Gilles Antonowicz : « Outreau est le symptôme d’un désastre culturel, moral, institutionnel, social » [Interview]

Vingt ans après, l’affaire d’Outreau revient sur la scène médiatique avec le docu-série diffusé hier, mardi 17 mais aussi le 24 janvier sur France 2. En parallèle, un livre vient de sortir aux éditions Max Milo, intitulé Outreau, l’histoire d’un désastre, signé Gilles Antonowicz.

Un livre qui retrace ce fiasco judiciaire et sociétal et qui décortique et analyse les 30 000 pages de procédures que s’est procuré l’auteur.

L’affaire d’Outreau, rappel des faits

L’affaire d’Outreau est une affaire pénale d’agression sexuelle sur mineurs concernant des faits qui se sont déroulés entre 1997 et 2000. Elle a donné lieu à un procès devant la cour d’assises du Pas-de-Calais (Saint-Omer), du  au , puis à un procès en appel auprès de la cour d’appel de Paris en 1, enfin à un procès à Rennes en 2015 devant la Cour d’assises pour mineurs d’Ille-et-Vilaine (Rennes). L’affaire a débouché sur l’acquittement de treize des dix-sept accusés — dont plusieurs avaient été maintenus en prison pendant plusieurs années, en détention préventive — et quatre jugés coupables. Douze enfants sont reconnus par la justice victimes de viols, d’agressions sexuelles, de corruption de mineurs et de proxénétisme, dont certains sont les enfants de personnes acquittées2. Un accusé s’est suicidé en prison lors de sa détention préventive, avant le premier procès.

L’ampleur des actes d’accusation, du nombre des accusés et des enfants reconnus victimes en font une affaire d’ampleur nationale, qui a suscité une forte émotion dans l’opinion publique et mis en évidence des dysfonctionnements de l’institution judiciaire et des médias. Les particularités des procès (jugés inéquitables pour les enfants), et les multiples retentissements de l’affaire font de l’Affaire d’Outreau un sujet toujours sensible, car beaucoup continuent de croire que les acquittements prononcés en 2005 sont le résultat d’une campagne médiatique. Une commission d’enquête parlementaire a été mandatée en décembre 2005 pour analyser les causes des dysfonctionnements de la justice dans le déroulement de cette affaire et proposer d’éventuelles réformes sur le fonctionnement de la justice en France.

Le , le tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer a condamné Franck et Sandrine Lavier, deux acquittés d’Outreau, respectivement à dix et huit mois de prison avec sursis pour violences habituelles (sans caractère sexuel) sur deux de leurs enfants. Le couple avait été également inculpé de corruption de mineurs, des vidéos prouvant que des adultes nus avaient mimé des actes sexuels devant de jeunes enfants au domicile des Lavier. Le tribunal a estimé que ces faits étaient moralement répréhensibles, mais que la volonté de corrompre les mineurs n’était pas prouvée et a acquitté les époux Lavier de ce chef.

Le , Franck Lavier est placé en garde à vue, sa fille Cassandra de 17 ans ayant porté plainte contre lui pour agressions sexuelles et viols. Il a été mis en examen à l’issue de sa garde à vue mais laissé libre sous contrôle judiciaire avec notamment l’interdiction de se présenter à son domicile et d’entrer en contact avec la plaignante. En juillet 2021, le parquet a requis le renvoi de Franck Lavier devant le tribunal correctionnel pour des faits d’agressions sexuelles, commis entre septembre 2014 et mai 2016. Il a fait appel de son renvoi en septembre 2021 mais devra être jugé aux assises du Pas-de-Calais.

En mars 2022, Chérif Delay, une des anciennes victimes, comparaissant devant le tribunal correctionnel de Versailles pour des délits de violences conjugales en récidive de 2016 à 2022, est mis en examen par un juge d’instruction à Versailles pour tentative de meurtre par conjoint et menaces de mort après des aveux en audience.

Pour évoquer cette affaire, nous avons interrogé Gilles Antonowicz

Breizh-info.com : Pourriez vous vous présenter à nos lecteurs ?

