Comment se portent en 2022 les populations de poissons pêchées en France ?

L’évaluation 2022 affiche un bilan en demi-teinte. En hexagone, la part des débarquements issus de populations de poissons exploitées durablement stagne et s’établit à 51 % en 2021, contre 48 % en 2020 suite à la révision des chiffres de l’an dernier. Pour la première fois, l’Ifremer a élargi son diagnostic aux 5 départements d’Outre-mer. Il révèle des réalités très contrastées d’un département à l’autre.

Après s’être largement amélioré depuis le début des années 2000, l’état des populations pêchées dans l’hexagone stagne depuis 5 ans : la part des volumes de poissons débarqués provenant de populations non surexploitées oscille autour de 50 % ; en revanche, le nombre de populations non surexploitées continue d’augmenter, il est ainsi passé de 56 en 2017 à 72 en 2021. Cet apparent paradoxe s’explique cette année : d’un côté, par la dégradation de l’état de la population de maquereaux de l’Atlantique Nord-Est, une espèce qui contribue à 7 % du total des volumes pêchés et, d’un autre côté, par le fait que les pêcheurs ont moins puisé dans les populations en bon état comme le merlu.

Cette stagnation laisse présager qu’il sera difficile d’atteindre dans un futur proche l’objectif de 100 % des populations pêchées au niveau du rendement maximum durable (RMD) fixé par la Politique commune de la pêche. Tout comme celui de la Directive-cadre Stratégie pour le Milieu Marin (DCSMM) qui préconise le retour au bon état écologique de l’ensemble des populations halieutiques.

« Parvenir à une pêche durable implique d’atteindre puis de maintenir un taux d’exploitation qui permette de maximiser durablement les captures sans affecter le renouvellement de la biomasse des populations de poissons. Ce taux d’exploitation est la « cible » fixée par les politiques européennes. Pour être certain de ne pas le dépasser, et en considérant les variations environnementales d’une année sur l’autre et la part d’incertitude inhérente aux estimations scientifiques, une option pourrait être de « viser » en-dessous, autrement dit de diminuer plus encore la pression de pêche pour aider les populations à recouvrer un bon état. Cela contribuerait à stabiliser les captures et à renforcer la résilience des populations face aux changements globaux », préconise Alain Biseau, biologiste des pêches à l’Ifremer et membre du comité d’avis du CIEM (Comité international pour l’exploration de la mer).

Les chiffres des évaluations précédentes sont recalculés chaque année

À chaque nouvelle évaluation, les scientifiques intègrent les données de l’année la plus récente et revisitent les estimations des années antérieures pour être au plus proche de la réalité. Ces révisions font partie du processus scientifique établi. Elles peuvent ainsi conduire à réviser le statut de l’état d’une population de poissons estimé l’année précédente, et ce, d’autant plus que les indicateurs (biomasse et pression de pêche) sont proches des seuils de référence du rendement maximum durable. À quelques tonnes près, certaines populations peuvent ainsi basculer d’un état à un autre, d’une année à la suivante.

Dans le bilan 2021, la part des populations exploitées durablement en 2020 était ainsi estimée à 56 %. Ce chiffre 2021 a été revu à la baisse dans le cadre de l’évaluation 2022 : de 56 %, il a été révisé à 48 %, du fait, principalement, de la révision du statut du maquereau de l’Atlantique Nord-Est. Cette population qui a contribué à environ 7 % des débarquements totaux en 2020 est en effet passée de « en bon état » à « surpêchée ».

Outre-mer : un État des populations de poissons souvent mal connu

Pour la première fois, l’Ifremer dresse le bilan annuel de l’état des populations pêchées dans les cinq départements d’outre-mer : Mayotte, La Réunion, la Guyane, la Martinique et la Guadeloupe. Résultat : ce premier diagnostic révèle des réalités très contrastées d’un département à l’autre.

« Globalement, nous manquons de connaissances sur une grande partie des populations de poissons, qui représentent 43 % des débarquements dans ces régions, pour élaborer un avis sur leur état écologique, à l’exception des grands pélagiques (thon, espadon, marlin…) surveillés de près par différentes commissions internationales. Pour la plupart des espèces côtières, il faut renforcer leur suivi pour permettre une gestion durable », explique Alain Biseau.

Loin d’être suffisante, cette première évaluation marque l’engagement de l’Ifremer sur ce sujet devenu aujourd’hui une priorité pour l’Institut. Elle a été réalisée à la demande de l’État dans le cadre des financements européens attendus pour renouveler la flottille de pêche de ces départements.

