Suite à la parution de son livre : Notre héritage, ce que la France a apporté au monde (L’Artilleur), nous avons interrogé André Larané.
Breizh-info.com : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
André Larané : Né en 1952, j’appartiens depuis peu à la génération 7.0 ; je suis issu de la paysannerie gasconne et j’ai suivi mes parents en Afrique et à Madagascar avant de faire des études d’ingénieur et aussi des études d’histoire. Il y a près de 25 ans, j’ai fondé Herodote.net qui est aujourd’hui un média de presse en ligne et le principal site d’Histoire en langue française. J’ai publié quelques manuels d’Histoire chez Flammarion, dont une Chronologie universelle publié dans plusieurs langues. Enfin, l’envie m’est venue d’écrire une Histoire de France centrée sur les apports de notre pays à l’humanité. C’est ainsi que j’ai publié en octobre 2022 Notre Héritage en recensant tout ce qui fait que la France a changé le monde.
Breizh-info.com : « Le monde d’aujourd’hui ne serait pas le même sans la France » écrivez-vous. N’est-ce pas un brin exagéré, dans le sens où c’est plus globalement la civilisation européenne, dont la France fait partie, qui a influé durant des siècles sur le destin du monde ?
André Larané : Ce n’est pas exagéré du tout. Je précise d’abord que l’on pourrait écrire un livre similaire sur les apports de l’Angleterre, de l’Italie ou encore de l’Allemagne à l’humanité. Par rapport à ces grands pays constitutifs de notre civilisation, la France occupe néanmoins une place de premier choix.
C’est en effet grosso modo sur notre sol, à la charnière entre les Alpes, les Pyrénées et le Rhin, entre la mer du Nord et la mer Méditerranée, dans un hexagone que l’on n’appelait pas encore la France que la civilisation européenne a germé il y a un millier d’années. C’est dans cet espace privilégié par la nature que les cultures germanique et gréco-latine ont fusionné après la chute de Rome ! C’est là qu’est née la société féodale. Elle s’est substituée aux formes impériales traditionnelles et a donné naissance aux premiers États autour de l’An Mil, à commencer par la France et l’Allemagne.
Qui plus est, par une exception historique, notre territoire, à la pointe de l’Eurasie, a été, à partir de l’An Mil, épargné par les invasions et les grandes migrations. Les paysans ont pu de la sorte, génération après génération, consolider leurs coutumes. Celles-ci ont acquis force de loi et ont abouti à ce que l’on pourrait appeler une société de confiance. C’est une condition sine qua non au développement économique. Si vous projetez de travailler et investir sur le long terme, il faut que vous soyez assuré d’être protégé par la loi contre les escrocs, les pillards et les détenteurs de l’autorité publique…
Ces nouvelles formes de sociabilité, inventées sur notre sol, ont ensuite diffusé dans toute l’Europe occidentale, y compris en Angleterre avec le débarquement de Guillaume le Conquérant en 1066. Et leurs fruits, dans leur grande diversité, constituent cette civilisation européenne à laquelle nous sommes attachés.
Breizh-info.com : Quels ont été, pour vous, les principaux apports de la France au monde ?
André Larané : Plus que tout, je souligne l’émancipation des femmes comme étant le plus bel apport de la France au monde. Le statut des femmes était plutôt élevé dans les sociétés germaniques et très bas dans les sociétés méditerranéennes. Quand les uns et les autres se sont rencontrés sur notre sol, les Germains l’ayant emporté sur les Romains, c’est leur conception qui a prévalu. Et c’est ainsi que l’Église a imposé dès avant l’An Mil le mariage par consentement mutuel devant témoins. Elle a aussi interdit les unions consanguines. Pas question de marier les fillettes à un oncle ou un cousin comme c’est encore le cas dans les pays de culture islamique, indienne ou autre… Ce fut une révolution sans précédent qui a permis aux femmes, au Moyen Âge, de tenir leur place dans la société quasiment à égalité avec les hommes. Il y aura une régression à la Renaissance et surtout au XIXe siècle quand reviendront en faveur les modèles de l’Antiquité.
Cela mis à part, les deux grands siècles français, de mon point de vue, sont le XIIe siècle et le XVIIIe. Le premier amène les croisades mais aussi l’art gothique, plus justement appelé art français, la poésie courtoise et la courtoisie inventées si l’on peut dire à Poitiers dans l’entourage d’Aliénor d’Aquitaine, etc.
