La célébration du couple hétérosexuel chaque 14 février est une invention de l’Angleterre médiévale, selon la version qui semble la mieux étayée. Plus précisément la première Saint Valentin pourrait avoir eu lieu à Londres vers 1382 et avoir été lancée par les poètes professionnels qui fréquentaient la cour du roi.
Parmi ces influenceurs, le plus important est Chaucer : dans « le Parlement des Oiseaux » (vers 1382), le poète anglais imagine que c’est ce jour précis que Dame Nature marie les volatiles pour l’année qui vient. Son collègue Othon de Grandson (un chevalier-troubadour suisse réfugié à Londres) brode aussi sur ce thème, dans une série de poèmes placés sous le patronage de Saint Valentin. Pas de connotation religieuse, mais des déclarations d’amour à sa belle :
Je vois que chacun amoureux
se veut ce jour apparier,
je vois chacun être joyeux,
je vois le temps renouveller
(…) Pour ce, sans jamais repentir,
(Je) la servirai jusqu’à la fin
Ainsi (c’est ce que je) lui promets sans mentir,
le jour de la Saint Valentin.
Othon de Grandson, la Complainte de Saint Valentin (deuxième moitié du 14ème siècle)
Depuis Londres, la nouvelle coutume se répand assez vite dans le milieu international des poètes. Une vingtaine d’années après Chaucer, l’italienne Christine de Pisan, figure historique du féminisme installée à la cour du roi de France, s’en empare à son tour :
Mais pourquoi ce jour précis ? Aucun rapport avec la vie du saint romain fêté à cette date dans l’ancien calendrier catholique, en vigueur jusqu’au Concile Vatican II. La légende de l’évêque martyr bravant l’interdiction impériale de célébrer des mariages semble tardive et a peut-être été imaginée après coup pour expliquer la fête, qui est ludique et sans prétention.
Il faudrait plutôt chercher une explication dans le calendrier agricole de la Grande Bretagne médiévale, où février était considéré comme le début de la belle saison. D’où l’association d’idées entre le printemps, le chant des oiseaux et le bon moment pour faire une déclaration d’amour. Trop cliché, dirait-on aujourd’hui. Sauf que ce cliché romantique naît précisément à cette période du Moyen Age, à la suite d’un grand courant idéologique dont l’épicentre est le Pays-de-Galles.
Valentin, nom mis à la mode par un roman d’amour
L’idéalisation de la femme, les interférences mystérieuses de la nature avec les sentiments humains, ou encore le rôle des oiseaux comme messagers d’un monde merveilleux…Tout cela se trouve en effet dans les contes celtes traditionnels, dont les thèmes sont alors librement recyclés d’un bout à l’autre du continent dans de nombreux romans de chevalerie imités du cycle d’Arthur.
Dans cette masse de romans d’aventure et d’amour, l’un des plus populaires s’intitulait « Valentin et Orson » et existait dès le 13ème siècle. Signe de son succès, il avait été traduit en de nombreuses langues : depuis le français jusqu’à l’islandais en passant par l’italien. On en trouve aussi une version tardive en langue bretonne : vers 1870, l’ethnologue François-Marie Luzel assiste à Morlaix à une représentation de théâtre amateur traditionnel en breton. Le titre de la pièce ? « Orson et Valentin » ! (1)
L’histoire avait traversé les siècles en marge des modes littéraires. Elle raconte le destin de deux jumeaux, séparés à la naissance et ignorants tout de leur origine. Valentin est adopté par un prince, Orson par une Ourse qui l’élève en pleine forêt – à rapprocher peut-être d’Arthur dont le nom dérive de l’ours et de Perceval qui est aussi un homme des bois. Après toutes sortes de péripéties plus ou moins burlesques, l’histoire se termine par des retrouvailles familiales, par un mariage (celui d’Orson) et par une entrée en religion (celle de Valentin, qui meurt en odeur de sainteté).
Chaucer devait connaître ce récit, qui avait été traduit en anglais. Il est donc possible qu’il ait choisi de célébrer sur un mode plaisant, parmi les premiers jours du printemps, celui qui portait le nom d’un personnage de roman alors tellement à la mode.
