« Ni nous ni nos alliés ne sommes prêts à mener une guerre totale avec la Russie, au niveau régional ou mondial »

« Ni nous ni nos alliés ne sommes prêts à mener une guerre totale avec la Russie, au niveau régional ou mondial » indique le colonel à la retraite Douglas Macgregor dans le journal The American Conservative. Nous avons traduit le texte de cet ancien conseiller du secrétaire à la Défense de l’administration Trump, un vétéran de combat décoré et par ailleurs auteur de cinq livres.

Jusqu’à sa décision de confronter Moscou à une menace militaire existentielle en Ukraine, Washington a limité l’utilisation de la puissance militaire américaine à des conflits que les Américains pouvaient se permettre de perdre, des guerres avec des adversaires faibles dans le monde en développement, de Saigon à Bagdad, qui ne présentaient pas de menace existentielle pour les forces américaines ou le territoire américain. Cette fois-ci, une guerre par procuration avec la Russie est différente.

Contrairement aux espoirs et aux attentes initiales, la Russie ne s’est pas effondrée sur le plan interne et n’a pas cédé aux demandes collectives de l’Occident en faveur d’un changement de régime à Moscou. Washington a sous-estimé la cohésion sociétale de la Russie, son potentiel militaire latent et sa relative immunité aux sanctions économiques occidentales.

En conséquence, la guerre par procuration de Washington contre la Russie est en train d’échouer. Le secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, a fait preuve d’une franchise inhabituelle à propos de la situation en Ukraine lorsqu’il a déclaré aux alliés réunis en Allemagne sur la base aérienne de Ramstein le 20 janvier : « Nous avons une fenêtre d’opportunité ici, entre maintenant et le printemps« , admettant que « ce n’est pas une longue période ».

Alexei Arestovich, conseiller du président Zelensky récemment licencié a été plus direct. Il a exprimé ses propres doutes quant à la capacité de l’Ukraine à gagner sa guerre contre la Russie et il se demande maintenant si l’Ukraine survivra même à la guerre. Les pertes ukrainiennes – au moins 150 000 morts, dont 35 000 disparus au combat et présumés morts – ont fatalement affaibli les forces ukrainiennes, ce qui a donné lieu à une position défensive ukrainienne fragile qui risque de se briser sous le poids écrasant de l’attaque des forces russes au cours des prochaines semaines.

Les pertes matérielles de l’Ukraine sont tout aussi graves. Elles comprennent des milliers de chars et de véhicules blindés de combat d’infanterie, des systèmes d’artillerie, des plates-formes de défense aérienne et des armes de tous calibres. Ces totaux incluent l’équivalent de sept années de production de missiles Javelin. Dans un contexte où les systèmes d’artillerie russes peuvent tirer près de 60 000 cartouches de tous types – roquettes, missiles, drones et munitions à coque dure – par jour, les forces ukrainiennes ont du mal à répondre à ces salves russes avec 6 000 cartouches par jour. De nouvelles plateformes et de nouveaux ensembles de munitions pour l’Ukraine peuvent enrichir Washington, mais elles ne peuvent pas changer ces conditions.

Comme on pouvait s’y attendre, la frustration de Washington face à l’incapacité collective de l’Occident à endiguer la marée de la défaite ukrainienne est croissante. En fait, la frustration cède rapidement la place au désespoir.

Michael Rubin, ancien membre de l’équipe Bush et fervent partisan des conflits permanents de l’Amérique au Moyen-Orient et en Afghanistan, a exprimé sa frustration dans un article de 1945 affirmant que « si le monde permet à la Russie de rester un État unitaire, et s’il permet au poutinisme de survivre à Poutine, alors l’Ukraine devrait être autorisée à posséder sa propre dissuasion nucléaire, qu’elle rejoigne ou non l’OTAN ». À première vue, la suggestion est imprudente, mais la déclaration reflète fidèlement l’inquiétude des cercles de Washington, qui pensent que la défaite ukrainienne est inévitable.

Bien que sympathisant avec le peuple ukrainien, Berlin n’a pas soutenu une guerre totale avec la Russie au nom de l’Ukraine. Aujourd’hui, les Allemands sont également mal à l’aise face à l’état catastrophique des forces armées allemandes.

Le général de l’armée de l’air allemande à la retraite (équivalent de quatre étoiles) Harald Kujat, ancien président du Comité militaire de l’OTAN, a sévèrement critiqué Berlin pour avoir permis à Washington d’entraîner l’Allemagne dans un conflit avec la Russie, notant que plusieurs décennies de dirigeants politiques allemands ont activement désarmé l’Allemagne, privant ainsi Berlin de toute autorité ou crédibilité en Europe. Bien qu’ils soient activement étouffés par le gouvernement et les médias allemands, ses commentaires ont une forte résonance auprès de l’électorat allemand.

Le fait est que, dans ses efforts pour s’assurer la victoire dans sa guerre par procuration avec la Russie, Washington ignore la réalité historique. À partir du 13e siècle, l’Ukraine était une région dominée par des puissances nationales plus grandes et plus puissantes, qu’elles soient lituaniennes, polonaises, suédoises, autrichiennes ou russes.

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, les projets polonais avortés d’un État ukrainien indépendant ont été conçus pour affaiblir la Russie bolchévique. Aujourd’hui, la Russie n’est pas communiste, et Moscou ne cherche pas à détruire l’État polonais comme l’ont fait Trotsky, Lénine, Staline et leurs partisans en 1920. Où va donc Washington avec sa guerre par procuration contre la Russie ? La question mérite une réponse.

