Johanna Rolland (PS), maire de Nantes, présidente de Nantes métropole, présidente de France urbaine, l’association qui regroupe les métropoles, les agglomérations et les grandes villes, mène une vie acrobatique. Manifestement, cette jeune femme a de grandes ambitions ; elle entend jouer un rôle national qui la sortirait de la routine nantaise. La grande politique la démange. On la voit donc déposer une contribution en vue du prochain congrès du Parti socialiste (27-29 janvier à Marseille). D’après son entourage, «elle ne cherche pas un poste, mais elle a la volonté d’être actrice de la refondation de la gauche. Rebâtir une nouvelle maison pour les idées de la gauche sociale, écologiste et européenne » (Ouest-France, Loire-Atlantique, lundi 24 octobre 2022). Elle-même souligne « ce climat anxiogène, très favorable à l’extrême droite et au néoconservatisme, [qui] représente un risque réel pour 2027 » (Ouest-France, Loire-Atlantique, lundi 24 octobre 2022). L’élan étant donné, il ne restait plus qu’à signer la contribution « Osons la gauche social-écologiste européenne » présentée par le Premier secrétaire du PS, Olivier Faure, car, affirme-t-elle, ses propositions « sont clairement reprises dans texte que propose Olivier Faure ». Et puis le Premier secrétaire sortant « a su tenir la barre [du PS] par gros temps » (Presse Océan, lundi 28 novembre 2022).
On l’aura compris, Mme Rolland prend goût à la « popol » (politique politicienne). Un mois plus tard, elle abat ses cartes : « J’ai accepté la proposition d’Olivier Faure de devenir numéro deux du parti, c’est-à-dire première secrétaire nationale adjointe, si nous avons la majorité à l’issue du vote des militants. Je ne suis pas de ceux et celles qui désertent devant la difficulté. Je contribuerai à la reconstruction » (Le Journal du dimanche, 31 décembre 2022). Quand on lui demande pourquoi elle s’embarque dans cette galère, elle répond très tranquillement : « Le risque du Rassemblement national pour la présidentielle 2027 est réel. Nous devons prendre nos responsabilités : proposer une alternative de gauche, claire et solide. Je ne suis pas du genre à déserter ou à me planquer quand le travail est devant nous et qu’il y a des difficultés. Je ne veux pas me réveiller un matin en me disant que nous n’avons pas tout tenté, que je n’ai pas pris ma part en contribuant à une reconstruction de la gauche qui doit être collective » (Presse Océan, lundi 2 janvier 2022). La maire de Nantes veut donc sauver la gauche… Il paraît que deux missions lui seront attribuées autour d’Olivier Faure : « l’animation des secrétaires nationaux thématiques et l’agrégation de ce qu’il reste d’élus socialistes en France (parlementaires, maires…) à travers des réunions régulières avec les principaux chefs de file » (Le Télégramme, mardi 3 janvier 2023). Vaste programme !
La politique est l’art du possible
C’est donc flanqué de Johanna Rolland que Olivier Faure se présente à l’élection du Premier secrétaire du Parti socialiste. Au premier tour (jeudi 13 janvier), le sortant arrive en tête (49,15 % des voix), devant Nicolas Mayer-Rossignol (30,51 %) et Hélène Geoffroy (20,34 %). Autant dire que rien n’est joué pour le second tour (jeudi 19 janvier) si les électeurs de NMR et de Geoffroy se coalisent. Bazar total le vendredi puisque les deux finalistes se proclament vainqueurs ! Le Parti socialiste apparaît coupé en deux, au bord de la rupture, et en très mauvaise santé puisqu’il n’y a que 23 759 votants… sur 41 000 inscrits. Tandis que la direction du PS (Corinne Narassiguin) donne Olivier Faure vainqueur avec 393 voix d’avance (50,83 % des voix). Evidemment, Mayer Rossignol crie à la tricherie et proteste. Non seulement il se désole que le PS soit « au bord de la rupture », mais encore il promet d’exploiter tous les recours juridiques possibles afin d’éviter que les militants « abasourdis », « tristes », « furieux » ne se fassent « voler l’élection » (Le Monde, dimanche 22-lundi 23 janvier 2023). Evidemment, Olivier Faure ne tient pas le même discours : « Le résultat est clair et net. Le temps des votes est terminé. Je suis reconnaissant aux socialistes de m’avoir confirmé dans la plus belle des fonctions, celle de conduire et d’animer le parti de la justice sociale et écologique. Maintenant, ma