Erwan Bargain (Abécédaire irraisonné du cinéma d’horreur et d’épouvante) : « La violence du monde créé la violence à l’écran et non l’inverse » [Interview]

Aussi populaire soit-il, le cinéma d’horreur et d’épouvante a longtemps été négligé par la critique généraliste alors qu’il a pourtant donné naissance à des cinéastes de génie et à de nombreux chefs-d’œuvre du 7e art.

C’est cette négligence que veut rattraper Abécédaire irraisonné du cinéma d’horreur et d’épouvante contemporain, signé Erwan Bargain et paru aux éditions Ocrée, qui entend ainsi dresser un panorama critique et historique non exhaustif du genre. Totalement subjectif, il couvre plus d’un demi-siècle de cinéma d’horreur et d’épouvante et navigue entre classiques incontournables, figures majeures, coups de cœur et œuvres hors normes. Cet ouvrage est aussi une déclaration d’amour enflammée à ces artistes et à ces œuvres qui, oscillant entre sang et frissons, ont terrorisé (ou diverti, selon les cas) plusieurs générations de cinéphiles avides de sensations fortes.

L’ouvrage, qui ravira les passionnés de cinéma d’horreur, notamment parce qu’il est assez complet, accessible, et riche en anecdotes, est à commander ici. Pour l’évoquer, nous avons interrogé l’auteur.

Breizh-info.com : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Je suis né en 1975 à Saint-Nazaire avant que mes parents déménagent à Camaret dont mon père était originaire. Je suis depuis installé au Faou, à l’entrée de la Presqu’île de Crozon. J’ai suivi des études de journalisme à Bordeaux, puis de philosophie à Brest, avant de commencer à écrire pour différents journaux et magazines. Je suis, depuis plus de 25 ans, membre du comité de rédaction de la revue L’Ecran Fantastique, consacrée au cinéma de l’imaginaire. Parallèlement, je suis l’auteur d’une trentaine d’ouvrages dans les domaines de la poésie, de la fiction ou encore de la littérature jeunesse, comme en témoigne mon dernier album, Marin, Félix et l’île aux oiseaux, sorti il y a quelques mois aux éditions Hélium/Actes Sud. Et je nourris une passion invétérée pour le cinéma fantastique, et les films d’horreur en particulier, depuis mes dix ans.

Breizh-info.com : Quels sont les premiers souvenirs du cinéma d’horreur vous concernant, et les films qui vous ont le plus marqué ?

Ma première frayeur cinématographique remonte à 1982 lors de la projection d’E.T., l’extraterrestre. La scène de la première rencontre entre Elliot et E.T., la nuit, dans le jardin, aux abords du champ de maïs, m’a littéralement terrifié. Et bizarrement, j’ai aimé cette sensation de peur, ce qui m’a conduit à m’intéresser très jeune au cinéma d’horreur et d’épouvante. J’ai ainsi commencé à visionner des films que je louais au vidéo club et à lire des revues tels L’Ecran Fantastique et Mad Movies. C’est ainsi que j’ai découvert, à l’âge de douze ans, des œuvres comme L’Exorciste, véritable chef d’œuvre du genre qui aujourd’hui encore m’impressionne, Shining, Carrie au bal du diable, Rosemary’s Baby, Evil Dead, Les Griffes de la Nuit mais aussi des productions plus obscures comme les films de Frank Henenlotter ou encore les productions de la Troma, une firme indépendante américaine spécialisée dans la série Z.

Breizh-info.com : Comment avez-vous sélectionné les films que l’on retrouve dans votre livre ? Pourquoi, par exemple, n’y trouve-t-on pas Ca (ou « il est revenu ») ?

