Quand on expliquait sur LCI, au sujet de la Crimée, comment pourrait se dérouler la remigration des Russes et la « dérussification » de la région par l’Ukraine. Dans un pays comme la France qui a 93% d’OQTF non appliquées, on commentait alors fort joyeusement et sereinement (à l’exception du présentateur qui a l’air un peu gêné) de déportations et de nettoyage ethnique de la Crimée…
Imaginez le même plateau, et un débat sur la remigration des populations extra-européennes se trouvant en France.
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Que dit Alexandra Goujon, qui a étudié l’histoire des pays à l’est, au sujet de l’histoire de la Crimée ? Alexandra Goujon est maître de Conférences en sciences politiques à l’université de Bourgogne et à Sciences Po. Spécialiste de l’Ukraine et de la Biélorussie, son dernier ouvrage, L’Ukraine, de l’indépendance à la guerre, a été publié en 2021 aux éditions Le Cavalier Bleu.
« La Crimée est une péninsule située sur la mer Noire. Façonnée au long de sa tumultueuse histoire par de nombreux peuples, Scythes et Grecs sous l’Antiquité ; Khazars, Byzantins, Vénitiens et Génois au Moyen Age ; elle est progressivement conquise au XIIIe siècle par l’empire Turco-mongol de la Horde d’Or et voit une population turcophone, les Tatars, s’installer dans les terres. Des ruines de la Horde d’Or, se constitue au XVe siècle un état indépendant, le Khanat de Crimée. Convertis à l’islam, les Tatars du Khanat deviennent un protectorat de l’empire ottoman, avant d’être conquis par la Russie en 1783, qui entame leur déportation au sein de l’empire et provoque de nombreux exils.
La Crimée, appelée aussi Tauride (le nom que lui donnaient les Grecs anciens), se développe au XIXe siècle comme une région appréciée des élites russes mais surtout stratégique pour l’empire russe grâce à l’accès aux mers chaudes que lui procure pour sa flotte le port en eaux profondes de Sébastopol. A la chute de l’empire des Romanov, la Crimée obtient un statut de république autonome au sein de la république socialiste fédérative soviétique de Russie jusqu’en 1945, date à laquelle Staline réintègre entièrement la Crimée à la Russie et déporte les 180 000 Tatars en Sibérie, selon le principe de la culpabilité collective dans la collaboration avec les nazis ce qui conduit à une sur-représentation de la population russe.
En 1954, à l’occasion du 300e anniversaire du traité de paix de Pereïaslav de 1654 entre la Russie et les Cosaques d’Ukraine, qui pour les Russes symbolise l’amitié entre les peuples russe et ukrainien, et en réalité le début de l’intégration de l’Ukraine à l’empire russe, la Crimée est donnée par Nikita Khrouchtchev à l’Ukraine. En fait, la raison est bien plus prosaïque. Seulement reliée territorialement à l’Ukraine, la Crimée doit bénéficier de ce rattachement (qui n’est alors qu’administratif, les deux pays étant membres de l’URSS) pour son développement économique. L’indépendance de l’Ukraine en 1991 va poser la question de l’identité de la Crimée »
Pour rappel, en 1998, la Crimée comptait 2,5 millions d’habitants dont 65% parlaient russe, 22% l’ukrainien et 10% les langues altaïques des Tatars, une des premières ethnies à avoir élu domicile en Crimée. Avant eux, la région avait successivement été colonisée par les Grecs (VIe siècle avant notre ère) puis les Goths, les Huns, les Khazars, les Russes et les Coumans. En 2001, lors du dernier recensement, les Criméens se déclarent d’origine russe à 58,5%, Ukrainiens à 24,4% et Tatars à 12,1% (les descendants des Tatars déportés ont pu rejoindre la Crimée à la fin des années 1980).
Vouloir Ukrainiser tout ce petit monde – tout en prétendant vouloir la paix et la liberté dans le monde – c’est un peu jouer avec le feu non ?
Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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