« Révolution », la bande dessinée historique qui s’intéresse au peuple

Curieusement, il n’existait auparavant aucune grande bande dessinée sur la Révolution française. Une superbe série de plus de 1000 pages entreprend de dénoncer les idées reçues sur cette période, en se mettant au niveau du peuple.

Le début du tome 1 se déroule en avril 1789. Abel Le Goazre de Kervélégan, noble breton, rend visite à son frère jumeau Augustin. Celui-ci, député de Quimper, prêche un progressisme modéré. Représentant le tiers état, il fait partie du club breton. Ce groupe de députés de Bretagne aux États généraux deviendra le célèbre club des jacobins. Abel assiste ainsi aux Etats généraux mais s’ennuie en écoutant les discours des orateurs, comme Mirabeau. Il découvre que les décisions de l’Assemblée de Versailles n’ont que peu d’effets sur la situation du peuple, notamment la flambée des cours du pain.

Lorsque le 11 juillet le peuple apprend le renvoi du Contrôleur des Finances Necker, qui ne voulait pas aggraver la pression fiscale, et l’encerclement de Paris par des troupes suisses et allemandes, il se révolte. Les troupes royales chargent le peuple dans le Jardin des Tuileries, le 12 juillet. Le peuple veut se procurer des armes aux Invalides, puis des munitions et de la poudre à la Bastille… Abel de Kervélégan intègre alors la garde nationale.

Témoin de ces événements, Jérôme Laigret, pamphlétaire sans succès, conservateur dénonçant les idées révolutionnaires, se rend compte que le roi est dépassé par les événements. Pourfendeur des députés du tiers état, des philosophes des Lumières et des francs-maçons, il va tenter de sauver la monarchie.

A la fin du premier tome, Marie, la petite vagabonde muette qui voit tout ce qui se passe, observe des têtes décapitées sur des pics, le peuple scandant « Ah ça ira, ça ira »…

Le tome 2 se déroule en 1791. Les pauvres souffrent toujours. À l’Assemblée, les débats se radicalisent entre royalistes et révolutionnaires. Abel de Kervélégan, allié malgré lui à la cause révolutionnaire, tente de faire régner l’ordre au sein de la garde nationale. Mais il se laisse entraîner lorsque la foule s’écrie :  » Tous aux Tuileries ! ». Après avoir perdu sa place dans la garde nationale, il se lance dans le commerce. Son frère, Augustin de Kervelegan, passe ses jours et ses nuits à travailler à l’écriture de la première Constitution.

Dans l’autre camp, un groupe de royalistes, les « Chevaliers du poignard », tente d’aider Louis XVI. Ceux-ci, armés de pistolets et de poignards, se sont contentés aux Tuileries de protéger le roi d’une émeute. Mais ils sont évacués sur ordre de Louis XVI, sous les huées du peuple, et dénoncés dans les journaux comme les membres d’une conspiration contre-révolutionnaire visant à enlever le roi. Laigret, le journaliste conservateur, cherche à en profiter pour rétablir la monarchie absolue.

Le premier tome avait obtenu le Fauve d’Or (prix du meilleur album) à Angoulême en 2020. Il s’achevait dans le tumulte des journées d’octobre 1789, qui ont vu la famille royale emmenée de Versailles à Paris. Dans le tome 2, l’immersion dans le Paris révolutionnaire se poursuit. On découvre notamment que les « chevaliers du poignard » tentent d’organiser un soulèvement en faveur du roi. Ce tome s’achève par la fusillade du Champ-de-Mars, survenue le 17 juillet 1791.

Les scénaristes-dessinateurs Florent Grouazel et Younn Locard, pour raconter en plus de mille pages la Révolution française, se focalisent ainsi sur la vie du peuple. Certes, on croise Saint-Just, Marat, Lafayette, Danton, Robespierre, le chevalier de Saint-Georges et Louis XVI. Mais la plupart des protagonistes sont des personnages fictifs. Si Abel Le Goazre de Kervélégan est un breton imaginaire, son frère Augustin est bien réel. Franc-maçon de Quimper, celui-ci avait écrit en 1788 les Réflexions d’un philosophe breton sur les affaires présentes, ouvrage violemment hostile à la noblesse et au clergé. Dans cette bande dessinée, il est convaincu de la nécessité de s’inspirer du système capitaliste anglais, afin de rendre le peuple heureux par la consommation. Il représente ainsi la révolution bourgeoise. A l’inverse, Laigret, journaliste pamphlétaire, tente de sauver la Monarchie absolue. Les auteurs le présentent comme quelqu’un de lucide sur le risque de disparition de la France monarchique, mais de sensiblement obstiné… Ce n’est sans doute pas un hasard s’il reçoit dans cette bande dessinée les traits d’Eric Zemmour ! Tous ces personnages ne voient pas grand-chose des grands événements. A leur image, le lecteur a parfois du mal à se repérer, dans le temps et dans l’espace.