De la même façon, c’est dans l’hexagone et dans sa périphérie que sont apparues les paix de Dieu, des mouvements initiés par l’Église et qui ont contribuer à pacifier la société. C’est aussi dans l’hexagone et dans sa périphérie qu’est apparu le mouvement communal. C’est enfin au coeur du Bassin parisien, à Paris et Chartres, que les intellectuels, au XIIe siècle, ont osé séparer la raison de la foi. Pour Abélard par exemple, il est devenu possible de réfléchir sur le monde en toute liberté d’esprit sans pour autant cesser d’être un bon chrétien. Ne nous étonnons pas si, dès lors, Paris est devenu le lieu du monde où l’on a le plus écrit et pensé jusqu’au XXe siècle!
Le XVIIIe siècle me plaît bien également malgré la fatuité de beaucoup de penseurs à la mode tel Voltaire, écrivain talentueux mais d’un grand mépris à l’égard des humbles. Ce siècle voit les Français se lancer à la découverte du monde et se pencher avec curiosité sur les autres civilisations. Ce mot même est inventé par le père du tribun Mirabeau. La France et les Français innovent dans beaucoup de domaines. C’est un Français, Boisguilbert, qui invente l’économie politique. Lavoisier lance pour de bon la chimie. Les frères Montgolfier arrivent pour la première fois à envoyer des hommes en l’air, etc.
Au siècle suivant, la France entre en concurrence sérieuse avec ses voisins mais n’en reste pas moins très innovante, de Pasteur à Eiffel en passant par Lesseps, Niepce, Vicat et beaucoup d’autres. Ce siècle voit l’apogée de la civilisation européenne, dont les graines ont été semées ainsi que je l’ai dit, huit ou dix siècles plus tôt entre Pyrénées et Rhin.
Breizh-info.com : A l’heure où la critique de l’Occident est courante, et où en France notamment, nombreux sont les acteurs qui font de la culpabilisation et de la repentance un fond de commerce idéologique, en quoi était-il important selon vous de publier ce livre?
André Larané : Ni haine, ni ressentiment. Je ne me suis pas soucié de démonter les allégations des chercheurs ou historiens aveuglés par leurs apriori idéologiques qui s’efforcent de démontrer de toutes les façons possibles que tous les maux du monde actuel découlent de notre Histoire.
Mon livre souligne les apports inédits de nos aïeux à l’humanité en écartant ce qui fait l’ordinaire de toutes les sociétés humaines : luttes de pouvoir, oppressions, guerres civiles, religieuses ou autres, etc. Tout mon plaidoyer repose sur des faits avérés et des enchaînements logiques. Il débouche sur une évidence : tous les êtres humains se doivent de respecter le legs de leurs aïeux et les Français ont plus que quiconque sans doute des motifs d’en être fiers. Je termine d’ailleurs mon livre sur le cri du coeur de Joséphine Baker à Washington, en 1963, devant les 250.000 manifestants de la Marche pour la liberté : « Lorsque j’étais enfant, ils ont brûlé ma maison, j’ai eu peur et je me suis enfuie. J’ai fini par m’enfuir très loin. Jusqu’à un endroit qu’on appelle la France. Je peux vous dire, mesdames et messieurs, que dans ce pays qui semblait sorti tout droit d’un conte de fées, je n’ai jamais eu peur. ».
Breizh-info.com : Le journal The Telegraph, évoquait récemment le déclin, l’effondrement progressif de la France et de la société française au 21ème siècle. Comment jugez vous cette interprétation?
André Larané : Malheureusement, je crois que ce jugement recouvre une réalité, mais pas seulement pour la France. C’est toute l’Europe qui me semble concernée. Déclin démographique. Crise migratoire. Délitement des États. Nous avons renoncé à ce qui a fait la grandeur de l’Europe : la diversité de ses États-nations, à la fois souverains et solidaires. Nous nous sommes alignés sur les États-Unis dans le domaine militaire comme dans les domaines économique, énergétique et, pire encore, culturel. C’est particulièrement net depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Travaillez-vous actuellement sur d’autres projets littéraires?
André Larané : Je me suis recentré sur le site Herodote.net et je me réjouis de recevoir des contributions de qualité de la part d’historiens talentueux, dans tous les domaines. Ces échanges me donnent l’idée de futures publications mais pour l’heure, il est prématuré d’en parler. Tout change tellement vite…
Propos recueillis par YV
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Une réponse à “André Larané : « Le monde d’aujourd’hui ne serait pas le même sans la France » [Interview]”
cela fait des années que je suis abonné à Herodote dont je savoure les publications, en particulier les éditos de André Larané. Un grand merci pour cette bouffée d’air frais qu’il apporte. Pertinence, intelligence, profondeur historique et culturelle, lucidité. Nous sommes à des années lumière de toute cette vague idéologique et délétère des déconstructionnistes, des négationnistes de la culture et de l’histoire de France. Encore merci Yves Gomez