L’ouvrage d’Alan Le Cloarec L’histoire du nationalisme breton (Yoran Embanner, septembre 2022) présente l’avantage de commencer par le commencement ; c’est-à-dire par les « régionalistes » du XIXe siècle. Ils étaient écrivains, poètes, linguistes, historiens, journalistes. Ils s’appelaient Emile Souvestre (Les derniers Bretons, 1836), Théodore de La Villemarqué (Barzaz Breiz, 1839), Charles Le Goffic (Le Crucifié de Kéraliès, 1891)), Anatole Le Braz (Le Théâtre celtique, 1900), Pitre-Chevalier (La Bretagne ancienne et moderne, 1844), Jean-François Le Gonidec (Grammaire celto-bretonne, 1807), Arthur de La Borderie (Le complot breton de 1492, 1884), Auguste Brizeux (Les Bretons, 1845), Paul Sébillot (Les Traditions, superstitions et légendes de Haute-Bretagne, 1880), François-Marie Luzel (Bepred breizad, Toujours breton, 1865), François Vallée (La langue bretonne et les écoles, 1895), Joseph-Guy Ropartz (Le Parnasse breton contemporain, 1889), Ernest Renan (L’âme bretonne, 1854), etc.
Il faudra attendre août 1898 pour que le régionalisme prenne une tournure politique avec la création à Morlaix de l’Union régionaliste bretonne (URB) dont le premier président fut Anatole Le Braz. Il s’agit d’une union des élites – royalistes et républicaines – qui sont d’accord sur trois points : fidélité à la France, volonté de décentralisation et crainte des mouvements sociaux. Dans un discours prononcé à Rennes en octobre 1911, Anatole Le Braz résume ainsi le positionnement de l’association : « Oui, nos racines plongent au sol breton, mais dans nos branches hautes, ô France, c’est ton esprit qui souffle à jamais » ; il y a donc une « petite patrie » et une « grande »… Dans les milieux bretons, tout le monde n’est pas en accord avec cette tonalité ; on assiste donc à la création du « Parti nationaliste breton » par Louis Le Roux et Camille Le Mercier d’Erm. « Je demande la création d’un « Parti nationaliste breton » qui groupera toutes les énergies irrédentistes de notre pays en vue d’une offensive énergique et désintéressée contre le régime de tyrannie politique et administrative où la Bretagne est réduite », écrira ce dernier (Ar Bobl, 6 mai 1911). Parmi les vingt premiers militants du PNB, on trouvera le socialiste Emile Masson.
Autre point qu’Alan Le Cloarec aborde à raison c’est la question du nationalisme. En effet, en 1940, si Olier Mordrel peut être qualifié de « nationaliste » (création de l’hebdomadaire L’Heure bretonne), Charles de Gaulle mérite le même qualificatif (Appel du 18 juin). Mais ils ne jouent pas dans la même cour. L’analyse de l’auteur mérite examen : « Personne ne parle de la résistance ou du gaullisme comme d’un fait nationaliste, ce qui est pourtant historiquement le cas. En général, plus le phénomène est célébré, moins le terme nationaliste y est associé, et vice-versa, plus l’objet étudié est détesté, plus le terme est brandi pour contester, critiquer, chercher à le faire disparaître. C’est pour cela que dans la même période des années 1940 par exemple, le PNB collaborationniste sera vu dans l’histoire comme nationaliste, alors que la Résistance française, qui l’est tout autant et si ce n’est plus encore, ne sera pas qualifiée de la sorte. »
Tout le monde ne s’appelle pas de La Borderie
On comprend ensuite qu’Alan Le Cloarec a des comptes à régler avec les historiens universitaires : « Régulièrement, le nationalisme n’est plus nommé comme tel une fois qu’il a réussi à atteindre ses objectifs et qu’il a pu expliquer l’histoire par ses propres volontés politiques. La Résistance en France, la décolonisation, la construction républicaine, autant de phénomènes nationalistes qui ne portent plus leurs noms, mais qui en choisissent d’autres pour la postérité. A l’inverse, ceux qui ont échoué ou qui n’ont pas encore accompli leurs objectifs politiques, n’ont pas les armes de l’histoire pour se construire une légende dorée. Pour ceux-là, comme particulièrement pour le nationalisme breton, on explique parfois sur des centaines de pages, que tout cela n’est que de la folie de quelques cerveaux dérangés, car tout « nationalisme » serait irrationnel et porté par la haine. On remarquera d’ailleurs que les arguments des antinationalistes bretons des débuts du XXe siècle sont les mêmes que les arguments universitaires d’aujourd’hui : ce qui fait le cœur du nationalisme breton hier comme aujourd’hui est tout simplement une vaste folie et il n’est pas utile d’aller chercher plus loin pour comprendre ses buts, ses objectifs, ses raisons d’être et ses idées. Il ne faut comprendre, car il n’y a aurait rien à comprendre, il faut juste observer et retranscrire leurs folies, entretenir le stigmate. »
Comme il faut bien choisir son camp, Alan Le Cloarec parle dans son étude du « nationalisme breton comme d’un phénomène global, qui se compose de multiples idéologies et de multiples mouvements ». Et dans son livre, « le concept de nationalisme en lui-même renverra à des mouvements et idéologies qui revendiquent le fait de rendre libre et souveraine une communauté définie comme nationale ».
Bernard Morvan
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