responsabilité est de nous rassembler. » (Le Journal du dimanche, 22 janvier 2023). Dimanche après-midi, un communiqué émanant de la direction du PS est publié attestant qu’Olivier Faure aurait bien obtenu une courte majorité des militants avec 51,09 % des suffrages, face à son adversaire Nicolas Mayer-Rossignol. Selon le texte, le résultat est « définitif », après l’« examen des procès-verbaux des fédérations et étude des requêtes en irrégularité, et alors que les voix faisant l’objet de contestations ont été réservées ». (Libération, lundi 23 janvier 2023). Riposte immédiate de NMR : il évoque des « pratiques de fraude électorale ». « J’accepterai toujours le résultat démocratique. Mais je n’accepterai jamais que la démocratie ne soit pas respectée. J’ai décidé de ne plus me taire sur les pratiques qui ont cours au PS depuis trop longtemps », dénonce-t-il. Mayer-Rossignol parle d’« irrégularités dans de trop nombreux endroits », avec « des bulletins sans enveloppe, des scrutateurs empêchés, des urnes remplacées par des boîtes à chaussures » (Libération, lundi 23 janvier 2023). Pour ce dernier, « ce n’est pas normal qu’un parti démocratique ne soit pas capable d’organiser un scrutin clair, et de manière rigoureuse » (France 3 Normandie, dimanche 22 janvier 2023). Jean-Marc Ayrault ne peut que constater que « cette situation est même pathétique, parce que le PS est extrêmement affaibli, il n’a jamais été si faible, dans son histoire et c’est en ce moment qu’on est en train de se déchirer » (Franceinfo, dimanche 22 janvier 2023). On peut compléter les « pratiques » que cite NMR. Aussi bien dans les partis de droite que dans ceux de gauche, on sait fabriquer des adhérents avant les élections internes, on sait bourrer les urnes (aux heures creuses) grâce aux secrétaires de section, on sait commettre des « erreurs » lors du dépouillement… Avec de l’imagination et des complicités, tout est possible. Une simple question de « savoir-faire »… On peut dire que celui qui « tient » la section fait l’élection.
Les socialistes sont de « bons camarades »
Voilà l’univers sympathique dans lequel évolue Johanna Rolland. A Nantes, l’ambiance est tout aussi sympathique. En effet si la maire fait campagne pour Olivier Faure, deux de ses adjoints (Pascal Bolo et Gildas Salaün) soutiennent Nicolas Mayer-Rossignol. Et Bolo (finances et sécurité) « sort carrément la sulfateuse pour critiquer ses camarades qui soutiennent l’actuel dirigeant du parti, Olivier Faure. Dont la première d’entre eux n’est autre que sa « patronne » Johanna Rolland » (Ouest-France, Loire-Atlantique, mardi 17 janvier 2023). Les adhérents sont profondément divisés, se déchirent et s’insultent sur les réseaux sociaux. « Au moins, il y a débat », admet Dominique Raimbourg, le premier secrétaire de la fédération de Loire-Atlantique. « Du débat ? Des brocardages au mieux, des invectives le plus souvent, des attaques violentes, ciblées parfois. » « Au plan départemental, entre les soutiens de Karim Benbrahim, poulain d’Olivier Faure, et les fidèles de Gildas Salaün et Sophie Normand, le binôme qui défend la ligne Mayer-Rossignol. » (Presse Océan, jeudi 19 janvier 2023). Au cours de ces échanges chaleureux, Christophe Clergeau, conseiller régional des Pays de la Loire et secrétaire national à l’Europe du PS, se fait démolir : « Tu es médiocre Christophe. Vraiment médiocre. C’est sans doute pour cette raison que tu es minoritaire dans ta propre fédération. Mépris, condescendance et insultes sont tes marques de fabrique. C’est sans doute pour cela que tu n’as jamais gagné une élection », tacle Debout les Socialistes (Presse Océan, jeudi 19 janvier 2023). Un vieux militant socialiste de Loire-Atlantique se montre tout aussi réaliste : « Dès qu’il y a une élection et un pseudo pouvoir, car c’est de cela qu’il s’agit avec la fédération départementale, on retombe dans la fange et on se roule dedans ! Il faudrait d’ailleurs rechercher dans les archives les clashs sur la fédé du 44 en lien avec la famille Clergeau, mère et fils » (Presse Océan, samedi 21 janvier 2023). Mais Olivier Faure sait consoler Johanna Rolland : « C’est une femme de terrain, pas une apparatchik et on besoin de recréer ce lien entre le national et les territoires » (Ouest-France, Loire-Atlantique, jeudi 19 janvier 2023).