Comme indiqué, cet abécédaire est irraisonné. J’avais envie, depuis longtemps, d’écrire sur le cinéma d’horreur, de clamer mon amour pour le genre à travers un ouvrage et pas seulement via les articles que je publie dans L’Ecran Fantastique. J’ai écrit un premier essai Zombies, des visages des figures (dimension sociale et politique des morts-vivants au cinéma), sorti en 2020 aux éditions Ocrée, et j’y ai pris goût moi qui suis parallèlement auteur jeunesse. D’où cet abécédaire qui comme indiqué est irraisonné. Il n’entend pas être exhaustif. Avec ce livre, je m’efforce d’évoquer des chefs d’œuvres et des classiques comme des productions moins connues, comme Killer Klowns from Outer Space, des frères Chiodo, Toxic Avenger, etc. J’ai également tenté de représenter les différentes sensibilités qui parcourt le genre et d’accorder la place qu’elles méritent aux femmes, à mes yeux, encore trop peu nombreuses, qui œuvrent dans le genre. Et il est vrai qu’il manque des films, certains par choix, d’autres par oubli. Ce que je souhaite avant tout avec cet abécédaire, c’est partager ma passion pour l’horreur et montrer la diversité d’un genre populaire, trop souvent décrié. Et qui sait, si le bouquin a un minimum de succès peut-être y aura-t-il une nouvelle édition revue, augmentée et actualisée.

Breizh-info.com : Le cinéma d’horreur est passé, en quelques décennies, d’un cinéma plutôt suggestif, carton-pâte parfois, à un cinéma de temps à autres ultra-violent (Saw, Hostel…). Est-ce en raison de la technologie et de son évolution, ou y a-t-il d’autres explications ?

La question est bonne. On a tendance à dire que le cinéma et l’art en général sont le reflet de leur époque. Le cinéma d’horreur n’échappe pas à la règle. James Wan, le réalisateur de Saw, expliquait à la sortie du film qu’il l’avait fait en réaction à ce qui se passait dans le monde. La violence du monde créé la violence à l’écran et non l’inverse.

Breizh-info.com : Les interdictions d’époque, au moins de 12 ans, au moins de 16 ans, sont-elles encore d’actualité aujourd’hui ? Scream par exemple…interdit aux moins de 16 ans lors de sa sortie en salle…mérite-t-il encore cette interdiction ?

Il est vrai que les interdictions aujourd’hui peuvent paraître étranges. A mon époque, les films étaient interdits au moins de 13 ans et au moins de 18 ans, et non 12 et 16 ans. Aux Etats-Unis la classification est plus stricte. Mais interdire aux moins de 16 ans un film comme Scream n’aurait aujourd’hui aucun sens. Cependant, selon moi, certains métrages méritent largement l’interdiction au moins de seize ans, je pense notamment à Martyrs de Pascal Laugier qui est un film assez traumatisant ou encore The Human Centipede de Tom Six, qui n’est pas à mettre sous tous les yeux.

Breizh-info.com : Votre livre se propose de décrire la genèse des grands films que vous avez sélectionnés de manière irraisonnée comme vous le dites, et subjective. Une façon de se démarquer d’autres livres sur la question ?

Oui, sans doute, vous avez raison. Il y a beaucoup de livres qui sortent sur le sujet. Disons qu’il n’y a pas vraiment de logique dans la construction de ce livre car il est guidé par la passion. Et quand on est passionné on perd forcément un peu la raison. C’est en tout cas un livre qui, selon moi, se picore mais ne se lit pas forcément d’une traite. Le but étant de partager ma passion, de faire en sorte que les lecteurs apprennent des choses sur les films et les cinéastes que j’aborde et surtout de faire découvrir certaines pépites méconnues. Tout cela restant évidemment subjectif mais s’adressant à un large public, autant passionné que néophyte.

Breizh-info.com : Sur les 5 dernières années, le cinéma a globalement patiné, en matière de films de qualité (même s’il y en a eu). Le film d’horreur a-t-il lui aussi été touché ? Quelles sont les belles découvertes que vous conseilleriez, sorties ces 5 dernières années ?

Ces cinq dernières années ont été particulières pour tout le monde en raison du COVID et le cinéma n’a pas été épargné, certaines productions ayant été reportées, d’autres purement et simplement annulées. Mais disons que depuis une dizaine d’années, il y a pas mal d’artistes qui émergent et de films qui méritent qu’on s’y attarde, je pense notamment à Hérédité et Midsommar d’Ari Aster, Titane de Julia Ducournau. Dernièrement il y eu X, de Ti West qui est un formidable hommage au genre. Et puis, il y a beaucoup films qui sont diffusés sur les plateformes. Pour un amateur de séries B comme moi c’est une mine exceptionnelle. Il y a peu de temps j’ai ainsi découvert, sur Star, la plateforme adulte de Disney, Barbare, de Zach Cregger. Ce film vaut vraiment le détour.

Propos recueillis par YV

Crédit photo : DR

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