd’hui?

Régis le Sommier : Elle est lointaine. Je n’y vais pas assez souvent. Ma compagne est originaire de Fougères et de Quiberon, nous y allons de temps à autre. Ma grand-mère est morte, on a plus de lieu où on allait comme avant. J’ai toujours du plaisir à y revenir, mais je n’y vais pas aussi souvent que je souhaiterais y aller. J’ai gardé la connaissance de la langue bretonne, des livres qui concernent la Bretagne.

Dans les voyages que je fais, je rencontre toujours des Bretons. De par le monde, même sur une île lointaine, on vous dit «il y a un français qui habite là-bas, qui a ouvert un restaurant», et c’est souvent un Breton. C’est une manière de se rappeler qu’on est un peuple très international.

Breizh-info.com : Vous pratiquez la langue bretonne?

Régis le Sommier : Oui j’ai un frère bretonnant, prof de breton. Je l’ai apprise grâce à l’association Roudour. On squattait des salles à l’université à Paris pour apprendre la langue (ou plutôt la réapprendre, car ma grand-mère du Léon m’en avait donné de bonnes notions étant petit).

Breizh-info.com : Vous avez fait vos armes de journaliste à Paris Match notamment, puis reporter de guerre ou grand reporter, et vous voici fondateur d’Omerta?

Régis le Sommier : Je ne suis pas fondateur ni propriétaire, je suis directeur de la rédaction d’Omerta. Une nouvelle aventure, manière de concrétiser pour moi des projets que j’avais pour Paris-Match à l’époque. Je voulais ouvrir ce média de l’écrit et de la photo à la dimension visuelle des sujets de l’actualité. Je suis un homme de l’écrit, j’ai écrit des livres, fait des reportages écrits. Mais le média de la modernité, c’est le documentaire sous plusieurs formats (courts, longs, immersifs). Avec Omerta j’ai cette opportunité de me projeter différemment. Je continue l’écrit, je viens de sortir un livre «Jusqu’au dernier Ukrainien» (Max Milo), sur la guerre en Ukraine. Je n’ai pas totalement oublié l’écrit, mais je m’intéresse au monde digital qui offre des milliers de possibilités.

Breizh-info.com : Avant Omerta, sur ces deux dernières années, vous aviez fait deux reportages majeurs sur l’Afghanistan et les Talibans, diffusés sur Canal +. Comment percevez-vous le fait d’être passé du statut de reporter de guerre encensé par le monde mainstream, au statut de quasi-pestiféré, exclu du monde médiatique, suite au lancement d’Omerta?

Régis le Sommier : Question intéressante, notamment pour évoquer ces deux documentaires. Je viens de passer 15 jours en Afghanistan pour Omerta, pour un troisième documentaire de 52 minutes. Un reportage intéressant, on est sur le pays aux mains des Talibans. On est plus dans «Ils arrivent, ils conquièrent Kaboul.». On est dans le vrai exercice du pouvoir, la confrontation entre ce qu’ils sont et l’exercice du pouvoir. Du rôle de combattants, de héros des montagnes, de moudjahidines, de pourfendeurs des empires (leurs grands-parents ont chassé les Russes et eux les Américains, ce qui n’est pas mal pour des types en sandales et en gilets pare-balles), ils se retrouvent face à de nouvelles problématiques.

D’abord ils sont harcelés par l’État islamique (Daesh) qui est plus radical qu’eux. Et ils ont la société afghane à gérer. Les pénuries. La misère qui s’est installée. Les problèmes sanitaires sont énormes. Ils se retrouvent dans des positions où ils sont obligés de contrôler, de surveiller, exactement comme ceux qu’ils attaquaient avant. C’est passionnant de voir cela. Comment un groupe de guérilla, avec des règles, de code, une façon de vivre clandestine, se retrouve à faire la sécurité dans les rues de Kaboul.

