Dans cette chronique hebdomadaire, je vous proposerai des recettes originales et historiques, réconciliant ainsi deux aspects de ma personne, celle d’historien et celle patron de bistrot. Elles seront faciles à réaliser mais surtout liées à l’histoire d’un territoire ou de grands hommes. La gastronomie traditionnelle raconte une terre, des traditions, elle s’inscrit donc dans l’idée d’un combat identitaire, soulignant les diversités qui nous sont chères d’une région à une autre, écologique, travaillant des produits locaux et de saison, et éthique, réduisant au maximum le gaspillage et s’opposant au modèle uniformisé du fast food.
Gentiane : les origines
Elle est l’ingrédient principal de la Suze : pourtant, si en France la Gentiane n’attire plus les foules à cause de son amertume, elle demeure en Italie, en particulier en Italie centrale, le digestif le plus couru qui vous sera proposé à la fin de chaque repas. Aujourd’hui nous parlerons de cette racine qui, une fois macérée produit cet alcool aux vertus digestives indéniables, la Genziana.
Selon la tradition, Gentius, roi d’Illyrie, qui serait actuellement la partie occidentale des Balkans et de l’Albanie, découvrit les vertus thérapethiques d’une étrange fleur au fort parfum. En l’honneur du roi, elle fut alors baptisée Gentiane. Ce dernier aurait régné de 180 à 167 avant JC avant d’être emprisonné par les Romains suite à sa défaite face à ces derniers. Les racines de cette plante étaient macérées puis bouillies, cette décoction servait notamment à soigner les fortes fièvres. Les romains utilisaient beaucoup la racine de Gentiane comme en attestent des écrits de Pline l’Ancien. Ils la citent notamment dans Storia Naturale comme un antidote contre les morsures de serpents.
Durant les grandes épidémies de peste au Moyen-âge, la légende raconte qu’un ange serait apparu au roi Ladislas de Hongrie lui suggérant de se placer devant sa tente, de bander son arc et de tirer une flèche le plus loin possible sans viser. Cette dernière se planta dans une racine de gentiane, ainsi le roi ordonna d’en distribuer au peuple ce qui lui permit de ralentir l’épidémie. Les anciens grecs eux mêmes connaissaient les propriétés thérapeutiques de cette plante.
Qu’en est-il vraiment ? La gentiane (gentiana lutea) est une plante pérenne qui mesure des 50 cm à 1,30 m possédant des feuilles larges et ovales. Les fleurs sont petites et jaunes et fleurissent en été. La racine a une forte odeur de terre et un gout très amer. La gentiane a une prédilection pour les terrains calcaires acide situés en altitude, entre 1000 et 2500 mètres. Elle est ainsi très présente dans les massifs montagneux des Apennins au centre de l’Italie. La gentiane n’est pas facile à trouver et sa cueillette est très réglementée du fait que ce ne sont pas les feuilles mais bien la racine qui est recherchée. Les cueilleurs experts séparent la racine afin de laisser la plante en vie. D’autre part, la gentiane ressemble à s’y méprendre à deux autres plantes, le vératre blanc et l’hellébore qui sont toutes deux vénéneuses. Il est donc conseillée d’acheter les racines à des experts. La racine doit être séchée avant d’être utilisée car elle est vénéneuse à son tour. Pour ce qui est de ses propriétés médicale, la recherche moderne en a prouvé les effets pour lutter contre la fièvre et les troubles gastriques. Vu la quantité consommée dans les régions du centre de Péninsule, bon nombre de la populations sont à l’abris des maux de ventre ou crises de fièvres !
La consommation de gentiane, « Genziana » en italien se fait sous forme d’une liqueur digestive servie à la fin du repas. La couleur est ambrée et le gout plus ou moins amer selon les recettes. Elle se trouve assez facilement dans le commerce mais il est très fréquent que l’on vous offre de la gentiane maison vu la facilité de la réalisation de la liqueur. Le plus dur est de se procurer les racines mais les bonnes herboristeries en disposent en général.
Genziana : La recette
100 gr de racines séchées de gentiane, 2,5 litres de vin blanc, 0,5 litre d’alcool alimentaire à 94 degrés, 400 gr de sucre, 0,5 litre de vin ou d’eau (après la macération)… La proportion de racine est de 40 gr. par litre de vin.
La préparation est très simple car elle consiste en une macération des racines dans le vin pendant 40 jours. Le résultat final dépend grandement de la qualité du vin, il doit être sec afin d’éviter de contaminer le gout de la racine. Durant les 40 jours conservez votre préparation à l’abri de la lumière et mélangez régulièrement. Passé ce temps, filtrez et préparez un sirop en faisant fondre 400 gr de sucre dans un demi litre de vin. Mélangez le sirop, l’alcool et, le liquide macéré et filtré au préalable. Mettez en bouteille et attendre encore une semaine, votre gentiane est prête !
Il existe quelques variantes à la macération. Certains y ajoutent des clous de girofle ou des zestes de citron ou encore parfois des grains de café. La quantité de sucre peut aussi varier, les puristes aiment la gentiane très amère et sans autres aromes ajoutés. Enfin mentionnons que dans la région de Trente, dans les Dolomites, la gentiane est distillée et non macérée dans le vin. Cela crée un alcool fort et amer mais totalement différent de la « genziana » que l’on trouve dans le Latium ou les Abruzzes.
Une fois votre suze maison faite, vous pourrez aussi réaliser quelques cocktails comme le « Fond de Culotte », mélange de gentiane et de liqueur de cassis (car le fond de culotte ne s’use qu’assi), le spritz gentiane (prosecco, gentiane et Saint Germain), la simple gentiane tonic, ou mon préféré le White Negroni, remplaçant le campari et le vermouth par du Lillet et de la gentiane.
Pierre d’Her
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