Johanna Rolland ne fait pas la loi en Loire-Atlantique
Malheureusement, la « femme de terrain » n’a pas brillé pour ce second tour de l’élection du Premier secrétaire du PS. Seulement 635 adhérents de Loire-Atlantique – sur 1 227 encartés – se sont déplacés dans les 36 bureaux de vote. Certes Olivier Faure a recueilli 60,73 % des suffrages des militants nantais et 61,41 % de ceux de la métropole ; « une vraie satisfaction » pour Johanna Rolland (Presse Océan, samedi 21 janvier 2023). Mais, à l’échelon départemental, Nicolas Mayer-Rossignol l’emporte (337 voix, soit 53,07 %). Alors que Olivier Faure ne récolte que 298 suffrages (46,93 %). Soit un écart de 39 voix. « C’est Saint-Nazaire qui a fait basculer le vote en faveur du maire de Rouen (Nicolas Mayer-Rossignol). 130 des 144 votants nazairiens ont fait payer à Olivier Faure la non-investiture de David Samzun pour les municipales 2020 et le parachutage de l’insoumis Matthias Tavel aux législatives en juin dernier ! » (Presse Océan, samedi 21 janvier 2023). A la vérité, il en faudrait davantage pour attrister Mme Rolland ; elle est habituée aux mauvais résultats. Tout le monde se souvient que, lors de l’élection présidentielle, elle était la directrice de campagne d’Anne Hidalgo. Le résultat fut triomphal : 1,74 % des suffrages pour la maire de Paris à l’échelon national et 2,29 % en Loire-Atlantique. Mais surtout 2,56 % dans la ville de la « directrice de campagne ». Dans la cité des ducs de Bretagne, Mme Hidalgo n’arrive qu’en septième position – Jean-Luc Mélenchon fait la course en tête (33,03 %), suivi par Emmanuel Macron (29,68 %).
Les adhérents de Saint-Nazaire ont le droit d’être contents ; ils ont joué un mauvais tour aux Nantais. En particulier le maire David Samzun qui se dit « satisfait de voir le texte de Nicolas Mayer-Rossignol largement en tête en Loire-Atlantique » (Ouest-France, Loire-Atlantique, 21-22 janvier 2023). Prochain round : l’élection du premier secrétaire fédéral. Les partisans d’Olivier Faure présentent Karim Benbrahim et ceux de Nicolas Mayer-Rossignol Gildas Salaün. L’actuel premier secrétaire fédéral Dominique Raimbourg se montre inquiet. Parce que ce scrutin et la campagne qui l’a précédé « peuvent laisser des traces. Nous ne sommes pas à l’abri d’une scission et d’une hémorragie des militants. On l’a déjà vécu et je le redoute » (Presse Océan, samedi 21 janvier 2023).
Bernard Morvan
Illustrations : DR
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4 réponses à “Nantes : du rififi chez les socialistes”
Chamaillez-vous tout votre saoûl, saint Marx reconnaîtra les siens
Je suis complètement écœuré par ce Parti qui se déchire.
numéro deux du parti, qui pourra donc se réunir dans une cabine téléphonique
Positivons : si jamais Gildas (Salaün) l’emportait sur Karim (Benbrahim), ce serait la première fois depuis Patrick Maréchal qu’on aurait un élu socialo favorable à la réunification ! Jean-Marc (Ayrault) doit se retourner dans sa tombe (ah ? il n’est pas mort ?)