Breizh-info.com : Mais ils n’étaient pas prêts à cet exercice du pouvoir comme ils l’avaient exercé il y a plusieurs décennies?

Non. C’est une autre génération. Ils ont connu 20 ans de montagnes, de clandestinité. On passe à un autre stade. C’est ce qu’explique ce documentaire, nouveau.

Mais pour répondre à votre question sur les deux documentaires premiers, ils sont arrivés à point nommé. J’avais quitté Kaboul en juillet 2021 et un mois plus tard, les Talibans entraient dans la capitale. On ne pensait pas que ça allait tomber aussi tôt. En ce qui concerne le fait d’être un paria médiatique avec Omerta, oui et non. Aux yeux de certains sans doute.

Mais que ce soit avec les Talibans, ou les soldats russes (j’étais à Bakhmout en janvier) ou avec les soldats ukrainiens l’an passé, j’applique les mêmes critères d’analyse et d’exercice journalistique. Il n’y a pas un endroit où je suis plus avec des gens que je considère comme des amis. Mon journalisme s’exprime avec les mêmes critères. Si je trouve des gens sympathiques, mais qu’ils font des choses répréhensibles, je le dirai.

Breizh-info.com : Oui, mais je parlais essentiellement du regard que la presse mainstream française porte aujourd’hui sur vous.

Régis le Sommier : Les 15 jours passés en Afghanistan m’ont été salutaires. J’étais dans un pays dangereux, où nous prenons des risques, où il y a plein d’aléas, qui peuvent devenir graves rapidement. Le pays n’est pas sûr. Je sors d’une séance immersive intense, après celle très intense sur la ligne de front avec les Russes. C’est ce que j’ai connu se rapprochant le plus, je pense, de ce qu’a connu mon grand-père à Verdun. Pour moi, ça a été un choc terrible, j’en suis revenu atteint. J’ai fait ces deux séquences très dures et je me retrouve avec un nouveau phénomène : quand j’étais jeune reporter à Paris Match, je partais loin, je revenais, j’étais content d’avoir fais le sujet, et éventuellement les collègues le commentaient ou pas.

Là, le terrain est miné, surtout du fait d’avoir couvert le côté russe, quand je reviens. On voit des tweets, des trolles, des collègues qui vous qualifient de sympathisant prorusse… Je viens de passer 15 jours avec les Talibans et je pense que personne ne dira que Le Sommier à sympathisé avec eux…

Breizh-info.com : Il y a un début de barbe quand même.

Régis le Sommier : Oui, si vous voulez (rires).  Mais le fait d’aller sur le front avec les Russes, qui m’a ouvert les yeux sur pas mal de choses (pas de manque de munition, pas de baisse de moral comme je l’entends sur les plateaux). Il y avait donc un intérêt d’aller sur place et d’appliquer un regard journalistique pour savoir ce qui pousse des soldats russes à combattre en Ukraine aujourd’hui. J’apportais cet éclairage.

Mais ce n’est pas ça qui intéresse mes détracteurs. C’est le fait que je suis allé du côté russe donc je suis forcément un sympathisant de Poutine (jamais rencontré par ailleurs), pro russe. C’est très étonnant. Ma carrière a tout de même consisté notamment à interviewer deux présidents américains, et à écrire la biographie d’un directeur de la CIA. avec qui je reste amiMais ces côtés-là sont gommés pour dire «non non, il a interviewé Bachar el Assad, puis il est allé chez RT France, puis chez les Russes, c’est terminé». Si j’avais été intéressé par une carrière d’espion russe, j’aurai commencé avant 50 ans.

Voyez ma fiche Wikipédia, pourrie par des journalistes mal intentionnés, est assez révélatrice pour ça. On lit une carrière qui n’est pas la mienne. C’est désagréable de constater d’ailleurs que des instruments passent pour neutres alors qu’ils sont totalement orientés. Mais je m’en fiche, je continue. Mon passé et ma carrière parlent pour moi. J’ai des gens qui reconnaissent le travail. Tout est dans mes livres. Un journaliste a son honnêteté pour lui. C’est la seule richesse qu’il a. Je n’appartiens à aucun camp, et ne suis payé par personne. Mais tout ça n’est pas très important.