Deux théories alternatives
On trouve une variante (peu sourcée, il s’agit peut-être d’un faux), selon laquelle Chaucer ferait référence à un autre Saint Valentin, un évêque de Gênes fêté le 2 mai. Nous serions alors dans une adaptation courtoise de ce que Arnold Van Gennep, l’ethnologue des Français, avait appelé « le Cycle de Mai ». Ce mois voyait fleurir à travers toute l’Europe des fêtes villageoises purement laïques autour de l’amour, accomagnées de déclarations et de cadeaux aux filles, le plus souvent des bouquets – avec peut-être là encore une origine celte liée à Beltane (le 1er Mai).
Enfin, mieux étayée mais avec un certain flou chronologique, on peut évoquer l’hypothèse d’une origine savoyarde de la fête. Van Gennep, dans un article de 1924 (2), signale l’existence d’un carnaval existant anciennement à Bissy, près de Chambér, le 14 février : dans des temps anciens, un cortège de jeunes gens se rendait à l’église dédiée à Saint Valentin, la messe en l’honneur du saint patron étant suivie de coutumes plus ou moins barbares (sacrifice d’un coq) et de danses. Y participaient des jeunes mariés qui tenaient en main un bouquet, appelé « valentine ». Saint Valentin était par ailleurs connu dans la contrée pour soigner les maux de ventre (peut-être à cause de son nom qui rappelle en latin le mot « vigoureux, bien portant »). Du ventre à la grossesse, il y avait peut-être un lien.
Bissy semble un coin un peu trop paumé pour avoir initié la Saint Valentin moderne, qui est surtout anglo-saxonne. Il faut pourtant signaler qu’une forme proche de la fête actuelle existait dès 1603 à Annecy : elle consistait alors dans le tirage au sort, le 14 février, de couples de « valentins » et de « valentines », les premiers devant servir de chevalier servant aux secondes, une année durant. L’évêque de Genève, Saint François de Sales, critiquera dans un sermon cette coutume, innocente pour des jeunes gens, mais dangereuse si elle concerne des gens mariés (elle remet en cause le sacrement du mariage).
Or Othon de Grandson était suisse romand, c’était un voisin des Savoyards et il aurait pu apporter à Londres cette coutume régionale aussi typique que la raclette. Pour Van Gennep toutefois, l’influence s’est exercée dans l’autre sens : c’est Chaucer qui l’a révélée à Grandson et celui-ci l’aurait rapportée ensuite dans les Alpes.
Pour compliquer encore l’affaire, Van Gennep signale d’autres fêtes d’amoureux, célébrées assez anciennement le 14 février, en Normandie et en Lorraine.
Enora
1) « Morlaix possédait un théâtre breton, il n’y a pas encore plus de vingt ans, et, deux fois la semaine, on y jouait, dans la langue du pays, les Quatre fils Aymon, Huon de Bordeaux, Orson et Valentin, Sainte Tryphine, Sainte Geneviève de Brabant, le Purgatoire de Saint Patrice, et plusieurs autres pièces d’un répertoire populaire fort apprécié dans le pays. J’ai assisté plusieurs fois à ces représentations, et j’ai acquis un certain nombre des manuscrits de la troupe morlaisienne. Il est à remarquer qu’ils provenaient tous des Côtes-du-Nord, de Lannion ou de Pluzunet, qui avaient aussi leur troupe d’acteurs bretons. » (Préface des Contes populaires de Basse-Bretagne, FM Luzel, 1887).
2) « La Chandeleur et la Saint Valentin en Savoie », Revue d’ethnographie et des Traditions populaires, 1924
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3 réponses à “Saint Valentin. Anglaise ou savoyarde, la fête des amoureux a de lointaines origines celtes”
Attention à ne pas tomber dans le piège de la Novlangue en écrivant « célébration du couple hétérosexuel »…Comme si il pouvait en exister d’autres… Devezh mad deoc’h!
Il y a des couples homosexuels, c’est un fait. Et s’ils veulent faire de l’ « ‘appropriation culturelle » sur une coutume de la culture hétéro, c’est tant mieux…
Mes parents, mariés an 1942, et mes deux couples de grands-parents, mariés en 1918 et 1920, n’ont jamais fêté la Saint-Valentin,
et ces trois couples ont célébré leurs noces d’or (en 1968, 1970 et 1992)…