Un statut particulier

Ces 5 départements d’outre-mer français bénéficient du statut de région ultrapériphérique (RUP) européenne. La politique commune de la pêche s’y applique et l’Ifremer y mène, à la demande de l’État français, des activités de surveillance et d’expertise. Ses évaluations sont néanmoins plus robustes dans les régions où l’institut est implanté (La Réunion, Guyane et Martinique). Dans les autres régions, de nouvelles collaborations se mettent progressivement en place pour renforcer le déploiement de ces activités.

Comment la science évalue-t-elle les impacts de la pêche sur les fonds marins ? L’exemple de la Manche

D’ici 2030, l’État français s’est engagé à placer un tiers, soit 10%, de ses aires marines sous protection forte. Cet objectif implique d’y adapter les activités humaines, et notamment la pêche, afin de trouver le bon équilibre entre préservation de la biodiversité et exploitation durable des ressources. Pour accompagner cette transition, plusieurs équipes de l’Ifremer s’attachent à étudier et mesurer les impacts des engins sur les fonds marins, à analyser leurs conséquences sur les habitats et les écosystèmes, et à élaborer des mesures de remédiation.

Dans le cadre de la récente étude  « Impact des engins de Pêche sur les fonds marins et la Résilience Écologique du Milieu » (IPREM) initiée par le Comité régional des pêches maritimes et des élevages marins de Normandie, l’Organisation des pêcheurs normands et l’organisation de producteurs From Nord, des scientifiques de l’Ifremer et de l’Université de Caen ont qualifié et quantifié les impacts de la pêche aux engins traînants sur les écosystèmes des fonds marins de la Manche.

« Nous estimons que 68 % de la superficie de la Manche a été balayée chaque année par des engins de pêche traînants de fond (dragues, chaluts, sennes démersales) entre 2013 et 2018. Sur 24 % de sa superficie, la pression de pêche a été très élevée, équivalente à une moyenne de 5 passages d’un engin de fond par an. Constituées de sédiments grossiers, ces zones les plus impactées sont exploitées pour leurs coquilles Saint-Jacques et pétoncles, raies et requins, merlans et autres gadidés, seiches et calmars… Sur la même période, 16 % de la surface totale de la Manche est en revanche considérée comme en état de référence (moins de 0,1 passage par an), c’est-à-dire très peu exploitée par des engins traînants sur le fond », détaille Joël Vigneau, chercheur en halieutique à l’Ifremer et co-auteur de l’étude.

Oursins, ophiures, petits crabes et crustacés, étoiles de mer, vers tubicoles nichés dans le sédiment…, ces espèces qui composent les communautés benthiques de la Manche semblent être relativement résistantes à la pêche. Comment expliquer ce constat ?

« Les communautés présentes aujourd’hui sur les fonds marins de la Manche sont celles qui ont pu s’adapter ou résister à la pression de pêche appliquée depuis des dizaines d’années. Les conditions environnementales ont aussi participé à la sélection naturelle de ces espèces capables de résister aux marées les plus importantes et aux courants parmi les plus forts de France, voire d’Europe », explique Joël Vigneau.

Ces espèces ont, pour la plupart, un cycle de vie court et ont donc plus de chance de se reproduire au moins une fois avant un nouvel épisode de pêche. Pour autant, il reste difficile de démêler les effets des perturbations naturelles des effets anthropiques et de quantifier les potentiels effets positifs d’une réduction de pression de pêche sur ces communautés.

« Pour déterminer l’impact spécifique de la pêche sur ces communautés, il nous faudrait connaître, pour chaque habitat, leur état de référence à partir d’analyse des espèces présentes soumises à différentes pressions de pêche, souligne-t-il. Sans ces informations, il est impossible d’établir les seuils au-delà desquels la pression de pêche conduit à la disparition des communautés d’origine ».

Constatant le succès des modalités de gestion de la pêche à la coquille Saint-Jacques instaurées progressivement depuis les années 2000 en Manche, avec à la clé une série de records d’abondance des populations de coquilles depuis 2016, les partenaires de l’étude dessinent actuellement les contours d’un nouveau projet pour quantifier précisément les effets de la réduction de l’effort de pêche aux engins traînants et de la mise en place de jachères. Objectifs : évaluer le temps de récupération et la résilience du milieu, prédire les trajectoires de rétablissement de ces zones et savoir si l’amélioration de l’état de santé des fonds marins procurée est bien associée à une augmentation des populations de poissons dans la Manche.

Ce premier cas d’étude apportera des connaissances essentielles pour statuer sur la réversibilité de l’impact des engins traînants dans les eaux européennes et pour fixer des seuils de pression spécifiques aux habitats afin de rétablir ou de maintenir un fonctionnement approprié de l’écosystème benthique, de stopper l’érosion de la biodiversité et de développer une pêche réellement durable.

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