Guerres, crises… Qui est responsable du désordre mondial ?

Notre président, lors de la 53ème « Conférence sur la sécurité » à Munich, a affirmé que la France soutiendrait l’Ukraine et que la Russie devait perdre cette guerre. Cependant, il ne nous a pas donné la ou les raisons pour lesquelles l’Ukraine devait gagner et la Russie perdre. Le quotidien Ouest-France, commentant sa prise de parole, écrit : « Le président de la République a pris la parole peu avant 15 h, affirmant que la Russie était devenue « une puissance du désordre », dont les projets en Ukraine doivent « échouer ». « L’heure n’est pas au dialogue » avec Vladimir Poutine, estime Emmanuel Macron, qui s’est dit prêt à « un conflit prolongé ». Et ne croit pas à un changement de régime à Moscou ». Il nous annonce simplement que la Russie est devenue une « puissance du désordre ». De quel désordre s’agit-il ? Pour essayer de comprendre, un retour en arrière de quelques années s’impose. Très exactement en 2007.

Poutine dénonce l’hégémonie américaine

Nous sommes en février, à Munich, lors de la 43ème Conférence sur la sécurité, communément appelée le « Davos de la sécurité ». Le journal Le Monde écrit, dans son édition du 12 février 2007:  « Un pays, les États-Unis, sort de ses frontières nationales dans tous les domaines. C’est très dangereux : plus personne ne se sent en sécurité, parce que personne ne peut plus trouver refuge derrière le droit international », a déclaré le président russe. « Ceci alimente une course aux armements, avec le souhait de pays de se doter d’armes nucléaires », a-t-il assuré dans une allusion indirecte à l’Iran.

Le chef du Kremlin qui, comme Robert Gates (ancien directeur de la CIA), s’est présenté comme un « ancien espion » de la guerre froide, a donné sa définition du « monde unipolaire » voulu, selon lui, par Washington : « Cela signifie un centre de pouvoir, un centre de décision agissant comme un maître unique, un souverain unique, qui s’effondrera de l’intérieur. Cela n’a rien à voir avec la démocratie. »

En 2007, le monde n’avait pas encore subi la grande crise financière de 2008, qui allait mettre en évidence la mondialisation de la finance et la fragilité d’un système bancaire délivré de toute contrainte par l’abrogation du « Glass-Seagall Act ». La notion du « Too big to fail » en liaison avec la notion de « banque systémique » allait très clairement montrer les limites du système néo-libéral et mettre au grand jour l’emprise du  dollar sur l’économie mondiale.

Mise en évidence des moyens de la domination

En 2007, Poutine n’abordait pas le problème monétaire. C’est le livre « La guerre des monnaies » écrit par le Chinois Hong BingSong et sous-titré « La Chine et le nouvel ordre mondial » (Editions le retour aux sources) et devenu un best-seller en Chine, qui a révélé le rôle majeur du dollar, devenu instrument de domination de la planète. Ce livre n’a fait que rendre publique ce que les spécialistes monétaires savaient déjà. Cette capacité à émettre de la monnaie sans limite et la puissance militaire des Etats-Unis devaient leur assurer une hégémonie durable en les mettant hors d’atteinte de toute autre puissance, leur permettant d’installer ce « nouvel ordre mondial »

La riposte des « émergents »

Conscients de leur poids économique grandissant, les BRICS ont patiemment construit une stratégie  afin de pouvoir substituer au dollar une autre monnaie qui ne les pénaliserait pas. Après avoir compris que la faiblesse du dollar résidait dans son manque de valeur « intrinsèque », condition nécessaire à sa création sans limite à partir de rien, qui faisait de cette monnaie une « fausse monnaie » qui ne tenait que par sa situation de quasi-monopole dans le commerce international, ils recherchèrent comment ils pourraient contourner cette difficulté. Leur raisonnement fut analogue à celui des conseillers de de Gaulle, Maurice Allais et Jacques Rueff, qui l’avaient convaincu de prôner le retour à « l’étalon-or », ce dont les financiers anglo-saxons, comme il les appelait, ne voulait pas entendre parler. Il faut dire qu’ils avaient mis plus de cinquante ans avant de pouvoir s’en débarrasser.

C’est sur ces bases qu’ils commencèrent à réfléchir à l’introduction d’un nouvel instrument monétaire qui leur permettrait d’échanger entre eux dans un premier temps. On vit alors se dessiner les contours d’une nouvelle monnaie qui, elle, aurait une valeur intrinsèque. La Chine, puis ensuite la Russie, furent les éléments moteurs pour des raisons différentes. La première car elle avait accumulé des réserves de dollars énormes dues à ses excédents commerciaux mais dont la valeur pouvait, sinon réduite à néant, mais fortement diminuée par le seul pouvoir de la FED ; la seconde car elle avait subie, à la fin des années 90, cette dépendance forcée au dollar. Enfin, il existe une loi empirique qui veut que la monnaie utilisée en réserve internationale soit celle de l’économie la plus importante.

