« En rajoutant la violence à sa stratégie d’obstruction parlementaire, la gauche n’a certainement pas haussé le niveau. Jean-Luc Mélenchon ayant fait le choix d’instrumentaliser la bataille des retraites au service de la guéguerre qu’il mène au sein de sa propre formation. Quitte, c’est un comble, à contrarier le plan de bataille pourtant rondement mené par les syndicats », écrit Paul Quinio, directeur délégué de la rédaction de Libération, dans un éditorial (samedi 18-dimanche 19 février 2023).
Les explications de M. Quinio sont très insuffisantes. En effet, d’entrée de jeu, avec les 13 000 amendements déposés par LFI (18 000 pour toute la Nupes), on savait que les députés ne parviendraient pas à examiner et encore moins à voter le fameux article 7 du projet de loi rectificative de financement de la sécurité sociale (« Projet pour l’avenir du système de retraite »). Le temps ferait défaut car l’article 47-1 de la Constitution stipule – pour les projets de loi de financement de la sécurité sociale – que « si l’Assemblée nationale ne s’est pas prononcée en première lecture dans le délai de vingt jours après le dépôt d’un projet, le Gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours (…) Si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de cinquante jours, les dispositions du projet peuvent être mises en œuvre par ordonnance ». C’est clair : impossible dans ces conditions de discuter du recul de l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans (article 7). D’autant plus que « les députés de la France insoumise (LFI) se retrouvent chaque semaine au cœur de nouveaux incidents à l’occasion des débats » (Le Monde, jeudi 16 février 2023). C’est ainsi que, vendredi soir, « à 20 heures, les députés n’avaient pas encore atteint l’article 3 du texte qui en compte vingt » (Libération, samedi 18-dimanche 19 février 2023). Pourtant, les Insoumis avaient fait des « efforts » en retirant un millier d’amendements dans la soirée du jeudi 16 février, avant d’en retirer de nouveau 600 vendredi matin. Mais il en restait 1 300 – à examiner avant le fameux article 7.
La position de Jean-Luc Mélenchon est simple ; il appelle ses « camarades » à être « les maîtres du temps ». « Ne vous laissez pas bourrer le crâne par ceux qui vous disent qu’il faut aller tout de suite à l’article 7 », déclare-t-il lors d’un meeting à Montargis (Le Monde, samedi 18 février 2023). Ses alliés de la Nupes ne partagent pas ce point de vue ; c’est ce que défend Sébastien Jumel (PCF), député de Dieppe : il appelle « l’ensemble [de ses] collègues à accélérer les débats pour qu’ [ils puissent] aller au cœur » de la réforme (Le Monde, samedi 18 février 2023). Bref, grâce à « Méluche » et à ses copains, la question centrale du projet de loi ne sera pas abordée à l’Assemblée nationale en première lecture. Le président de la République et le Gouvernement peuvent remercier les Insoumis. C’est ce qu’explique un stratège Renaissance : « Heureusement que les Insoumis font durer les débats… Car je crois bien que l’on pourrait perdre. Finalement, ça nous arrange bien… S’ils retiraient tous leurs amendements, on ne pourrait pas se permettre de faire de l’obstruction » (Le Figaro, samedi 18-dimanche 19 février 2023).
Comment les sénateurs bretons se comporteront-ils ?
Ce ne sera donc pas l’heure de vérité pour les députés bretons. Auraient-ils voté comme le Gouvernement le souhaite ? Ou bien auraient-ils défendu les intérêts de leurs électeurs ? Quelques-uns appartenant à la majorité présidentielle et à la droite se sont déjà exprimé sur le sujet. « Je ne suis guère enthousiaste devant la réforme qui sera soumise début février au Parlement », indique Jean-Charles Larsonneur (Horizons), député de Brest-centre (Le Télégramme, Brest, mardi 24 janvier 2023). Thierry Benoît (Horizons), député de Fougères, est plus radical : « Je ne voterai pas n’importe quoi ! Dans ma circonscription, industrielle et agricole, je côtoie les petits salaires, les petites retraites. Je suis le porte-parole des Français modestes. La réforme ne passera que si elle et équitable » (Ouest-France, jeudi 26 janvier 2023). Jean-Luc Bourgeaux (LR), député de Saint-Malo, est plus précis : « En l’état, si les choses n’évoluent pas, c’est très clair, je voterai contre. Ma ligne rouge, c’est que la durée de cotisation doit l’emporter sur l’âge légal. En l’état actuel du projet, ceux qui ont commencé à travailler avant 21 ans vont devoir cotiser 44 ans. Le recul de l’âge légal à 64 ans ne me pose pas de problème (…) J’estime que quand on a fait ses 43 ans, on doit pouvoir partir à la retraite, quel que soit son âge. D’autant que ceux qui commencent à travailler tôt sont généralement dans des métiers un peu plus durs du point de vue physique. » (Ouest-France, Ille-et-Vilaine, 4-5 février 2023). Avec Laurence Maillart-Méhaignerie (Renaissance), député de Rennes-Cesson-Sévigné, on a droit à un discours plus politicien ; elle reconnaît que la réforme des retraites n’est « pas populaire » et « ne suscite aucun enthousiasme ». Aussi explique-t-elle à ses administrés ne pas mener cette réforme « de gaieté de cœur », mais par « esprit de responsabilité et de solidarité avec la majorité » (Le Figaro, jeudi 16 février 2023). Tous peuvent se féliciter de ne pas avoir eu à se « mouiller » lors de la première lecture à l’Assemblée nationale – ce qui évite de se faire engueuler par les électeurs lorsqu’on soutient le projet. Le texte, dans sa version gouvernementale, sera examiné au Sénat à partir du 2 mars. Comme il n’y a pas de groupe LFI au Palais du Luxembourg, on peut supposer que l’article 7 donnera lieu à un débat et à un vote ; chacun prendra ses responsabilités. Les 19 sénateurs de Bretagne ne pourront pas prendre l’affaire à la légère : Annie Le Houérou, Jean-Luc Fichet, Sylvie Robert, Yannick Vaugrenard et Michelle Meunier pour le PS ; Gérard Lahellec pour le PCF ; Daniel Salmon pour EELV ; Laurence Garnier, Muriel Jourda, Alain Cadec, Philippe Paul et Dominique de Legge pour LR ; Michel Canevet pour le MoDem ; Nadège Havet pour Renaissance ; Françoise Gatel, Jacques Le Nay et Joël Guerriau pour l’UDI ; et les deux écolos (Ronan Dantec et Joël Labbé).
Bernard Morvan
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Une réponse à “Retraites : Emmanuel Macron peut remercier Jean-Luc Mélenchon”
les LFI (et la nupes) doivent être félicités par la macronie, la loi sera adoptée, et ils sont fiers de chanter leur « victoire » même les syndicats reconnaissent qu’ils leur font honte