Il est parfois difficile de faire le tri parmi le nombre de livres consacrés à la Bretagne, à son histoire, à son identité. Une brève histoire de l’identité bretonne, signé Joël Cornette (édité chez Tallandier), se distingue par la façon dont l’ouvrage renouvelle considérablement l’approche que l’on peut se faire de la construction de l’identité bretonne au fil des siècles, au fil de notre histoire, cette histoire que l’Education nationale française n’enseigne pas aux jeunes Bretons.
Comment peut-on être Breton ? Comment le devient-on ? De quelle singularité la Bretagne peut-elle être créditée ? Comment comprendre le décalage entre la fierté des Bretons et leur image vue et transmise par d’autres ? Pourquoi cette identité insubmersible ? La réponse à ces questions est au coeur de ce livre, car l’identité bretonne est née d’une histoire chahutée et mouvante : inscrite dans la longue durée de plus d’un millénaire, la dévalorisation des Bretons, des Bas-Bretons surtout, ne cesse d’étonner quand on la compare à la réalité d’un territoire longtemps autonome, indépendant, riche économiquement, notamment au temps des ducs, aux XIVe et XVe siècles.
Joël Cornette, éminent connaisseur de la Bretagne, met en valeur, dans un essai clair et concis, la puissance de cet « État breton » envoie d’affermissement à la fin du Moyen Âge, avant d’analyser ce que l’annexion forcée par le royaume de France, en 1532, a signifié. Déconstruisant les lieux communs qui se sont cristallisés sur cette péninsule et ses habitants, il retrace une histoire méconnue et souligne l’originalité d’une identité bretonne trop longtemps décriée.
Pour évoquer cet ouvrage ( à commander ici), nous avons interrogé Joël Cornette.
Breizh-info.com : Pouvez vous, tout d’abord, vous présenter à nos lecteurs ?
Joël Cornette : Je suis professeur émérite de l’université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis où j’ai enseigné durant une vingtaine d’années, jusqu’en 2017. Je suis aussi un « fils de la République » : mon père était ouvrier à l’Arsenal de Brest – il n’y avait pas de livre à la maison – et c’est par l’école (primaire et secondaire à Brest, classes préparatoires à Bordeaux, Normale Sup à Saint-Cloud) que le « virus » de l’histoire m’a atteint, pour ne plus me lâcher…
Breizh-info.com : En mettant Bécassine le poing levé pour illustrer votre ouvrage, quel est le message que vous voulez faire passer ?
Joël Cornette : Bécassine – Annaïk Labornez (la bornée !) -, cette servante sans bouche du début du XXe siècle – elle fut dessinée pour la première fois en 1905 -, me paraît emblématique d’une certaine vision des Bretons et des Bretonnes, considérés comme des êtres quelque peu inférieurs, condamnés à l’obéissance, au travail, à la dépendance (et à la misère)… Jusqu’au formidable renversement d’image que représente cette Bécassine à la bouche ouverte, le poing levé, dessinée par Alain le Quernec pour une affiche du PSU dans le cadre des luttes des « années 68 » (de 1968 à 1981).
Breizh-info.com : Comment est-il possible que l’identité bretonne soit toujours aussi puissante, et sujette à beaucoup de passions, alors que comme vous le soulignez en introduction de l’ouvrage, notre histoire ne nous ai pas transmise, à nous, les Bretons ?
Joël Cornette : Je crois (je suis sûr !) que l’histoire est un vecteur essentiel qui permet de s’enraciner dans le temps, de se sentir tout à la fois différent et fier d’un passé riche et fécond : c’est là une arme, pour mieux se situer dans le présent et se projeter dans l’avenir. C’est le cas précisément de la Bretagne, dont l’histoire a été, en grande partie, recouverte et occultée par l’histoire hégémonique et jacobine de la « nation France ».
Breizh-info.com : Que définissez vous par Paradoxe armoricain ?
Joël Cornette : Je crois que le coeur de ce paradoxe est l’affirmation de plus en plus forte, en ce XXIe siècle mondialisé, d’une identité que je qualifierai d’ « insubmersible » , bretonne précisément, mais à l’intérieur la « nation France ».
Breizh-info.com : Même si votre livre s’intéresse à plusieurs morceaux de l’Histoire de la Bretagne, votre but est autre. Peut-on parler d’une tentative de fédérer des informations constitutives de la construction de l’identité bretonne au fil des siècles, et de sa singularité ?