Il y a aujourd’hui, un émiettement du monde médiatique qui fait que les gens qui s’arrogent un magistère de dire qui est bien, qui ne l’est pas, ont de moins en moins d’impact.

Breizh-info.com : Il y a tout de même un formatage dans les écoles de journalisme. Une influence y compris de médias minoritaires dans l’opinion, mais qui touchent les esprits, qui ont un pouvoir de nuisance. Est-ce qu’il n’y a pas un gros décalage entre les commentateurs de plateau, le journalisme mainstream, et le journalisme de terrain, comme vous pratiquez comme d’autres (il suffit de lire votre dernier livre pour se rendre compte qu’on lit un récit de guerre, pas de la propagande)?

Régis le Sommier : Il y a une dérive manifeste depuis quelques années. Le commentaire a pris l’ascendant sur les faits. L’analyse sublime le reportage de terrain. Des gens passent leur vie sur des plateaux. Moi j’y vais aussi, mais avec l’idée de rapporter ce que j’ai vu sur le terrain. J’ai toujours été étonné de me retrouver face à des «généraux de plateau», qui ont eu très peu de connexion sur le terrain, qui ont fait la guerre il y a longtemps sur des cartes, et qui viennent vous expliquer ce qu’est le front. Je me suis souvent trouvé en opposition avec ces gens-là qui voulaient expliquer une fausse réalité et ce qu’il fallait penser.

Quand j’ai commencé le journalisme, on écoutait le type qui allait sur le terrain quoiqu’on en pensait par ailleurs. La rédaction en chef écoutait, car priorité au terrain. Aujourd’hui, on voit jusqu’où mènent les dérives avec les commentateurs de plateau, qui vont jusqu’à expliquer ce qui se passe dans la tête de Poutine. Le même qui était «spécialiste covid» il y a un an. Et qui s’avère être… un urologue. Je n’ai rien contre le fait qu’un urologue explique ce qui se passe en Ukraine, mais il est peut-être plus compétent pour nous expliquer les problèmes de prostate. Chacun son domaine. 

Le problème est là : il y a une sorte d’inflation de la parole débridée, où tout le monde parle de tout et n’importe quoi. Pour un tremblement de terre, un spécialiste du Covid devient sismologue… c’est détestable, il y a un brouillard qui s’installe. Les gens ont l’impression d’être mal informés, ils vont donc chercher dans d’autres médias, il y a une segmentation. 

Les Torquemada de la pensée sont dans une sphère qui a de moins en moins d’importance (Libé, etc…). Il y a dix ans, il y avait un magistère moral sur le journalisme. Aujourd’hui de moins en moins. Le public n’est pas dupe. S’il n’y avait pas vos impôts et les miens, ils auraient mis la clé sous la porte depuis longtemps. Mais il n’y a plus d’emprise de ces gens-là, on peut se passer d’eux. Nous avons monté Omerta, sans le moindre scrupule. Nous n’en avons rien à faire de ce qu’ils pensent et disent de nous. Nous faisons nos documentaires, nos émissions, nous avançons, nous recherchons l’excellence journalistique, et c’est là-dessus que je veille.

Breizh-info.com : Ces médias ont toutefois une influence sur les élites, et infusent aussi toute la presse régionale qui elle-même infuse les cerveaux des lecteurs quotidiens non?

