Jean Pierre Le Mat vient de mettre en ligne son History of Brittany, son histoire de la Bretagne, sous forme numérique . « Mon but est de permettre à des anglophones, Bretons de la diaspora, Celtes, ou simplement amoureux de la Bretagne, de connaître notre histoire, quel que soit leur lieu de résidence dans le vaste monde » indique-t-il.
« Cet ebook a une histoire étrange. Il y a plus de vingt ans, j’ai écrit une histoire de Bretagne en anglais pour un éditeur de Belfast, en Irlande du Nord. Ce livre avait pour titre « The sons of the Ermine », les Fils de l’Hermine. L’éditeur irlandais m’avait prévenu : le récit doit être compréhensible pour des lecteurs qui ne connaissent pas l’histoire de France. J’ai donc dû trouver des correspondances originales aux évènements bretons. Au début de chaque chapitre, j’ai rappelé les faits marquants, en Europe de l’Ouest et sur les autres continents. Nominoë est contemporain d’Eneko Arista, le premier roi des Basques. La duchesse Anne est contemporaine de Christophe Colomb, de César Borgia, de l’expansion turque en Europe centrale et du développement de l’imprimerie.
Mon livre a, par la suite, été traduit en français, ce qui m’a fait une impression bizarre. Chez un premier éditeur breton, il s’est appelé « Les cent vies de l’Hermine ». Puis il est passé chez un second éditeur, qui m’a demandé de le remanier et de le justifier par une postface que j’ai intitulée « les nations insuffisantes ». Il a été publié sous le titre Histoire de Bretagne, le point de vue breton . L’objectif de l’édition irlandaise, écrite en anglais, était de rendre l’Histoire de Bretagne compréhensible hors du cadre de la culture française. L’édition bretonne, traduite en français, puis retraduite en anglais, y rajoutait une vérité dérangeante : l’observateur est toujours de quelque part. Son origine, son éducation, sa position hiérarchique, sa culture statutaire lui assignent un point de vue, en partie conscient, en partie inconscient. L’objectivité des historiens, c’est la prétention déraisonnable à penser de manière indépendante. Que cette prétention s’appuie sur des sources et des archives prestigieuses n’y change rien. Il suffit de remonter aux raisons d’être des documents, aux tris qu’en fait l’historien et à l’importance qu’il donne aux uns par rapport aux autres. L’histoire observée dépend de l’observateur. De toutes façons, Paul Ricoeur a brillamment montré (« La mémoire, l’histoire, l’oubli », Ed. Seuil, 2000) que, jusqu’au XXe siècle, seuls les pouvoirs institués créent et conservent des archives.
Mon History of Brittany est donc le fruit d’une double traduction, d’abord de l’anglais en français, puis du français à l’anglais. Cela m’a fait réfléchir sur les histoires nationales et sur le travail des historiens. Les « histoires de France » sont généralement compilées et écrites à partir de documents français. Que serait une histoire de France écrite à partir d’archives anglaises ? Elle serait assez différente, mais les historiens français ne sont pas payés pour une telle tâche. Pourtant, les documents anglais sont aussi irréfutables que les documents français.
Les archives sont le piédestal de l’historien ; de là-haut, il se fait le porte-parole de ceux qui les ont écrits. Dans mon livre, je ne brandis pas les archives bretonnes, même si j’utilise celles qui existent. Mon projet, avec ce petit livre qui voyage désormais dans l’univers numérique, est ailleurs, et sans doute plus ambitieux. Il est d’intégrer la curieuse histoire de ma communauté bretonne dans l’histoire humaine »
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