Joël Cornette : Oui, absolument : ce livre insiste, je crois, sur les différents « ingrédients » qui, associés, forment et forgent cette identité bretonne qui n’est pas très éloignée de la définition d’une nation : un territoire (incluant évidemment Nantes dans cet espace qui est resté, durant un millénaire, pratiquement inchangé), une langue, une histoire, le sentiment d’appartenir à une culture spécifique et de la partager…
Breizh-info.com : Terre historiquement catholique, peuplée de calvaires, terre de pardons, la religion ne semble pourtant plus aujourd’hui, être totalement constitutive de cette identité bretonne qui, comme en 2013, se heurte avec fracas aux symboles de l’Etat français. N’est-ce pas là une forme d’amputation de cette identité collective historique que l’abandon progressive de la foi en Bretagne ?
Joël Cornette : Un certain christianisme, sans doute, fait bien partie intégrante de cette « identité », mais il s’agit du christianisme des origines de la Bretagne, du Ve au VIIe siècle, quand tous ces « saints » (pas très catholiques à vrai dire) sont passés de la grande à la petite Bretagne pour forger une entité géographique, politique et religieuse spécifique, qui a résisté de toutes ses forces, les armes à la main, aux tentatives de contrôle des Mérovingiens puis des Carolingiens. Et, du reste, la première décision de Louis le Débonnaire, le souverain carolingien vainqueur de Murman, le « roi » des Bretons, en 818, fut de réformer l’Eglise bretonne pour la forcer à abandonner l’usage celtique et à s’aligner sur les pratiques de l’Eglise carolingienne : une manière d’éradiquer son identité religieuse…
Breizh-info.com : Vous êtes historien pas visionnaire. Néanmoins, comment imaginez vous la Bretagne en 2032, 500 ans après la perte de son indépendance ?
Joël Cornette : Il est vrai qu’il est impossible de préjuger ce que sera demain. Mais je crois que l’image de cette Bécassine « gueulante », choisie pour la couverture de mon livre, l’emportera sur la Bécassine muette, dépourvue de bouche. Les Bretons sont capables, et ils l’ont prouvé (notamment en 2013, année des « Bonnets rouges »), de faire de leur histoire un instrument de résistance et de légitimité.
Propos recueillis par YV
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5 réponses à “Joël Cornette : « Les Bretons sont capables de faire de leur histoire un instrument de résistance et de légitimité » [Interview]”
Il m’arrive de plus en plus de penser à 2032 car on s’approche du 500-ème anniversaire de 1532 : l’année funeste où l’on a perdu notre indépendance. Comment l’anniversaire des 500 ans de l’annexion de la Bretagne par la France va-t-il être célébré et par qui ? En tout cas, sûrement pas par-moi si je suis toujours là car je n’ai toujours pas accepté cette annexion discutable par un pays qui a plus détruit que construit dans notre pays et qui, actuellement, nous entraîne dans son inexorable déclin.
C’est sûr que Paris, en quelques décennies, a réussi à considérablement affaiblir la culture bretonne, au point que contrairement à ce que dit Joël Cornette, elle est réellement en danger.
Mais il ne faut pas se tromper d’époque. C’est maintenant au tour de la France (et de toute l’Europe) de passer à la moulinette. Dans quelques décennies, il est probable que l’identité française classique elle-même deviendra résiduelle. Alors on lachera quelques subventions pour faire marcher le tourisme.
Amis Bretons, et si vous militiez, avec d’autres régions, pour abroger la constitution actuelle et la remplacer par la constitution suisse ? Démocratie DIRECTE à tous les niveaux : villages, cantons, dpts, région.
Merci à Joël Cornette pour son dévouement à la Bretagne.
Sans doute pourrait-on ajouter aussi la géographie qui en fait une péninsule ayant plus de lien physique avec la mer qu’avec le continent ?
100% d’accord. En Bretagne sud le taux de parisiens a grimpé en flèche. Ils nous dictent maintenant comment danser nos danses traditionnelles, avec force variantes plus fun, ce qu’on doit danser en Fest Noz – des mazurka des polka des valses des Pieternelles (Flandres) des bourrées, des Salopada (italiennes). Ils ne supportent plus la danse collective ni la puissance du biniou bombarde. La musique modale traditionnelle est remplacée par un tsoin-tsoin en sol majeur. Ils causent à tord et à travers pour ne rien dire et mentent comme des arracheurs de dents; Ils ne respectent ni la terre ni la mer. Ils n’appartiennent pas à la terre. . Ils se gavent de homards au super U local. Ils se disent « Bretons de cœur », voire « marins bretons » quand ils montent sur une barque. Tout leur appartient. Le pire est que les Bretons locaux se laissent enfumer au nom du progrès, de la mondialisation heureuse. Bref on met tout ce qui faisait notre lien à la poubelle de l’histoire. Tranquillement. Quand les met-on à la porte?