Thierry Jigourel sort une bande dessinée sur le Colonel Armand Tuffin de la Rouërie, « un personnage important de l’Histoire de Bretagne » [Interview]

Infatigable, Thierry Jigourel, éveilleur de peuple au service de la Bretagne, ne s’arrête plus d’écrire et de produire sur notre Histoire. Il vient de publier une bande dessinée intitulée Colonel Armand, aux éditions du Triomphe, consacrée au personnage d’Armand Tuffin de la Rouërie, éminent personnage de l’histoire de Bretagne.

Pour cette bande dessinée, il s’est attaché les services du dessinateur Mankho (Cadoudal, Avec les Christeros…)

En 1777, Armand Tuffin de la Rouërie, jeune officier breton à la recherche d’aventures, quitte la France pour l’Amérique et s’engage dans la guerre d’indépendance aux côtés des Insurgents face aux troupes anglaises.

Téméraire, généreux, droit, il devient un proche de Washington et gagne le surnom de « Colonel Armand » au gré de ses exploits militaires. Quand la guerre prend fin en 1783, son séjour américain s’achève : Armand de la Rouërie traverse l’Atlantique et retrouve sa Bretagne bien-aimée. Son expérience des idées républicaines le conduit à défendre les droits des Bretons face à la monarchie tandis que s’annonce la Révolution française. Très vite, la nature oppressive du mouvement politique lui apparaît : dès lors le « Colonel Armand » n’aura de cesse de se battre pour défendre la liberté de son peuple et de sa terre.

Il meurt d’épuisement en 1793 avant d’avoir vu à l’œuvre la chouannerie qu’il avait préparée.

Une bande dessinée à commander ici

Pour l’évoquer, nous avons passé Thierry Jigourel à la question.

Breizh-info.com : Qu’est-ce qui vous a amené au Colonel Armand, dans la foulée de votre série BD Breizh, histoire de Bretagne ?

Thierry Jigourel : Je connais l’existence d’Armand Tuffin de la Rouërie depuis que je m’intéresse à l’histoire de Bretagne , même s’il est moins connu que par exemple le marquis de Pontcallec , qui, selon les répliques de Jean-Pierre Marielle dans Que la fête commence voulut  » mettre la Bretagne en République » , soit constituer la Bretagne en république indépendante de la France . Le colonel Armand est un personnage romantique qui me plaît beaucoup . Il était désintéressé , c’était sans doute un grand amoureux , sans doute de la belle Thérèse de Moëlien , qui sacrifia sa vie à la cause de la Bretagne et qui lui fut toujours fidèle , un personnage entier, dévoué à la cause de la liberté, ou plutôt des libertés incarnées , au point, lui aussi d’aller jusqu’au sacrifice de sa vie, à l’âge de quarante-et-un ans . Nous lui avons déjà consacré une douzaine de pages dans le tome 8 de BREIZH , dessiné par Christophe Babonneau . J’avais envie , avec Mankho, Dominique Cèbe , mon dessinateur, rencontré sur le T 1 de l’histoire de Rennes , de lui consacrer un one shot entier . Voilà qui est fait grâce à l’écoute favorable et bienveillante de Thibaut Dary, notre éditeur, du groupe Fleurus .

Breizh-info.com : Quel fût son parcours ? 

Thierry Jigourel : Le parcours d’Armand fut celui d’un aristocrate de son lieu et de son temps . Il grandit au château de Saint-Ouen La Rouërie, non loin de Fougères dans un confort plutôt grand , mais il passa beaucoup de son temps à jouer avec les enfants de paysans du secteur . Plus tard , il s’engagea dans les gardes françaises , auprès du roi Louis XVI à Versailles . Il dut les quitter , après un duel avec un cousin du roi, qu’il laissa gravement blessé . Il fuit un moment en Suisse , à Genève , avant de traverser l’Atlantique, pour s’engager , avant La Fayette , auprès des patriots américains des treize colonies en lutte pour l’indépendance . Il s’y illustra par son courage et ses faits d’armes , il arma sa légion avec ses fonds personnels et gagna l’amitié indéfectible du président Washington . Il rentra en 1783 à la suite du traité de Paris qui reconnaissait cette indépendance et regagna ses terres après avoir refusé un grade de colonel d’infanterie . Il faut dire qu’il était rentré d’Amérique avec le grade de général de brigade de l’armée états-unienne . En 1788, très attaché aux droits et libertés de la Bretagne , il fit partie de la délégation des douze députés des Etats de Bretagne qui allèrent protester à Versailles contre la suppression- provisoire- du Parlement de Bretagne . Il s’y fit du reste emprisonner , à la Bastille, avec ses camarades . Libéré suite à la vague de protestation engendrée en Bretagne par ces arrestations arbitraires , il fut accueilli triomphalement à Rennes et à Fougères . Esprit « éclairé » de son temps , esprit sensible aux  » lumières » du XVIII e siècle, tout comme le procureur général de la Chalotais , emprisonné au château du Taureau deux décennies plus tôt, sous Louis XV , il aurait sans doute été partisan d’une monarchie constitutionnelle humaniste.