Gilles Antonowicz : Je suis avocat honoraire, et comme tout pénaliste ayant fréquenté les cours d’assises et les tribunaux correctionnels, j’ai été amené à traiter quantité d’affaires de viols ou d’agressions sexuelles commis notamment sur des mineurs. J’ai résumé cette expérience dans un livre paru aux éditions Odile Jacob en 2001, Agressions sexuelles, la réponse judiciaire, ce qui m’a tout naturellement conduit à m’intéresser à l’affaire d’Outreau.

Breizh-info.com : Qu’est-ce que votre ouvrage entend apporter par rapport à ce qui a déjà été dit ou écrit sur cette affaire, terrible ?

Gilles Antonowicz : Mon livre fait une analyse de cette affaire de manière objective et dépassionnée, ce qui n’a jamais été fait jusqu’à présent, tous les ouvrages sortis sur cette affaire étant soit des ouvrages partisans, soit des plaidoyers pro domo, d’ailleurs écrits pour la plupart avant que la procédure judiciaire ne soit close.

Breizh-info.com : Outreau est-il le symbole de l’échec de la magistrature française ou bien simplement celui d’un juge incompétent ?

Gilles Antonowicz : Outreau n’est nullement le symbole de l’échec d’un juge ou de la magistrature. C’est bien plus grave que cela. C’est le symbole d’un effondrement général. Outreau est le symptôme d’un désastre culturel, moral, institutionnel, social. C’est cela que je montre dans mon livre.

Tout le monde a failli : les juges, les avocats, les médecins, les services sociaux, les psychologues. La médiocrité, à de rares exceptions près auxquelles il convient de rendre hommage, a été générale.

Breizh-info.com : Y’a-t-il un tabou, ou des portes fermées, aujourd’hui, au sujet de la pédocriminalité en France, et si oui, selon vous, pour quelles obscures raisons ?

Gilles Antonowicz : Je ne suis pas un adepte des théories du complot. Le seul « tabou » réside dans le peu de cas que l’opinion, les politiques et les médias accordent aux dégâts provoqués par l’univers pornographique dans lequel baigne notre société. Un rapport sénatorial, Porno, l’Enfer du décor, publié en septembre 2022 dont je fais état dans mon livre nous apprend que le chiffre d’affaire de l’industrie pornographique en France est égal au budget de la Justice (8 milliards €), que la France se place dans le peloton de tête en matière de consommation de ce type de produit (4ème derrière les Etats-Unis, le Royaume-Uni et le Japon), que 20 millions de Français se rendent au moins une fois par mois sur une plateforme pornographique dont 2,5 millions de mineurs, que 75 % des garçons voient leur premier film à l’âge de 9 ans et 20 % des filles à l’âge de 11 ans.

Lors de sa première audition, Myriam Badaoui déclare au juge Burgaud : « vous savez, regarder des cassettes porno tous les soirs, ça rend fou« . Effectivement. C’est une des clefs de l’affaire d’Outreau.

Propos recueillis par YV

Crédit photo : DR

[cc] Breizh-info.com, 2022, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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2 réponses à “Gilles Antonowicz : « Outreau est le symptôme d’un désastre culturel, moral, institutionnel, social » [Interview]”

  1. Travis dit :

    Confinés dans leur caste durant toute leur formation, ces juges ne connaissent rien de la vie, de la complexité des rapports humains. Ce sont des puceaux de l’existence incapables de discerner les motivations profondes des protagonistes du zoo et des lois naturelles de celui-ci, bien plus contraignantes que celles du Dalloz.

    Ce petit masturbin de burgaud s’est fait promener par la grosse badawi, malgré ses diplômes. Triste cirque .

  2. teroy dit :

    Comment peut-on avoir confiance dans la justice ? Les magistrats sont censés rendre la justice au nom du Peuple français mais alors ils doivent être élus par le Peuple comme aux USA où les procureurs et certains juges sont élus et virés si le Peuple les juge incompétents l’Ecole de la Magistrature fabrique des magistrats au corporatisme vichyste il faut supprimer cette officine qui pratique plus d’idéologie que de justice

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