Prenant la défense du peuple, ce scénario critique le comportement d’une partie de la noblesse qui ne pense qu’à conserver son statut. Mais il dénonce également les idées utopistes des révolutionnaires. Abel critique ainsi les députés qui « s’imaginent le plus sérieusement du monde pouvoir promulguer le bonheur universel ! Et le pire, c’est qu’ils ont contaminé tout le monde avec leurs conneries ». Pour éviter tout manichéisme, les principaux protagonistes sont  des transfuges de classes, comme les deux frères de Kervélégan (issus de la noblesse mais participant à la Révolution) ou Laigret (issu du peuple mais voulant rétablir la monarchie absolue de Saint Louis). Surtout, à aucun moment la famille royale n’est critiquée. Bien au contraire, Louis XVI, qui s’exprime toujours dans un français soutenu, déclare par un mélange de bonté et de naïveté : « Notre bon peuple est si facilement abusé par le bruit public ».

Florent Grouazel et Younn Locard, qui se sont connus au lycée à Lorient, ont mis cinq ans à réaliser le premier tome, qui couvre les mois d’avril à octobre 1789. On découvre que le peuple parisien, obsédé par le coût du grain, s’intéresse peu aux discours progressistes. Cette foule devient rapidement sanguinaire. La prise de la Bastille est suivie, sur deux pages, de la décapitation du gouverneur Launay au couteau de boucher !

La réalisation du deuxième tome a pris trois ans. Le récit reste particulièrement dense, le texte se révélant d’une grande richesse. Les deux auteurs ont de nouveau effectué un important travail de documentation, pour reconstituer fidèlement le Paris de l’époque. Pour mettre en scène leurs personnages au cœur des événements historiques, ils s’inspirent notamment des ouvrages descriptifs d’Haïm Burstin, professeur à l’université de Milan (Révolutionnaires. Pour une anthropologie politique de la Révolution française, Vendémiaire, 2022…).

 

Pour reconstituer ces événements historiques, Grouazel et Locard utilisent les livres très documentés de Michel Vovelle (La Révolution française : 1789-1799, Armand Colin, 2015), les peintures de Nicolas-Jean-Baptiste Raguenet (1715-1793) et Jean-Baptiste Lesueur (1748-1826), et bien sûr, des dessins et gravures de l’époque.

Le dessin au pinceau et à la plume des auteurs, très fin et d’une grande précision, insiste sur les détails. Des double-pages offrent de superbes perspectives. Seule la colorisation est réalisée à l’ordinateur. Le premier tome pour l’essentiel utilisait le monocolore avec des teintes marrons. Le tome 2 apporte davantage de variation dans les couleurs, afin de mieux poser une ambiance.

Après « Liberté » et le premier tome de « Egalité », il reste encore aux auteurs à réaliser la suite de « Egalité », puis « Ou la mort » (à la place de « Fraternité »). Le titre de cette série devient ainsi : « Liberté, Egalité, Ou la mort ! ». Tout un symbole…

Kristol Séhec

Révolution t. 2, Livre 1 : Egalité, 292 p., 28 €, Ed. L’An 2.

Illustrations : DR
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2 réponses à “« Révolution », la bande dessinée historique qui s’intéresse au peuple”

  1. Auguy Jean dit :

    Je suis surpris de voir que les auteurs utilisent le travail de Michel Vovelle, connu pour avoir été membre du parti communiste, j’aurais préféré d’autres historiens ( Gaxotte par exemple dont le grand livre sur le sujet est toujours disponible sauf erreur )
    Il utilise aussi un livre édité par une maison qui a choisi pour nom Vendémiaire. Je sais bien que l’on peut trouver de la documentation intéressante même chez des adversaires, mais je préfère attendre pour commander ! et pourtant votre présentation est particulièrement alléchante . J.A.

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