Réforme des retraites : les petites villes prennent l’habitude de manifester

« Les manifestants défilent contre eux-mêmes et contre leurs propres enfants », explique Eric Woerth (Renaissance, ex-LR), député de Chantilly et ancien ministre (BFM TV, 1^er février 2023). Malheureusement, il n’est pas compris ; c’est ce que montrent les défilés organisés en Bretagne contre la réforme des retraites – il y a foule. On peut fournir quelques chiffres concernant les manifestations du samedi 11 février. Certes rien d’étonnant en ce qui concerne les grandes villes : 47 000 personnes à Nantes (comptage Ouest-France), 32 000 à Rennes (d’après Ouest-France), 15 000 à Saint-Nazaire (d’après les syndicats)… Mais on trouve plus original dans les petites villes de la Bretagne intérieure : 1 800 personnes à Châteaubriant (comptage Ouest-France), 3 000 à Redon (selon la police), 6 500 à Pontivy… Même les habitants des îles se sont mobilisés : 400 personnes à Groix et 230 à Belle-île (Dimanche Ouest-France, Morbihan, 12 février 2023).

La nouveauté est à rechercher à Ploërmel, petite ville où les manifestations n’appartiennent  pas à la culture locale. Selon le comptage Ouest-France, le cortège était riche de 1 300 personnes. Une centaine d’ouvriers de l’usine Yves Rocher, menacée de fermeture, se trouvaient en tête du cortège, avec une grande banderole sur laquelle on pouvait lire : « Viré-es de chez Rocher, nos retraites vont avoir un drôle de parfum ! » (FO). « A l’usine de Ploërmel, nous sommes principalement des femmes avec une moyenne d’âge supérieur à 50 ans, explique Nelly Mauvoisin, déléguée FO du site. En ce moment, nous sommes doublement impactées. On nous dit qu’il faut travailler deux ans de plus mais, dans le même temps, notre employeur ne veut plus de nous » (Dimanche Ouest-France, Morbihan, 12 février 2023). Même un gros bourg comme Dol-de-Bretagne (5 700 habitants) a connu un succès inattendu : 600 manifestants, une première pour la cité épiscopale pas habituée à ce genre de contestation ; beaucoup de jeunes qui étaient sur le pavé pour la première fois. Stéphane confie : « J’ai eu un métier difficile, je travaille dans le bâtiment, j’ai quatre CAP, mais franchement, je ne me vois pas aller au-delà de 60 ans. Ce métier que j’aime m’a usé. » (Dimanche Ouest-France, Ille-et-Vilaine, 12 février 2023). A Ancenis, ils étaient 3 500 (selon la préfecture), femmes, maris et enfants. Là aussi, le discours sur la pénibilité apparaissait fréquemment. C’est le cas d’Aurélie, aujourd’hui agent d’entretien dans une école primaire d’Ingrandes, hier ouvrière dans l’agroalimentaire ; intérimaire, elle s’est retrouvée à « inséminer des canes au pistolet. C’était au-delà de ce que je pouvais accepter, je suis partie. Mais des gens restent. Ils n’ont pas le choix. J’ai définitivement dit stop à l’agroalimentaire au bout de dix ans. J’allais à reculons au travail » (Dimanche Ouest-France, Loire-Atlantique, 12  février 2023).

On ne peut pas dire que Macron soit populaire

Evidemment, le métier de député que pratique Eric Woerth depuis longtemps est moins fatigant et la retraite plus nourrissante. On remarquera également que le mouvement bénéficie d’un incontestable soutien populaire ; c’est que montrent les différentes enquêtes réalisées par les différents instituts de sondage. « Etes-vous favorable ou défavorable à la réforme des retraites proposées par Emmanuel Macron et le gouvernement ? ». Réponse : 68 % défavorables et 32 % favorables (Ifop, Le Journal du dimanche, 29 janvier 2023). « Vous personnellement quelle est votre attitude par rapport à la mobilisation contre la réforme des retraites ? » Réponse : 69 % des Français soutiennent la mobilisation contre la réforme des retraites (Odoxa, Le Figaro, vendredi 10 février 2023). « Soutenez-vous le mouvement social actuel s’opposant à la réforme des retraites » Réponse : oui pour 63 %, non pour 28 % et non-réponse pour 9 % (Viavoice, Libération, samedi 11 et dimanche 12 février 2023).

Voilà des données qui devraient donner à réfléchir aux gens de l’Elysée. D’autant plus que la popularité du chef de l’Etat est médiocre. La cote de confiance d’Emmanuel Macron : 57 % des Français ne lui font pas confiance, 35 % lui font confiance et 8 % sont sans opinion (Kantar Public-Epoka, Le Figaro Magazine, 3 février 2023). « Etes-vous satisfait ou mécontent d’Emmanuel Macron comme président de la République ? » Réponse : 65 % des personnes interrogées sont mécontentes et 34 % satisfaites (Ifop, Le Journal du dimanche, 22 janvier 2023). « Le gouvernement est en train de perdre la bataille de l’opinion », constate Frédéric Dabi, directeur général de l’Ifop. D’après ce dernier, le Président se trouve minoritaire dans toutes les catégories sans exception ; il enregistre ses meilleurs scores chez les plus de 65 ans (40 % de satisfaits) et les retraités (39 %). Seul – et maigre – motif de consolation : 87 % de ses électeurs d’avril s’affirment satisfaits (Le Journal du dimanche, 22 janvier 2023). Certes Emmanuel Macron peut considérer que tout cela n’a guère d’importance puisque l’article 6 de la Constitution stipule que « le président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct. Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ». Et comme il a été réélu l’an passé, il peut songer dès maintenant à sa reconversion : banquier d’affaires, commissaire européen, voire président de la Commission européenne… L’important pour lui est de quitter le « job » avec l’image d’un « réformateur efficace », ayant osé faire ce que François Hollande s’était bien gardé d’entreprendre.

Bernard Morvan

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