Le romancier belge francophone Georges Simenon est mis à l’honneur à Liège, sa ville natale, à l’occasion des 120 ans de sa naissance : un festival, « Le Printemps Simenon », s’y est déroulé du 8 au 11 mars 2023.
Au fil du temps, les expositions et autres événements consacrés au père du commissaire Maigret se succèdent, mais tous dissimulent sa réalité familiale : le frère de Georges, Christian Simenon, né le 21 septembre 1906, a été impliqué durant la Seconde Guerre mondiale dans un événement tragique et sanglant : la « tuerie de Courcelles ».
En effet, en 1944, alors que le parti rexiste, dirigé par Léon Degrelle, a sombré dans la collaboration avancée avec l’Allemagne nationale-socialiste, le bourgmestre rexiste – maire – du Grand-Charleroi, une ville importante de la province du Hainaut, Oswald Englebin, ainsi que sa femme et son fils, sont assassinés, par cinq hommes, lors d’une embuscade, probablement par des résistants, le 17 août 1944 à 12h40, à Courcelles, près de Charleroi.
Des rexistes locaux organisent en représailles des actions et abattent, lors de celles-ci, des individus.
Le chef ad interim de Rex – le vrai dirigeant du parti, Léon Degrelle, combattant sur le Front de l’Est au sein de la Waffen SS – Victor Matthys réunit des hommes à l’état-major de Rex à Bruxelles. Des actes sont décidés. Christian Simenon, qui après avoir travaillé au Congo au cours des années 1930, se trouve impliqué dans la collaboration politique, est chef de section III du service II au département politique de l’état-major de Rex. Il s’occupe des restaurants de Rex et est chargé d’intervenir auprès des services de contrôle afin d’obtenir la diminution ou l’annulation des sanctions visant des membres du parti. Il est le membre 40211 de Rex et son épouse Blanche Binet le 40210. Il prend son révolver dans un tiroir de son bureau et part, avec la volonté de tuer, habillé en uniforme rexiste, en direction de Charleroi. Il dirige un groupe d’hommes et dispose d’une liste dactylographiée de personnes qui peuvent devenir des otages, car considérées hostiles aux milieux de la Collaboration. La traque se déroule durant la nuit : des phares, une voiture, des coups sur une porte … qui finit par s’ouvrir, un homme arrêté et emmené dans le véhicule. Puis cela recommence plus loin.
Les personnes capturées sont rassemblées au sein du nouveau local de Charleroi de Rex. Elles sont ensuite transférées à Courcelles, à l’endroit où le bourgmestre rexiste Englebin a été assassiné. Tôt le matin, à 6h15, la tuerie débute : une balle dans la tempe et une dans la nuque pour chaque otage.
Au total, 27 hommes et femmes sont abattus le 17 et 18 août 1944 par des rexistes.
La fin de la guerre approchant, Christian Simenon laisse sa femme et son fils, dénommé Georget, et fuit en France. Il rencontre, à Paris, sur un banc place des Vosges, Georges, qui lui donne à choisir entre assumer ses actes devant la Justice belge, fuir en Espagne ou au Portugal, ou s’enrôler dans la Légion étrangère. Il s’engage dans cette dernière en juin 1945, sous le nom de Christian Renaud.
Après la libération du pays, les protagonistes sont jugés. Christian Simenon, absent, est condamné à mort le 3 août 1946, à l’issue d’un procès qui a débuté le 21 mai, par le Conseil de guerre de Charleroi. Deux témoins l’accusent d’avoir déchargé son pistolet sur le curé doyen de Charleroi Pierre Harmignie et trois autres d’avoir abattu une victime. L’acte judiciaire précise : « A participé aux commandos qui avaient pour but, le premier les arrestations de MM. Delvaux, Mayence et Stilmant, et le second les arrestations manquées de Mrs Chantraine et Cristel. » Il lui est aussi reproché d’« avoir participé à la transformation par l’ennemi d’institutions ou d’organisations légales ; avoir ébranlé en temps de guerre la fidélité des citoyens envers le Roi et l’État ou sciemment servi la politique et les desseins de l’ennemi ; avoir dirigé ou favorisé une propagande contre la résistance à l’ennemi, tout cela en étant membre d’une organisation rexiste ou d’ordre nouveau. »
Dans la nuit du 31 octobre au 1 novembre 1947, Christian Simenon est blessé en Indochine, entre Dong Kue et Thatke, et meurt quelques heures plus tard à l’infirmerie de son unité des conséquences d’une embuscade du Vietminh. Il est enterré là-bas.