Comme Cadoudal ou d’autres chefs de la chouannerie, il ne semble pas qu’il ait été heurté par les débuts de la révolution . La suppression des institutions nationales des Bretons : Etats et Parlement, en automne 1789 , en revanche , le heurta profondément . Il ne les avait pas défendues contre la monarchie absolue pour accepter leur anéantissement par le nouveau régime . Lorsque ce régime , et en particulier la République, proclamée le 20 septembre 1792 lui apparut en contradiction totale avec les droits des Bretons , il joignit sa protestation à celle du comte de Botherel, dernier procureur général syndic des Etats de Bretagne, exilé à Jersey, qui, dans un placet resté célèbre, s’indigna contre les atteintes portées par l’ Assemblée Nationale française aux droits ancestraux de la Nation bretonne et qui, par ailleurs , accusait le « capitalisme », d’être dans un futur proche , responsable de la paupérisation de la Bretagne et de l’exploitation du peuple . Ses propos furent hélas visionnaires , puisque dès 1791, la loi Le Chapelier, en interdisant toute forme de syndicat , entérina le projet de la bourgeoisie, bénéficiaire de cette révolution faite par elle et à son profit . Armand partagea la colère de la paysannerie face au régime qui faisait flamber les impôts et interdit toute forme de réjouissance populaire autre qu’encadrée par l’Etat . Le nouveau régime, ultracentralisé et qui ne profitait qu’aux hauts fonctionnaires et à la bourgeoisie , l’horripilait. Il créa alors l’Association Bretonne , organisation clandestine , bientôt militaire , qui regroupa toutes les classes de la société bretonne , dans le but de restituer à la Bretagne ses droits de nation . Hélas , Armand meurt , d’une maladie contractée dans la vie errante que lui impose la traque par les autorités de la  » république » française , en janvier 1793, peu avant l’insurrection de mars , contre la levée en masse des 300 000 hommes dont sont exemptés nombre de fonctionnaires du régime .

Breizh-info.com : En quoi est-il un personnage majeur de l’histoire de Bretagne ?

Thierry Jigourel : Armand Tuffin de la Rouërie est un personnage important de l’Histoire de Bretagne dans le sens où, s’étant battu aux côtés des républicains états-uniens et proche de la franc-maçonnerie , il eut le courage de devenir rebelle pour défendre les droits de son pays et vivre une vie dangereuse , lorsque beaucoup firent allégeance à un régime devenu tyrannique . Il fit partie de ces esprits éclairés qui défendirent bec et ongles les droits cde la Bretagne , contre la monarchie absolue d’abord , puis contre une fausse république qui chaussa au plan du centralisme, les bottes de la monarchie absolue .

Breizh-info.com : Le Colonel Armand fût également un grand patriote breton. Qui avait conscience des conséquences désastreuses qu’apporterait la Révolution française pour notre pays. Expliquez- nous ?

Thierry Jigourel : Oui , le colonel Armand, comme le comte de Botherel avaient pressenti que l’Etat français, en détruisant nos institutions nationales , conduirait la Bretagne sur la voie de la paupérisation que nos ancêtres connurent et subirent au XIX e siècle . De la paupérisation et de l’exploitation capitaliste . J’ai dédié cette bd à un historien marxiste , Georges Soboul, pour qui l’insurrection vendéenne et la chouannerie furent des  » guerres de classe  » : le peuple incarné par la paysanerierejointe là où elle existait , par la classe ouvrière , contre les nouveaux nantis du régime : bourgeois et hauts fonctionnaires qui n’aspiraient qu’à prendre la place des nobles . Le romancier anarchiste Michel Ragon, auteur des Mouchoirs Rouges de Cholet , m’a ouvert les yeux également sur cette période traitée de manière très manichéenne et simpliste depuis le XIX e siècle par beaucoup . Il est important aussi de savoir que les zones géographiques qui se sont insurgées en 1793 sont celles où on brûlait les châteaux en 1789. Ce sont celles aussi, surtout dans les régions des marches , communes ou avantagères , où le peuple avait acquis une tradition de résistance aux volontés des monarques absolus . Cette réalité historique échappait totalement aux idéologues idolâtres de la révolution française tels Victor Hugo, dont la vision de la Révolution fut imposée à des générations de petites têtes blondes , comme à ses adversaires  » monarchistes » . Il est important de dépasser ces images d’Epinal .

Breizh-info.com : Comment expliquez-vous qu’il ne soit pas plus étudié que cela à l’école ?