La véritable dimension de la guerre en Ukraine

Le fait d’utiliser une autre monnaie que le dollar condamnait irrémédiablement le monde monopolaire tel que le voulait l’élite financière mondialiste. Plusieurs solutions furent envisagées par cette élite pour conserver son pouvoir financier. Mark Carney les décrit dans son discours devant les banquiers centraux réunis en aout 2019 à Jackson Hole (Wyoming) : «  Si changement il y avait, ce ne devrait pas être pour échanger une devise hégémonique contre une autre. Tout système unipolaire est inadapté à un monde multipolaire ».  

Partant de cette constatation (qui acte par ailleurs la fin du monde monopolaire), il poursuit son analyse : « L’utilisation accrue du Yuan dans le commerce international conduit également à son utilisation croissante dans la finance internationale. Cela a été rendu possible par les réformes des systèmes monétaire, de change et financier de la Chine qui ont libéralisé et amélioré l’infrastructure de ses marchés financiers, faisant du Yuan une réserve de valeur plus fiable. L’initiative des nouvelles routes de la soie pourrait favoriser davantage l’adoption du Yuan dans le commerce et la finance.  De plus, l’histoire nous enseigne que la transition vers une nouvelle monnaie de réserve mondiale pourrait ne pas se dérouler sans heurts ».

Et il conclut : « En ce qui concerne l’offre de monnaies de réserve, les problèmes de coordination sont plus importants lorsqu’il y a un petit nombre d’émetteurs que lorsqu’il y a soit un monopole, soit un très grand nombre d’émetteurs. Si la montée du Yuan peut, avec le temps, fournir un plan B aux problèmes actuels du SMFI, la première solution serait de construire un système multipolaire ». 

Mais il envisage également une autre solution, issue des progrès du numérique : « La plus en vue de ces technologies est Libra – une nouvelle infrastructure de paiements fondée sur un stablecoin international entièrement soutenu par les actifs de réserve d’un panier de devises incluant le dollar américain, l’euro et la livre sterling. Elle pourrait être échangée entre utilisateurs sur les plateformes de messagerie et avec des distributeurs partenaires ».

Ce qu’il ne dit pas, c’est que cette solution conserverait le contrôle de cette monnaie à l’élite financière en place, mais il considère probablement que c’est implicite…

Depuis 2019, il y a eu le Covid et la démondialisation latente, accentuant la pression vers un monde « multipolaire ». La guerre en Ukraine et les sanctions économiques frappant la Russie, qui devaient « mettre son économie à genoux » ont accéléré le processus de dédollarisation. Ne pouvant plus utiliser le dollar pour vendre ses produits, la Russie a imposé le paiement en roubles, qui fut accepté par les autres BRICS. Les votes à l’ONU ont montré que la ligne de clivage séparait l’Occident du reste du monde. Aujourd’hui même, ce sont les BRICS qui accélèrent le processus qui va les conduire à l’indépendance par rapport au dollar, ce qui constitue une « réponse du berger à la bergère » Pour conserver son hégémonie mondiale, l’Occident doit conserver le dollar coûte que coûte.

La Russie apparaît, aux yeux d’Emmanuel Macron et de la plupart des dirigeants occidentaux, comme le responsable de ce qui devient un « désordre mondial ». Elle ne doit à aucun prix gagner la guerre en Ukraine. Sa victoire signifierait la ruine de l’Occident mais je crains que le rapport de forces ne soit plus en la faveur de ce dernier. Ce n’est pas par hasard que la majeure partie de l’humanité refuse aujourd’hui un monde façonné par l’oligarchie financière utilisant la monnaie et la puissance militaire américaine. La Russie n’apparaît aujourd’hui que comme l’arbre qui cache la forêt.

Cette guerre ne doit pas être réduite à un problème de frontières et le droit international invoqué (très discutable au demeurant, puisque les États-Unis ont créé le précédent de l’Irak en 2003) n’est qu’un paravent destiné à cacher le véritable affrontement qui oppose à l’Occident le reste du monde et dont le contrôle de la monnaie est un enjeu majeur.

Jean Goychman

Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2023, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

Cet article vous a plu, intrigué, ou révolté ?

PARTAGEZ L'ARTICLE POUR SOUTENIR BREIZH INFO

7 réponses à “Guerres, crises… Qui est responsable du désordre mondial ?”