Le parquet ayant interjeté appel contre le jugement pour tous les inculpés, la peine de mort frappant Christian Simenon est confirmée par la Cour militaire à Bruxelles le 22 février 1947.
27 auteurs sont exécutés le 10 novembre 1947. D’autres le sont par la suite, car impliqués dans d’autres affaires, ils doivent être jugés pour celles-ci. Christian Simenon est déchu de la nationalité belge le 16 novembre de la même année, alors que la justice ignore ce qu’il est advenu de sa personne.
Le système judiciaire, soumis aux fortes passions de l’époque, est à l’origine du nombre de 27 exécutés en réponse au nombre de 27 victimes. Cela laisse supposer que Christian Simenon, en fuite, puis décédé, aurait dû figurer parmi eux et qu’un autre a été tué à sa place.
Cette sombre affaire se répercute dans l’œuvre de Georges Simenon, notamment dans le roman La neige était sale, paru en 1948 aux Presses de la Cité.
En 1938, en épigraphe au roman Les Sœurs Lacroix, Georges Simenon écrivait prémonitoirement « Chaque famille a un cadavre dans l’armoire. » Christian Simenon deviendra celui de Georges.
Lionel Baland
(Illustration : merci à Eddy De Bruyne)
Sources :
ASSOULINE Pierre, Simenon. Biographie, Julliard, Paris, 1992.
BOUYSSE Grégory, Encyclopédie de l’Ordre nouveau hors-série – Wallonie (partie III), s.l., s.d. (2019).
CARLY Michel et LIBENS Christian, La Belgique de Simenon. 101 scènes d’enquêtes, Weyrich, Neufchâteau, 2016.
DE BRUYNE Eddy, Encyclopédie de l’occupation, de la collaboration et de l’Ordre nouveau en Belgique francophone (1940-45), Cercle Segnia, La Roche-en-Ardenne, 2016.
DEGRELLE Léon, Tintin mon copain, Pélican d’or, Klow, 2000.
GUIDÉ Freddy et LECLEF Marc, La Nuit de Courcelles, Foyer culturel régional de la Posterie, Courcelles, 1994.
LEMAIRE Alfred, Le crime du 18 août ou Les journées sanglantes des 17 et 18 août 1944 dans la Région de Charleroi, Imprimerie Maison d’Éditions, Couillet, 1947.
LEMOINE Michel et CARLY Michel, Les chemins belges de Simenon, Éditions du Céfal, Liège, 2003.
SIMENON Georges, La neige était sale, Presses de la Cité, Paris, 1948.
SIMENON Georges, Les Sœurs Lacroix, Gallimard, Paris, 1938.
Crédit photo : DR
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4 réponses à “Christian Simenon, le frère du romancier Georges Simenon, a été impliqué dans une tuerie de masse durant la Seconde Guerre mondiale.”
Oui, mais c’était la guerre, cruelle et sans pitié. Il y avait des collaborateurs de l’Allemagne nazie et des collaborateurs de l’Amérique crypto-communiste.
« Il prend son revolver dans un tiroir de son bureau et part… », phrase issue d’un roman?
Qu’est-ce qu’il se passe avec Breizh-Info? Je sais que la mode est à la techouva, mais quel intérêt à votre site a relayé ce type d’info? Ne pensez-vous pas qu’il y a d’autre campagne à mener? Je suis désespéré.
Qu’est-ce qu’il se passe avec Breizh-Info? Je sais que la mode est à la techouva, mais quel intérêt a votre site à relayer ce type d’info? Ne pensez-vous pas qu’il y a d’autre campagne à mener? Je suis désespéré.
Non, c’est ce que m’avait raconté, il y a entre 15 et 20 ans d’ici, un témoin de cette scène qui était dans le même bureau que Christian Simenon quand ce dernier a pris son révolver.