Régis le Sommier : Il faut voir la part d’audience de ces rédactions. Elle est infime. La tendance des médias print est en baisse. L’impact est de moins en moins important. On ne peut plus gouverner la pensée, alors qu’avant c’était possible. Avant la référence était Ouest-France. Les gens vont toujours puiser l’info dedans, mais il n’y a plus le monopole. Même si des générations de journalistes wokes arrivent dans les rédactions, c’est à nous de relever le challenge, de proposer une alternative sérieuse. Je rêve de refonder une forme de France Info. Je n’en peux plus de l’écouter actuellement. J’ai l’impression de rater la moitié des choses qui se passent dans le monde, et en France. Systématiquement, l’information de France Info est orientée. J’aimerais trouver une chaine alternative où j’ai les informations en continu, sans leçons de morale.

La guerre en Ukraine est un concentré de tous les problèmes que nous évoquons. Cela devient contre-productif. La rencontre entre le président chinois et Vladimir Poutine est capitale sur les évènements qui vont suivre. Elle n’a pas été traitée comme telle parce que l’information à travers le prisme imposé de la narration du conflit ukrainien nous oblige à penser que la Russie a vocation à perdre cette guerre. Donc elle doit être moribonde, militairement incapable, elle va s’écrouler. Donc on considère que la Chine vient à sa rescousse dans une relation déséquilibrée, pour récupérer les bouts d’un édifice qui s’écroule. 

En réalité, quand on voyage comme je le fais, en Afghanistan, en Turquie, etc., je me rends compte  qu’on assiste à une Désoccidentalisation du monde. On peut se réfugier dans les colonnes de l’Opinion, des Échos, de Libé. pour parler de nos valeurs extraordinaires et généreuses, la réalité est autre quand on va sur place.  Le monde s’organise sans nous. En France, il y a une illusion que l’on aurait encore une prépondérance dans le débat d’idées, que nous influencerions le reste de la planète, mais c’est de la flûte.

Un exemple frais : Dans un petit village à l’ouest de Kaboul, marqué par les combats (la gendarmerie afghane y avait été formée par les Français), je rencontre lors de mon dernier séjour en Afghanistan, une des rares femmes à exercer encore la médecine (les femmes n’ont quasiment plus de fonction là-bas), et je lui demande comment elle voyait l’évolution de la situation des femmes dans ce pays dans les prochaines années. Elle m’a répondu que les Talibans évolueront selon elle, par l’entremise d’autres pays musulmans modérés, parce qu’ils sont musulmans et peuvent donc dialoguer. Elle m’a dit que ça ne pourrait plus jamais se faire avec nous, les Européens, ni avec les Américains, car nous avons laissé trop de mauvais souvenirs ici. Voilà le constat après 20 ans d’occupation, un trillion de dollars investis par les Américains, des centaines de morts dans le camp occidental, et toutes les tentatives pour remettre ce pays sur pied. Tout ça a échoué et aujourd’hui les gens ne veulent plus de nous. Cette femme n’était ni talibane, ni idéologue pourtant.

On peut se masquer la réalité et continuer dans le fantasme d’un monde guidé par l’Amérique,  nous derrière, à la recherche de la liberté. Voyager vous apprend que le monde n’est plus à ce diapason.

Régis Le Sommier sur le terrain, loin des commentateurs de plateaux tv

Breizh-info.com : Ce fantasme n’est-il justement pas dû au fait que les commentateurs de plateau qui répandent l’information, par définition, ne voyagent plus?

Régis le Sommier : C’est évident. Et le pire c’est que lorsque vous rentrez du terrain,  la réalité que vous ramenez est suspecte. On est dans un prisme idéologique. Une façon de penser avec des Ayatollahs. Ils ne s’encombrent pas de la réalité. J’adore cette phrase de Lénine qui  incarne la dictature, l’idéologisme «les faits sont têtus». Aujourd’hui ils le sont encore plus. Le monde s’organise sans nous.

Breizh-info.com : Votre livre «Jusqu’au dernier Ukrainien», n’a pas vocation à dire qui sont les gentils, et les méchants. Il rapporte la guerre. Et en lisant, on ressent son intensité, et une odeur tout de même de boucherie sans nom qu’on ne voit pas sur les plateaux occidentaux aujourd’hui. Quel est votre regard là-dessus?

