Une livraison massive d’armes libyennes aux républicains de l’IRA a inquiété l’État irlandais à la fin des années 80, et cela au plus haut point, un haut responsable politique déclarant : « Bon sang, l’IRA pourrait déclencher une guerre civile avec ces armes. Et gagner« , selon un nouveau livre paru récemment en Irlande.
L’auteur, Gearóid Ó Faoleán, raconte la panique que la capture de l’Eksund, avec à son bord 150 tonnes d’armes modernes en provenance du colonel Kadhafi, a provoquée au sein de l’establishment politique et sécuritaire de la République d’Irlande en 1987.
A Broad Church: The Provisional IRA in the Irish Republic Volume 2: 1980-1989 analyse l’organisation paramilitaire durant ces années.
Malgré les craintes politiques, l’auteur écrit : « À aucun moment au cours des années 1980, l’IRA n’a véritablement représenté une menace existentielle pour la République d’Irlande. L’objectif était d’utiliser le territoire de l’État avant tout comme base logistique pour poursuivre la campagne contre l’État britannique et forcer son retrait d’Irlande du Nord. »
Le livre explique comment les Provisionals ont utilisé le Sud comme base pour armer et entraîner leurs membres, pour établir des refuges et pour financer le conflit par le biais de vols de banques et d’enlèvements. Il raconte comment l’IRA a utilisé des subventions du ministère de l’agriculture pour financer la construction d’étables qui abritaient des dépôts d’armes.
Il rappelle comment 100 passeports irlandais vierges, disparus du ministère des affaires étrangères en 1984, ont ensuite été utilisés par des membres de l’IRA dans le cadre de diverses opérations à l’étranger. Le livre relate aussi l’histoire des évadés du H-Block de 1983 (prison en Irlande du Nord) qui ont séjourné chez des membres éminents du Fianna Fail et du Fine Gael, les deux principaux partis politiques du pays, après avoir réussi à entrer tranquillement en République d’Irlande.
Ó Faoleán affirme : « Alors que le soutien de la population n’était pas majoritaire, des actions comme le signalement aux policiers d’activités suspectes de l’IRA, même de manière anonyme, étaient toutefois très mal perçues et sanctionnées. L’intensité et la longévité de la campagne de l’IRA indiquent clairement un niveau élevé et soutenu de soutien, de sympathie ou de tolérance parmi un pourcentage inconnu mais significatif de la population du sud »
Le livre détaille les retombées de la capture de l’Eksund, navire qui a été arraisonné par des policiers français à Brest. Sa cargaison comprenait des missiles antiaériens et des mitrailleuses lourdes capables d’abattre des avions militaires britanniques. Un millier d’AK-47, une douzaine de RPG-7, des centaines de grenades, des milliers de fusibles et de détonateurs électriques, des lance-flammes et deux tonnes de Semtex ont également été découverts.
Quatre cargaisons libyennes précédentes – d’un poids total identique – avaient été débarquées avec succès au cours des deux années précédentes. Ces livraisons ont permises à de nombreuses personnes de rester au sein de l’IRA : « Cela nous a permis d’avoir un meilleur armement. Cela ne nous a pas mis sur un pied d’égalité avec eux, mais cela nous a permis d’être à peu près au même niveau, c’est-à-dire d’être en mesure d’utiliser les mêmes armes que les Britanniques » indique un ancien membre de l’IRA au Belfast Telegraph.
Une vaste opération de répression a été mise en place après l’Eksund : 7 000 policiers et soldats irlandais ont fouillé plus de 50 000 maisons, y compris sur les îles Tory et Inisboffin. Les recherches s’étendent également à 164 bateaux de croisière sur la rivière Shannon et à 775 caravanes. En janvier 1988, les policiers ont découvert 100 fusils, mitrailleuses, grenades et explosifs sur la plage isolée de Five Fingers, près de Malin Head, dans le Donegal. Les armes avaient été stockées dans deux réservoirs de pétrole enterrés sous le sable.
Gearóid Ó Faoleán décrit des réactions populaires contrastées à la présence de l’IRA dans le sud de la République d’Irlande. Les tirs sur les policiers irlandais sont particulièrement impopulaires et condamnés.
Le livre explique également comment l’IRA a tenté de semer la pagaille avec de la fausse monnaie. En 1983, l’IRA a imprimé pour 1 million de livres sterling de faux billets de 10 livres sterling qu’elle entendait faire circuler parmi le grand public. L’opération « a nécessité une planification et une coordination considérables, car elle devait être menée au cours d’un seul week-end de vacances d’avril et impliquer des activistes dans tout le pays. Les magasins, les pubs, les hôtels et les bookmakers devaient être subrepticement inondés de faux billets, mais le plan a été interrompu par la police »
Le livre relate également les meurtres brutaux commis par l’IRA dans la République, notamment celui de George Elliott, ancien soldat de l’UDR et agriculteur, abattu dans un marché à bestiaux du Co Monaghan en juin 1980. Deux mois plus tard, William Clarke, agriculteur et soldat, a également été abattu dans le comté de Donegal après avoir traversé la frontière pour se rendre à Pettigo afin de livrer des pommes de terre.
La grève de la faim initiée par Bobby Sands et ses camarades a marqué l’apogée du soutien au républicanisme militant dans le sud. Une grande manifestation – comprenant des dizaines de membres de l’IRA masqués – a eu lieu dans la ville de Monaghan après la mort du gréviste de la faim Kieran Doherty en août 1981. La police n’est pas intervenue lorsque trois hommes armés ont tiré une volée de coups de feu sur un cercueil vide drapé du drapeau tricolore. Doherty avait été élu député de Cavan-Monaghan lors des élections irlandaises de 1981
Gearóid Ó Faoleán note cependant que même les plus grands rassemblements de soutien aux prisonniers politiques irlandais ne pesaient pas autant numériquement que les grandes manifestations contre l’impôt en 1978-80. Sa conclusion c’est que la sympathie, le soutien ou la tolérance à l’égard de l’IRA étaient clairement limités en République d’Irlande durant les Troubles.
A Broad Church: The Provisional IRA in the Irish Republic Volume 2: 1980-1989 de Gearóid Ó Faoleán est publié par Merrion Press, au prix de 17,99 £.
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