Le dimanche 7 décembre 1941, l’ambassadeur américain Averell Harriman dînait avec le Premier ministre Sir Winston Churchill au domicile de ce dernier lorsque la BBC a diffusé la nouvelle selon laquelle les Japonais avaient attaqué la base navale américaine de Pearl Harbor. Harriman est visiblement choqué. Il répète simplement les mots : « Les Japonais ont attaqué Pearl Harbor. »

Harriman n’avait pas à être surpris. L’administration Roosevelt avait pratiquement fait tout ce qui était en son pouvoir pour pousser Tokyo à attaquer les forces américaines dans le Pacifique par une série de décisions politiques hostiles, dont le point culminant fut l’embargo pétrolier décrété par Washington au cours de l’été 1941.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Washington a eu de la chance avec le timing et les alliés. Cette fois-ci, c’est différent. Washington et ses alliés de l’OTAN prônent une guerre totale contre la Russie, la dévastation et l’éclatement de la Fédération de Russie, ainsi que la destruction de millions de vies en Russie et en Ukraine.

Washington joue sur l’émotion. Washington ne réfléchit pas. Ni nous ni nos alliés ne sommes prêts à mener une guerre totale avec la Russie, à l’échelle régionale ou mondiale. Le fait est que, si une guerre éclate entre la Russie et les États-Unis, les Américains ne devraient pas être surpris. L’administration Biden et ses partisans  à Washington font tout ce qu’ils peuvent pour que cela arrive.

Douglas Macgregor (The American Conservative)

Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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7 réponses à “« Ni nous ni nos alliés ne sommes prêts à mener une guerre totale avec la Russie, au niveau régional ou mondial »”

  1. Pschitt dit :

    Et revoilà Macgregor ! On a retrouvé la 7e compagnie ! Cet officier de second plan (un diplômé de West Point qui n’est pas passé brigadier general en vingt-huit ans de service a loupé le coche) se prend pour le ministre de la Défense des Etats-Unis. Il s’est ridiculisé à de nombreuses reprises, en particulier (mais pas seulement) pour son poutinisme systématique. Voici quelques semaines, il affirmait que Poutine avait fait très attention à ne pas faire de mal aux civils dans sa guerre en Ukraine ! Comment prendre au sérieux un personnage qui affirme — je cite — que « Washington et ses alliés de l’OTAN prônent une guerre totale contre la Russie » ? Qu’il désigne donc un chef d’Etat occidental, un seul, qui se serait déclaré partisan d’une guerre totale contre la Russie ! (Si jamais certains avaient cette tentation — mais pourquoi donc ? –, ce n’est bien sûr pas le genre de chose qu’ils diraient publiquement — à moins qu’ils ne parlent sous eux comme ce brave à trois poils.)

    • Un vieux soldat dit :

      Je ne sais si ce général est de « seconde zone », mais du point de vue de l’analyse des militaires français, il a raison.
      Le général de Gaulle n’était pas dupe de la rouerie des russes communistes, mais il ne voulait pas non plus d’une société unipolaire tournant autour des USA. C’est dernier ont pleuré des larmes de crocodiles en apprenant sa mort le 9 novembre 1971.
      Les USA poussent l’Europe aà la guerre totale, les peuples n’en veulent pas. La Russie va donc gagner, car elle ne peut pas ne pas gagner, c’est vital pour elle avec ou sans Poutine.
      Macron va l’apprendre à ses dépens.

    • McTavish dit :

      Macgregor n’est pas un colonel conventionnel càd un bureaucrate dont Washinton fait ses généraux. C’est un militaire de terrain qui a obtenu de très loin les meilleurs résultats lors de manœuvres militaires US.
      Mais comme vous semblez avoir une esprit « conventionnel », cela peut vous échapper totalement

  2. Barthon dit :

    Il est extraordinaire de constater que le moindre article qui évoque le danger d’une conflagration avec la,Russie est systématiquement ignoré, critiqué et leurs auteurs présentés comme des russophiles poutinistes fanatiques voire des simples d’esprit manipulés par le FSB. L’escalade est en cours . A quoi mènera_t_elle?. A des centaines de milliers de morts supplémentaires?. A une nouvelle situation à la coréenne?. A la disparition de l’Ukraine avec ses dizaines de milliers de mutilés. Il est facile d’envoyer les autres se faire tuer. Mais réfléchissons un peu. Rappelons-nous l’état de la France après le premier conflit mondial, ses mutilés, ses familles anéanties. Alors ne faisons pas les fiers à bras. Essayons de penser à la paix. Ce n’est pas âtre défaitiste ou munichois.

    • Happy dit :

      Je suis bien d’accord avec vous.
      L’ignorance de l’ histoire et de la géopolitique de ceux qui se plaisent à insulter Vladimir Poutine correspond bien à cette société du blabla où il est plus facile d’être un superhéro derrière une console de jeu que d’affronter la réalité. Il y a eu 8 ans pour négocier et parlementer, mais nos fiers à bras faisaient les malins. Qu’ils aillent donc en première ligne à présent, ils apprendront peut-être la valeur de la Diplomatie, qu’Emmanuel Macron vient de saborder en France!

  3. patphil dit :

    après le vietnam et l’afghanistan, les américains ont compris qu’il valait mieux que leurs guerres se passent sans eux, ils se battront jusqu’au dernier ukrainien et éventuellement jusqu’au dernier européen

  4. Franceschi dit :

    La sureté de jugement de ce colonel américain gène manifestement les valets de l’oncle Sam. Lui reprocher de n’être que colonel est plutôt un compliment lorsque l’on entend les élucubrations de nombre de généraux de plateaux de télévision.

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