Paul Anselin n’est plus. Il fit beaucoup de choses dans sa vie : officier parachutiste (dans le même régiment que Jacques Chirac pendant la guerre d’Algérie), énarque, sous-préfet, directeur du personnel de la Ville de Paris … Originaire du Périgord, il débarque en Bretagne à la demande de son mentor Henri Thébaud, maire et conseiller général de Mauron ; ils se sont connus pendant l’Occupation dans un collège catholique d’Angoulême – le premier y était surveillant et avait fui la Bretagne pour échapper au STO, le second était un de ses élèves. Après la Libération, Thébaud entre en politique et devient député-maire de la ville (RPF). Mais sa grande idée est de revenir chez lui, à Mauron où se trouvent ses racines ; ce qu’il fait et devient facilement maire et conseiller général de sa commune natale. Reste à s’attaquer à la troisième étape : devenir député de la circonscription de Ploërmel. A première vue, l’opération semble facile, vu la popularité de Thébaud ; il embarque comme suppléant Paul Anselin aux élections législatives de 1973 ; mais une « fausse manœuvre » de ce dernier provoque la défaite de Thébaud, au profit d’un candidat centriste nommé Loïc Bouvard (CDS) qui fut vaguement « résistant » pendant la guerre à Saint-Marcel. Homme habile, Bouvard sut s’adapter à la mentalité « gallo » du pays de Ploërmel, ce qui lui permit de conserver la place jusqu’en 2012. La porte du Palais-Bourbon était fermée pour Anselin. Certes, il tenta sa chance contre Bouvard en 2018, mais la défaite fut sévère.
Profitant de la faiblesse du personnel politique local, Paul Anselin s’empara de la mairie de Ploërmel en 1977, ce qui lui donnait une base électorale. Tout en travaillant à Paris, il débarquait le vendredi et repartait le dimanche après-midi. Pendant ces journées, infatigable, il labourait le secteur, donnait mille coups de téléphone, ne ratait aucune fête ou banquet, recevait une foule de quémandeurs, écrivait ici et là, serrait une multitude de mains… De l’activisme à l’état pur pour ce roi de l’intervention. Le samedi matin, on le vit faire trois choses à la fois : recevoir des gens venant demander un coup de main pour une mutation, s’entretenir au téléphone avec un quidam et discuter avec un troisième larron qui venait d’entrer dans le bureau… Tout naturellement, il devint conseiller général du Morbihan et conseiller régional de Bretagne. Là, il aurait pu jouer un grand rôle, mais son côté « grande gueule » et son aptitude à se créer des ennemis en multipliant les attaques personnelles l’en empêchèrent. Un jour, au cours d’une séance du conseil général, Christian Bonnet, un poids lourd de la droite morbihannaise, lui expliqua que tout le monde dans l’hémicycle le détestait – ce qui n’était pas exact puisque Anselin était très copain avec quelques collègues qui avaient du caractère (un RPR, un PCF, un PS…). Il devait aussi compter avec ses deux ennemis locaux qui voyaient en lui un « agité », le sénateur (Josselin de Rohan) et le député (Loïc Bouvard) ; tous deux s’employaient à le maintenir à sa place, c’est-à-dire maire de Ploërmel. Par exemple, ils l’empêchèrent de devenir le président de la fédération du Morbihan lors de la création de l’UMP ; il doit se contenter d’un strapontin : « délégué » de la circonscription de Ploërmel…
Les affaires sont les affaires
A Paris, il entre dans différents cabinets ministériels, en particulier celui d’Alain Madelin, député de Redon, qui devient ministre de l’Industrie, des PTT (Gérard Longuet, ministre délégué, et François Goulard, directeur de cabinet) et du tourisme en 1986. Avantage formidable présenté par ce poste : Anselin a du pouvoir, mais aussi le contact avec les grands patrons et la main sur le robinet à subventions ; ce dont il va faire profiter le pays de Ploërmel. Un grand regret cependant : lors de la constitution du gouvernement en compagnie de Jacques Chirac, Madelin avait la possibilité de se « servir » ; il aurait très bien pu prendre en supplément le commerce. Or qui dit commerce, dit grandes surfaces, dit attribution de dérogations pour les implantations des magasins, dit versement de pots-de-vin, dit financement des campagnes électorales, expliquait plus tard Paul Anselin. Ayant compris que les employeurs les plus importants de la zone s’appelaient Yves Rocher (PDG des cosmétique du même nom) et Auguste Genovese (directeur de l’usine Citroën de Chartres-de-Bretagne), il s’arrange pour les fréquenter et entretenir de bonnes relations avec eux. Ce qui lui vaudra une usine de fabrication de parfums pour le premier et plusieurs sous-traitants de l’industrie automobile pour le second. Electoralement, cette image de créateur d’emplois est payante. Il était également très ami avec Jean-Pierre Le Roch, le président du groupe Intermarché – ceci explique cela.
Franc-maçon (GLNF) et fervent catholique, Paul Anselin joua sur ces deux tableaux. Dans le premier cas, en tant que colonel de réserve, il effectue des « missions » pour des « frères » qui sont ministres de la Défense nationale (Charles Hernu et Jean-Yves Le Drian) en Nouvelle-Zélande et en Afrique. Dans le second, il fait installer une statue de Jean-Paul II à Ploërmel, ce qui lui valut des ennuis avec des « laïcards » excités. Devenu homme d’affaires, en 2009, il est condamné dans le procès dit de l’« Angolagate » ; là il avait touché une commission de 485 000 euros de la part de la société de Pierre Falcone, l’un des principaux protagonistes dans cette affaire de commerce d’armes de guerre avec l’Angola. Vexation suprême pour un militaire : sa Légion d’honneur lui fut enlevée à cette occasion.