Régis le Sommier : Je remarque que le caractère incantatoire sur les méchants Russes ici, et sur les méchants Ukrainiens à Moscou, se rétrécit plus on se rapproche de la ligne de front. Plus on approche la réalité de la guerre, moins il y a d’animosité entre les belligérants. Les Russes que j’ai rencontrés, et même les volontaires français qui se battent avec les Ukrainiens, ont du respect pour ceux qu’ils affrontent. On pouvait le lire dans les récits de la Première Guerre mondiale.

À force de vivre dans les mêmes conditions d’horreur, on se fabrique une humanité soldatesque commune. Lors de mon dernier reportage du côté de Bakhmout, les Russes avec qui j’étais (de type Wagner) me disaient avoir beaucoup de respect pour les unités d’en face. Ce ne sont pas des amateurs, des bleus. Ils ont déjà fait la guerre pour beaucoup, malgré des unités de valeur inégale. Il n’y avait pas de volonté de dénigrer le gars d’en face. Ils avaient tous la conscience de leur mort possible. L’intensité était dingue. 

J’ai vu des ruines de maison, plus un mur, des plaines avec des arbres carbonisés, la neige au milieu, des tranchées, cette habitude de courir en permanence dès que l’on sort, pour ne pas être repéré par le drone. La terreur du champ de bataille c’est le drone. Il récupère les données et permet à l’artillerie de tirer. Cette guerre est une guerre essentiellement d’artillerie. Y a des assauts de tranchée, mais moins qu’en 14-18. Moins de grands mouvements, plus de petits commandos. L’appui de feu se fait par une artillerie impressionnante. C’est meurtrier, les blessures sont monstrueuses, ça, c’est Verdun. Matin, soir. Avec une forme d’accalmie curieuse qui a lieu autour de midi. C’est une forme d’accord tacite, décidé par personne, et également en fin de journée, pour les repas et ravitaillements. Une forme d’humanité qui ressort à ces moments-là.

Breizh-info.com : Finalement le journaliste de guerre, de terrain, n’a-t-il pas le mauvais rôle dans un conflit comme ça, collé que vous êtes aux soldats, mais sans avoir d’armes pour vous défendre?

Régis le Sommier : Certains soldats ne comprennent pas. Quand j’étais avec les Américains en Irak, l’un m’avait dit que son arme était comme sa carte de crédit. Certains s’inquiètent de ne pas nous voir armer, mais on leur dit que nous sommes là pour raconter leur vie, pas pour faire la guerre. Mais cela peut parfois poser problème niveau logistique d’amener des journalistes, mais nous représentons un mal nécessaire pour les armées. Gagner la communication c’est faciliter la victoire.

Breizh-info.com : Orwell, en tant que journaliste, est un modèle pour vous, cité plusieurs fois dans le livre. Pouvez-vous en parler?

Régis le Sommier : Il a commencé à faire des reportages dans un cloaque du sud de Londres. Un bidonville. Il a commencé à raconter la vie de ces gens, vivant dans des conditions scandaleuses, et ça avait fait des étincelles, car la bourgeoisie britannique et la révolution industrielle ne bénéficiaient pas à tout le monde et avait créé des situations épouvantables. Orwell a commencé comme ça, puis s’est engagé. C’était un homme de gauche, authentique. Ce qui m’a toujours intéressé chez lui, c’est son caractère d’observateur, c’est très journalistique. L’importance du détail. Mais surtout cette absolue liberté, dont il fait preuve sur la guerre d’Espagne. Dans «Hommage à la Catalogne», il est très critique sur son propre camp. Tout en combattant. Son message principal c’est qu’on ne doit pas se faire l’économie d’une critique. Cela doit être appliqué partout, y compris sur la guerre en Ukraine. Chercher l’honnêteté encore et encore. La vérité. C’est pour ça que j’aime beaucoup cet auteur, en plus de ses œuvres de fiction magnifiques également.

