Le débat public sur le projet de réforme des retraites se tient à l’Assemblée nationale et au Sénat, mais aussi dans la rue parce que ce sujet est un sujet de société sur lequel les Français ont décidé qu’ils avaient un mot à dire. Mais la volonté populaire est-elle encore entendue par ceux qui nous gouvernent ? Les quatre dernières décennies montrent une évolution plus que préoccupante.
110 propositions pour la France venaient à l’appui de la candidature de François Mitterrand en 1981. La 90e, portant sur la création d’un « Grand service public, unifié et laïc de l’Education nationale », a entraîné de très vives réactions des Français attachés au principe de liberté de l’enseignement, et le 24 juin 1984, une grande manifestation d’opposition au projet de loi à Paris a rassemblé entre deux millions de personnes selon les organisateurs et 850 000 personnes selon la police.
Prenant acte de la volonté populaire, le Président de la République a annoncé le 14 juillet 1984 qu’il souhaitait le retrait du projet de loi, ce qui a provoqué le 17 juillet la démission du ministre de l’Education Robert Savary, suivie quelques heures plus tard par la démission du Premier ministre, Pierre Mauroy.
Vingt ans plus tard, dans la nuit du 8 au 9 février 2006, l’Assemblée nationale a adopté un amendement instituant le CPE (contrat de première embauche). Ce dispositif entraîna de nombreuses manifestations d’hostilité venant des étudiants, bientôt soutenus par les salariés, certains partis politiques et des syndicats.
Face à cette opposition incontestable, le Président de la République de l’époque, Jacques Chirac, ne demanda pas le retrait, mais fit savoir qu’il promulguerait la loi tout en demandant au Gouvernement qu’elle ne soit jamais appliquée. La volonté populaire fut prise en considération, mais pas entendue comme en 1984.
Appelé à se prononcer sur le projet d’une « Constitution » européenne, le Peuple français a repoussé ce projet par référendum le 29 mai 2005. Faisant peu de cas de la volonté populaire, le Président de la République, Nicolas Sarkozy a contourné l’opposition des Français en s’appuyant sur les Parlementaires réunis en Congrès le 4 février 2008 pour réviser la Constitution française, ce qui a permis ensuite la ratification d’un traité réputé « simplifié ». On observe que l’expression directe de la volonté du Peuple a été écartée au profit de ses représentants à l’Assemblée nationale et au Sénat.
En 2023, il est clair que le Président de la République, Emmanuel Macron, et le gouvernement n’ont tenu aucun compte des oppositions au projet de réforme des retraites malgré une mobilisation identique, voire supérieure à celle qui avait conduit à la démission du ministre porteur du projet et du Premier ministre en 1984. Non seulement le projet de réforme des retraites n’a pas été retiré, mais la procédure décriée du 49-3 a été utilisée devant l’Assemblée nationale pour en assurer l’adoption.
Désavoué lors du référendum de 1969, le général de Gaulle a tiré les conclusions de la volonté populaire et a remis sa démission de la Présidence de la République. Sensible aux manifestations d’opposition à sa politique en 1984, François Mitterrand a pris acte de la volonté des Français et accepté les démissions de ses ministres. Mais il semble qu’avec le temps, les dirigeants de notre pays ont peu à peu pris leurs distances avec les Français pour appliquer leur politique, même en cas d’opposition incontestable.
Cet éloignement toujours plus grand entre les Français et ceux qui les gouvernent doit nous amener à nous interroger sur le fonctionnement de notre démocratie. La légalité du processus législatif garantit-elle la légitimité des lois quand le Peuple les rejette de toute évidence ? Il semble que non. Et de s’interroger alors sur le sens de l’éthique du Président de la République, des membres du Gouvernement et des parlementaires quand ils s’appuient sur une méthode procédurière pour imposer une évolution que les Français rejettent. Car l’histoire nous enseigne que quand les gouvernants se réfugient derrière des procédures pour aller contre la volonté du Peuple, c’est tout l’édifice institutionnel qui peu à peu se lézarde.
André Murawski
Ancien président du groupe « Les Indépendants » au Conseil régional des Hauts-de-France
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5 réponses à “Quelle est la légitimité des lois quand l’éthique manque au sommet de l’Etat ? [L’Agora]”
L’éthique de macronor dictator corée du nord c’est: fermez vos gueules, moi je sais et vous vous êtes des moins que rien »
Le plus étrange n’est-il pas qu’on puisse dire que le débat actuel sur la retraite est un « sujet de société » ? Le gouvernement veut, en substance, accroître de deux ans la durée des carrières. Or, rien que depuis le début de ce siècle, l’espérance de vie a augmenté en France de trois ans (donc trois ans de retraite en plus par personne). Là est le premier vrai « sujet de société » !
Deux ans, c’est + 5 % de la durée travaillée dans sa vie par une personne de 62 ans qui a commencé à travailler à 22 ans : c’est sensible, mais ce n’est pas un changement de société. Le passage du temps de travail hebdomadaire de 39 heures à 35 heures a représenté une une baisse deux fois plus importante (- 10,25 %) du temps travaillé. Ce qui met en évidence un deuxième vrai « sujet de société » : le vrai problème n’est pas le temps de travail lui-même mais le fait qu’une grande partie des Français ne perçoivent plus de relation entre ce qu’on produit et ce qu’on consomme. L’Etat-providence et le « quoi qu’il en coûte » sont passés par là !
La définition de ce qu’est un » sujet de société » peut être débattue. Cela étant, il est assez évident qu’une question qui mobilise les Français pendant plusieurs semaines et qui en jette plusieurs millions dans les rues est un sujet de société.
De grandes manifestations ne signalent pas nécessairement un « sujet de société ». Il peut s’agir simplement de l’addition d’intérêts individuels, ce qui serait le cas si la question se limitait à deux ans de travail en plus ou en moins dans une vie. Le fait de cesser de travailler à 64 ans plutôt qu’à 62 ne compromet pas l’édifice social, ou alors, il est vraiment très fragile ! Je dis seulement que l’âge de la retraite, bête question de finances publiques, n’est qu’une étiquette appliquée à de vrais sujets de société, autrement plus sérieux mais non explicités : l’allongement considérable de la durée de la vie moyenne depuis la Deuxième Guerre mondiale et la perte de sens du travail.
rappeler aux politiques la définition de « démocratie »