Le réaménagement du Palais du commerce est-il engagé à vents contraires comme le laissent entendre les élus écologistes qui réclament « d’autres activités responsables et exemplaires » ? Le dossier engagé par la municipalité fait oublier que Rennes a une histoire avec les Indes Occidentales et les Indes Orientales.
Ce bâtiment monumental de 12 000 m² au cœur du centre-ville de Rennes en est l’illustration. Confié aux architectes Jean-Baptiste Martenot et Emmanuel Le Ray, ce phare-totem (des Indes ?) est surtout l’œuvre politique du maire et sénateur Edgar Le Bastard (1871-1892), à une époque où l’industrie du cuir et des maîtres-tanneurs très prospère dans les Indes a connu un âge d’or à Rennes. Devenu un industriel important de la ville dans cette filière, Edgar Le Bastard a été président de la Chambre de Commerce de Rennes. Au cours de ses mandats, il a considérablement travaillé au développement de l’enseignement dans la ville, notamment l’université. Par ailleurs, l’orientalisme a fortement marqué pendant son mandat le patrimoine de la ville de Rennes, en particulier l’ancien hippodrome au parc des Gayeulles. Comptoir réputé dans le commerce du cuir, Pondichéry, possession française qui rejoignit l’Union indienne en 1954, entretient toujours des liens avec Rennes, sur un plan académique. L’université de Rennes développe une coopération avec l’université de Pondichéry. Les presses universitaires de Rennes ont publié un essai de Kevin Le Doudic : « Les Français à Pondichéry au XVIIIe siècle : une société redessinée par sa culture matérielle« .
Parlons justement de « matérialité » : un Décathlon City, un espace LEGO®, un « concept hôtel », de 4000 m², avec 105 chambres opéré par le groupe Marriott (ALoft) et d’autres boutiques sont annoncés parmi les enseignes qui occuperont ce nouvel espace. Aucune des marques mentionnées ne semble avoir réfléchi au rôle atypique qu’elles pourraient jouer en phase avec l’empreinte historique de ce lieu. A commencer par la célèbre marque danoise qui promet pourtant une boutique atelier LEGO® comportant un espace muséal et événementiel innovant.
Rennes est dotée d’une allée du Danemark qui se situe dans le quartier Francisco Ferrer – Landry – Poterie et prend son origine sur la rue Monsieur Vincent. Cette voie fut dénommée par délibération du conseil municipal de la ville de Rennes le 26 septembre 1969. Cette voie fait référence au pays d’Europe et symbolise l’importance des alliés danois sur la route des Indes, en particulier pendant la campagne des Indes (1781-1783) contre l’Angleterre dirigée par Suffren avec l’intendance de Gaud Louis de Ravenel. Mais les plans de cette future boutique atelier LEGO® semblent totalement occulter cet aspect historique. L’argument des élus écologiques allant vers plus « d’activités responsables et exemplaires » tient la route mais demande des prolongements pour accompagner une vraie vision d’attractivité internationale pour la ville. Si cette boutique atelier ne voyait finalement pas le jour, elle gagnerait à être remplacée par une autre enseigne totem en relation avec l’histoire locale du cuir et le mouvement d’internationalisation des chaînes de valeurs. Cette mémoire industrielle est souvent regardée avec dédain. On retorque parmi les techniciens de la métropole, aux Champs Libres par exemple, qu’il s’agit d’une vision passéiste.
Les grandes capitales européennes s’approprient pleinement ce rôle de vitrine de l’artisanat et de la créativité. Par exemple, la célèbre maison Louis Vuitton a ouvert le 16 novembre 2022 à Paris : LV DREAM. Ce nouveau lieu d’exposition et gift store gratuit propose également un café et chocolaterie en collaboration avec le chef pâtissier Maxime Frédéric, du Cheval Blanc Paris.
L’occasion de revenir sur l’histoire de cette maison fondée en 1854, et découvrir ses nombreuses collaborations artistiques à travers le temps. Cette marque parisienne a révolutionné le monde de la bagagerie avec l’invention de la malle plate, facile à empiler et à suspendre. Toujours innovante, elle continuera par la suite à être précurseur dans la création.
Envie de revisiter le Palais du commerce de Rennes ? Avec ses vents contraires à Saint-Malo… En 1930, un étudiant perspicace, le nez en l’air, s’étonnait à la vue de la statue de la ville de Saint-Malo sur le palais du Commerce : «La statue symbolique qui, au Palais du Commerce, vise à représenter la ville de Saint-Malo, tient dans ses bras un morutier non moins symbolique. L’on peut remarquer que dans les voiles du bateau le vent souffle d’un certain côté et du côté contraire dans les cotillons de la femme. »
Kevin Lognoné
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