On retrouve chez Hemingway, à la marge, cette forme d’honnêteté louable qu’il y a chez Orwell. Aujourd’hui, il faut éviter l’idéologie, d’être prisonnier d’une lecture, d’une narration imposée qui fait que si vous ne l’épousez pas, vous êtes dans le camp d’en face. Aujourd’hui, nous sommes tombés dans des travers délirants.

Breizh-info.com : Quelles sont les perspectives d’Omerta, après s’être sorti du bourbier russe?

Régis le Sommier : Je veux aller au Venezuela. On a vu qu’Emmanuel Macron avait récemment serré la main de Maduro alors qu’il y a cinq ans, le pays était complètement assiégé, qu’on avait misé sur son concurrent, comme les Américains. Et là, brusquement le pays est devenu Persona Grata du fait de la crise énergétique et des immenses réserves de pétrole que possède le Venezuela. Je veux voir ce qui se passe là-bas. Ce pays, comme Cuba, emmerde les États-Unis en Amérique du Sud. Depuis 1960, Cuba a survécu sous sanctions américaines. Le Venezuela, on y a prédit toutes les catastrophes. mais ce n’est pas le cas visiblement.

Je veux voir comment les gens y vivent. À Omerta il y a plein de choses à faire. Regardez notre reportage à sortir sur l’Afghanistan. Dites à vos lecteurs de s’abonner, ils auront une offre assez incroyable de documentaires avec des critères journalistiques dont je me fais le garant. Pas d’Omerta! Nous allons là où les autres ne vont pas. Nous avons un reportage au Liban en immersion côté Hezbollah, un autre en préparation sur l’immigration. Certains sont déjà disponibles sur le wokisme, la transidentité, le porno, ou encore sur le Kosovo et sur la réactivation des tensions dans cette région au cœur de l’Europe.

Breizh-info.com : Vous avez publié une version papier. N’est-ce pas un risque à l’heure où le papier coûte cher et se vend moins bien?

On va essayer de le faire trois fois par an. Le papier n’est pas mort. Il faut le réinventer. On a nos abonnés chez Omerta, mais on voulait qu’ils aient une trace matérielle. Une forme de synthèse. Une manière de marquer le travail que nous faisons.

Pour découvrir Omerta et vous abonner, c’est ici

Propos recueillis par YV

Photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2023 dépêche libre de copie et diffusion sous réserve de mention de la source d’origine

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4 réponses à “Jusqu’au dernier Ukrainien. Régis le Sommier (Omerta) : « Aujourd’hui, il faut éviter l’idéologie, d’être prisonnier d’une lecture, d’une narration imposée » [Interview]”

  1. ReZoRe dit :

    Qui finance « Omerta » ? Emissions, éditions, salaires, voyages ?

    • Le Corse dit :

      Remarque pertinente. Déjà les premiers éléments, commentaires sur les abonnements, les sujets…montrent que Omerta reste très proche de Paris Match. Très politiquement correct et sioniste. Le reportage avec les troupes russes donnent un peu de légitimité, sauf que: Régis le Sommier est plutôt pro-Ukrainien. A suivre…

  2. Pschitt dit :

    La question rituelle « d’où tu parles ? » garde sa pertinence. On a rarement vu un journaliste mordre la main qui le nourrit, surtout quand il n’a guère de solutions de rechange.

  3. domper catalan français dit :

    Ce journaliste de terrain, de guerre, nous donne une radiographie extraordinaire de ce qui se passe vraiment. Des faits, encore des faits et de la vérité ! Loin des pseudos spécialistes multicartes des plateaux TV où l’on disserte sur du virtuel avec un discours proche des arts divinatoires….
    Régis Le Sommier a été invité sur C.NEWS une chaîne taxée bien sûr de complotisme et d’extrème droite !

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