Il y a peu, Jacques Julliard, militant et essayiste « de gauche » de vieille date, mentionnait Alain de Benoist parmi les penseurs les plus notables de sa génération. Au passage, il regrettait le silence à son sujet dans les organes du courant d’idées dominant, que les anglophones appellent le « main stream ».
J’ai recours ici au terme un peu désuet de penseur, de préférence à intellectuel un peu trop couru. D’autant que Michel Audiard aimait à répéter : « Un intellectuel assis va moins vite qu’un con qui marche. »
Donc, Alain de Benoist a travaillé l’essentiel de sa vie dans une mise à l’écart. Même si, depuis quelques années, il est réapparu dans quelques médias. Mais je n’oublie pas l’oukase qui le frappa lorsqu’un étourdi lui confia une rubrique sur France Cul, elle dura un mois…
L’Exil intérieur, ce sont des Carnets intimes tenus depuis les années 70. Il nous en donne un florilège. Mais ce n’est pas à proprement parlé un journal intime qui, une fois publié, a toujours une allure un peu obscène, si on suit le critique Reich Ranicki. On dit tout ou on ment par omission. Tel Julien Green qui de son vivant nous gratifia de son journal très littéraire. La publication intégrale, posthume, nous révéla un pédéraste porté sur les pissotières. O tempora, O mores !
De Benoist nous livre des réflexions, brèves ou plus longues, réduites souvent à l’état d’aphorismes. On pense à Cioran, mais en plus ouvert. Comme il a beaucoup, beaucoup lu, il cite les auteurs qui l’ont marqué, avec une rare ouverture d’esprit. Pèle mêle, Carl Schmitt, Trotsky, Fichte, de Gaulle, Courteline, Heidegger, Flaubert, Muray, Camus, Marx, Maritain, Lampedusa et tutti quanti.
Pour vous mettre en appétit :
– La guillotine sous la Révolution, le massacre des Indiens en Amériques, c’est tout un. Il s’agissait dans les deux cas, de faire disparaître « ceux d’avant ».
– Le rêve de la bourgeoisie : que ses adversaires se battent toujours entre eux.
– La société devient globalement de plus en plus anonyme, au moment même où les contrôles sociaux rendent impossible l’anonymat.
– Il n’y a de perspectives révolutionnaires que lorsqu’une reconstruction idéologique radicale rencontre un mouvement social réel.
– Avec le monothéisme apparaît l’argument d’autorité (qui n’est pas un argument du tout).
– On menait les jeunes spartiates voir les ilotes ivres : l’exemple même de ce qu’ils ne devaient pas devenir. On devrait aujourd’hui organiser des voyages où …sous la conduite de pédagogues bien exercés, des classes entières iraient voir les États-Unis.
– Le fait qu’on parle de « Julien l’Apostat » est un exemple tout à fait probant des inversions de sens auxquelles on nous a habitués. C’est évidemment Constantin qui fut l’apostat.
Merci, Alain de Benoist.
Jean-Joël Brégeon
* Alain de Benoist, L’Exil intérieur, postface de François Bousquet, Krisis, 348 p., 24 euros.
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3 réponses à “L’exil intérieur ou les carnets intimes d’Alain de Benoist”
L’importance intellectuelle d’Alain de Benoist est claire et nette. Cependant, je ne suis pas d’accord avec votre choix de citations. Par exemple :
* Faire disparaître « ceux d’avant » est une constante biologique des espèces sociales, c’est un mécanisme majeur de l’évolution. Choisir de rapprocher, parmi des milliers d’exemples, la guillotine sous la Révolution et le massacre des Indiens en Amériques est parfaitement arbitraire. Et contestable : d’une part, la Révolution ne visait à éliminer « que » les ennemis du peuple, pas le peuple lui-même, d’autre part, il y a eu DES massacres d’Indiens en Amérique mais pas UN massacre.
* Le rêve que ses adversaires se battent entre eux n’est pas LE rêve de LA bourgeoisie : tout pouvoir fait le même rêve, et la bourgeoisie en fait aussi d’autres. Plus important encore : il faudrait définir le concept d' »adversaire » pour la bourgeoisie, classe qui raisonne plutôt en termes de « concurrents » (des bourgeois contre d’autres bourgeois) et, on le voit de nos jours, a du mal à repérer un adversaire qui ne serait pas économique.
* Dire « Il n’y a de perspectives révolutionnaires que lorsqu’une reconstruction idéologique radicale rencontre un mouvement social réel » est une tautologie, cela revient à dire « il n’y a de révolution que lorsqu’il y a une révolution ».
M. Alain de Benoist (un pseudonyme!) a déclaré dans son éditorial du dernier numéro d’Eléments que j’ai acheté -depuis je n’achète plus cette revue- que le christianisme était le « seul ennemi », pas « adversaire ». Alain de Benoist? Non merci.
PS L’étiquette « apostat » attribué à Constantin n’a pas de sens dans les religions païennes, qui toléraient tous les cultes. Par contre « apostat » a un sens dans la religion chrétienne qui ne tolère pas le polythéisme.
Pour mémoire, Audiard a dit » Un intellectuel assis va moins loin…. » et non moins vite qu’un con qui marche……