Thierry Jigourel : Armand Tuffin de la Rouërie n’est pas plus étudié à l’école que Sébastien Le Balp, le marquis de Pontcallec , Jean IV , Jean Ier le Roux ou Nominoë, pour une raison évidente . Sur les banc de l’école française on enseigne l’histoire de France , soit celle du vainqueur et non celle du vaincu . Pour l’école d’un Etat totalitaire comme c’est le cas en France , les peuples vaincus et colonisés n’existent pas . Ils n’ont aucun droit parce que leur existence même est niée. Pourquoi dès lors enseigner l’histoire de peuples qui n’existent pas ? Le colonisateur enseigne sa propre histoire aux peuples colonisés . C’est le cas aujourd’hui en Bretagne comme ce fut le cas , pendant longtemps , en Afrique .

Breizh-info.com : Encore une fois, vous choisissez la bande dessinée pour promouvoir un personnage important de notre histoire. Un meilleur hameçon pour diffuser notre longue mémoire auprès de la jeunesse ? Peut-on imaginer une réalisation de type Vaincre ou Mourir, un jour, sur l’histoire bretonne ?

Thierry Jigourel : La bande dessinée est un support populaire pour permettre aux gens de s’approprier ou de se réapproprier une histoire interdite sur les bancs de l’école française . C’est un moyen de résistance , et qui me plaît bien, parce qu’il permet de donner vie à des personnages de notre histoire . Cette scénarisation de l’histoire me plaît . Je suis arrivé à ce genre un peu par hasard . Mais je m’en suis emparé et je m’y sens à l’aise . J’y ai fait aussi de belles rencontres comme celle de Mankho qui allie une qualité artistique du dessin à de fines connaissances historiques et à un goût de la recherche . Un grand film historique , une grande fresque historique sur des personnages de l’histoire de Bretagne ? Ce serait un événement ! Boudicca , Nevenoë, ou le colonel Armand s’y prêteraient bien , évidemment ! Mais les Bretons n’ont pas de réalisateurs installés à Hollywood , contrairement aux Irlandais ou aux Ecossais . Difficile dans un proche avenir d’imaginer l’équivalent pour nous d’un Michael Collins ou d’un Braveheart . Quant aux Français , pour eux , la Bretagne se résume à Bécassine . J’évite systématiquement de voir un film français sur la Bretagne . En général , le pays n’y est qu’une carte postale et les thématiques traitées soit n’ont aucun intérêt soit ne sont pas bretonnes . Donc aucun espoir du côté des réalisateurs français et parisiens . Aucun, à part un, peut-être, du côté du réalisateur Thierry de Navacelle , auteur déjà d’un ouvrage très fouillé sur le colonel Armand et qui envisage de lui consacrer une série télévisée en six épisodes . Une affaire à suivre ! J’espère qu’il trouvera les fonds et des oreilles bienveillantes . J’espère aussi qu’on ne lui commandera pas de gommer l’engagement national breton du colonel Armand .

Breizh-info.com : Quels sont les premiers retours sur la bande dessinée ? Et vos futurs projets ?

Thierry Jigourel : Les retours sont bons . Aucune critique négative , au contraire . La presse bretonne est enthousiaste . France 3 nous a consacré un joli sujet . Les radios bilingues ou locales aussi . Le Trégor , une pleine page . Ouest-France une demi page en édition Ille et Vilaine et une autre en page Bretagne . Et nous avons même eu un excellent article dans le Figaro le week-end dernier . Après avoir scénarisé l’histoire et donné vie à des personnages historiques , j’aimerais bien aller un peu plus dans le sens de la création . Faire du roman historique . En bd . En écriture classique . Et renouer aussi avec le fantastique celtique . J’ai divers projets qui vont dans ce sens , chez différents éditeurs .

Propos recueillis par YV

Crédit photo : DR
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2 réponses à “Thierry Jigourel sort une bande dessinée sur le Colonel Armand Tuffin de la Rouërie, « un personnage important de l’Histoire de Bretagne » [Interview]”

  1. COMBOT dit :

    Une fois encore, je regrette amèrement que l’Histoire de la Bretagne ne soit plus enseignée dans les écoles bretonnes, à commencer par celles des primaires.
    Les cénaristes bretons ne pourraient-ils pas faire revivre dans des films l’histoire de la Bretagne en reprenant quelques « pages » de celle-ci.

  2. Sébastien Girard dit :

    Si vous désirez en savoir plus sur Armand Tuffin de la Rouerie et les personnages qui ont aidé à l’indépendance américaine. Je vous conseille le livre de mon beau père le docteur Philippe Carrer « La Bretagne et la guerre d’indépendance américaine » édité aux Portes du Large en 2005. On peut le trouver par internet aux éditions Les portes du Large.

    Bernard Le Nail avait fondé cette maison d’édition. Il est aujourd’hui décédé. Il avait été directeur de l’Institut Culturel de Bretagne.

    Concernant La Rouerie Thierry de Navacelle producteur de cinéma essaie d’adapter une série

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