  1. Pschitt dit :

    Expliquer l’état du monde par les manoeuvres d’une oligarchie financière est une tentation idéologique qui remonte au 19e siècle ! Au lieu de dire « les rois de la mine et du rail » ou « les Rothschild », on dit aujourd’hui « le dollar », mais l’idée reste la même. Corrélativement, le fantasme eschatologique d’un effondrement du dollar court depuis des décennies. S’il fallait fixer une date symbolique, je dirais août 1971 et la fin de la convertibilité du dollar en or. Cependant, ce n’est pas le dollar qui détermine l’état du monde, mais l’inverse. Vous l’évoquez d’ailleurs au passage : « il existe une loi empirique qui veut que la monnaie utilisée en réserve internationale soit celle de l’économie la plus importante ».
    Par conséquent, le vrai danger pour le dollar est ce que vous appelez justement la « démondialisation latente ». Son sort sera celui des Etats-Unis, menacés de déchéance à force d’immigration, d’arrogance, de changement climatique et de dérives culturelles. En revanche, il ne faut pas trop compter sur l’invention d’une solution « géniale » du genre panier de monnaies ou innovation technologique. Le Libra, que vous évoquez comme une solution technologique avancée, a déjà disparu… A terme, un grand bordel monétaire paraît bien plus probable qu’un nouvel ordre financier ! Dangereux, certes, mais propice à une démondialisation accélérée.

    • Dominique dit :

      Remarquez qu’un économiste inventa un nouveau système monetaire pour sortir un pays européen qui avait été foudroyé par une inflation aux conséquences tragiques.

      Le professeur Schacht créa l’étalon-travail et l’Allemagne s’échappa très vite des griffes de la livre et du dollar.

      Preuve qu’il est possible de sortir du système financier américain, dit S F international, qui enrichit les banquiers de New York.

  2. gautier dit :

    On peut se retourner de tous les cotés, ce sera toujours les millards de gens qui souffrirons, alors que les quelques centaines de milliardaires qui oeuvrent dans le secret ordonneront qui doit vivre ou mourir ! quelques centaines, et nous des milliards !! alors ont attend quoi !!!

  3. Dominique dit :

    La guerre serait selon vous un paravent ?
    Vous avez le don pour faire des conclusions qui cachent toujours les noms.

    Car ce sont des grands banquiers qui possèdent le dollar et manoeuvrent le système financier international. Et jamais vous ne les nommer !

    Seriez vous lâche ? Ou voulez vous maintenir vos lecteurs dans l’ignorance ?

  4. Dominique dit :

    On attend déjà que les chroniqueurs-qui-savent-tout nous donnent les noms des quelques pieuvres milliardaires qui ont pris les rennes des armées américaines pour dévaster le monde et imposer leur Ordre Mondial.

  5. Corlou dit :

    Le choc des titans ne serait tarder , l’affrontement sera tout autant économique que militaire , et Taïwan servira d’accélérateur aux 2 monstres que sont la Chine et les États-Unis .
    N’oublions pas le niveau de la dette américaine qui est en partie détenue par des fonds chinois et l’état de ce pays , et ce fait est à considérer dans l’équation future .
    La Chine est maintenant réveillée et n’est pas prête de se rendormir , et l’Europe dans cette affaire n’est qu’1 vallet à terme sans doute soumit à l’un ou l’autre des 2 superpuissances

  6. patphil dit :

    depuis leur indépendance, combien d’années les usa n’ont pas été en guerre en qualité de gendarme « autoproclamé) du monde ?

ARTICLES EN LIEN OU SIMILAIRES

Tribune libre

Mais de quelle Europe parlons-nous? [Tribune libre]

Découvrir l'article

Economie, Tribune libre

Sortir de l’euro devient vital [Tribune Libre]

Découvrir l'article

Politique

Tous les Premiers ministres mèneront à Bruxelles

Découvrir l'article

Tribune libre

Le peuple français doit se rassembler [L’Agora]

Découvrir l'article

Economie, International

Donald Trump menace les BRICS de tarifs douaniers à 100 % en cas de dédollarisation

Découvrir l'article

A La Une, Politique

Pourquoi le gouvernement Barnier pourrait bien être censuré

Découvrir l'article

International

USA. Quels sont les attentes concrètes des électeurs de Donald Trump ?

Découvrir l'article

A La Une, International

Alain de Benoist : « Donald Trump était le candidat des classes populaires, c’est la raison pour laquelle il l’a emporté » [Interview]

Découvrir l'article

International

Élections américaines 2024 : Quand connaître les résultats et à quoi s’attendre ?

Découvrir l'article

A La Une, International

L’irrésistible montée des BRICS

Découvrir l'article

PARTICIPEZ AU COMBAT POUR LA RÉINFORMATION !

Faites un don et soutenez la diversité journalistique.

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur Breizh Info. Si vous continuez à utiliser le site, nous supposerons que vous êtes d'accord.

Clicky