L’opération Guéant foire totalement
Faute de pouvoir devenir lui-même député de la circonscription, il songe à mettre en place un député « ami ». Pour remplacer ou succéder à Loïc Bouvard, il tente plusieurs opérations en parachutant des zozos parisiens aux élections législatives. Le plus célèbre fut François Guéant, fils de Claude Guéant, homme puissant à l’époque puisque secrétaire général de la présidence de la République (époque Sarkozy). Echec total, au second tour, il est battu par un nouveau venu appartenant aux milieux culturels bretons, Paul Molac – un homme du pays. L’image « homme de Sarkozy » a été fatale à Guéant qui, de surcroît, pendant la campagne, apparaît comme un homme insignifiant, même si ses partisans – les petits notables – affirment qu’il a le « bras long » (seul argument en sa faveur).
Ces parachutages de « Parisiens » le conduisent à vexer ses plus fidèles compagnons – ceux qui l’ont accompagné depuis le début et lui ont permis de réussir son implantation à Ploërmel ; car Paul Anselin a l’art et la manière de se fâcher avec ses amis les plus fidèles. Ce fut le cas avec Bernard Oger, avocat de son état, et premier adjoint au maire. La fâcherie fut telle qu’elle se transforme en guerre. Et aux élections municipales de 2008, Oger monte une liste concurrente. Ce qui provoque la défaite de Paul Anselin et la victoire de la liste de gauche conduite par Béatrice Le Marre ; le maire sortant démissionne du conseil municipal. Mais n’ayant pas digéré ce licenciement, il repart au combat six ans plus tard, avec une nouvelle équipe car ses anciens colistiers de 2008 – avec Patrick Le Diffon à leur tête – ne veulent plus travailler avec lui et s’allient avec Bernard Oger. L’élection prend la forme d’un référendum : pour ou contre Anselin. Ce dernier est facilement battu et devient conseiller municipal d’opposition… Situation humiliante lorsqu’on a été maire pendant 31 ans (1977-2008) et que le nouveau maire est son ancien lieutenant. Pendant les séances, Paul Anselin fait du Paul Anselin, interpellant les uns et les autres, leur faisant comprendre qu’ils ne sont pas à la hauteur, jouant à l’homme qui a des relations… Un numéro qui le dessert.
On retiendra de Paul Anselin que l’industrialisation de Ploërmel pèse lourd dans son bilan et que, grâce à un carnet d’adresses particulièrement fourni, il rendit de nombreux services à sa ville et à la Bretagne. Ses relations dans les milieux maçonniques lui permettaient en effet d’avoir des amis aussi bien dans les partis de droite que de gauche, si bien que, quelle que soit la couleur du gouvernement en place, il avait ses entrées dans les milieux dirigeants. Pourtant, il connut de grandes déceptions. Ainsi, en 1995, lorsque son « ami » Jacques Chirac devient président de la République, il se voit s’installant à l’Elysée en tant que conseiller, il rêve ensuite d’être nommé préfet ; il n’eut droit qu’à un lot de consolation : grand officier dans l’ordre de la Légion d’honneur. Après le grand incendie de la forêt de Brocéliande en 1976, il sut trouver les financements pour la remise en état de la forêt. Grâce à lui, François Pinault versa cinq millions de dollars et eut l’idée de l’arbre d’or – avec l’un de ses protégés, un artiste -, formidable réussite touristique. Pour les journalistes, c’était un « bon client », animateur hors pair, mais aussi créateur de polémiques, de querelles, de déclarations intempestives, ce qui permet de nourrir les colonnes des journaux avec des sujets « dynamiques ». Naturellement présent aux obsèques, au premier rang dans l’église, Jean-Yves Le Drian avait salué, lors de l’annonce du décès de Paul Anselin, « un personnage aussi marquant qu’atypique. Je retiens surtout de lui l’indépendance de vue et la spectaculaire ténacité qu’il cultivait au service de combats pour la Bretagne et les Bretons qui nous ont souvent rapprochés » (Dimanche Ouest-France, Morbihan, 12 mars 2023).
Bernard Morvan
Crédit photo : breizh-info.com
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8 réponses à “Paul Anselin, le parachuté qui incarnait Ploërmel”
Dernière nouvelle : Chirac « parachutiste ! » C’est la meilleure… Parachuté maintes fois certes, grâce à deux grands aéronefs, Marie-France Garaud et Pierre Juillet mais il n’a jamais franchi une porte de Noratlas, de Dakota ou encore de Junker de récupération. Pitié pour Saint-Michel et comme on criait dans les paras : « Et par Saint-Pépin, mort aux cons ! »
Chirac a servi au 6 ème Régiment de Chasseurs d’ Afrique, il n’ était pas parachutiste !!!
Chirac a fait son service au 6 ème Régiment de Chasseur d’ Afrique, pas dans un régiment parachutiste !!!!
Et le trafic d’armes avec l’angola pas un mot????
Pti Dav, apprends à lire : dans la section « les affaires sont les affaires », B.M. évoque l’Angolagate et la perte de la L.H. qui s’ensuivit. Mais il n’est pas donné à tout le monde de comprendre ce qu’il lit…
très bon article
Intéressant. Il y aurait sûrement une étude à faire sur ces Français de l’intérieur qui viennent gratter les voix des Bretons trop cons pour élire des étrangers.
Anselin, Ferrand et compagnie.
Sans parler de Berville. Lui, c’est le pompon !