Du temps où j’étais enfant, il n’y avait pas que le cinéma pour m’enfermer dans des terreurs indescriptibles. Il y avait eu aussi la guerre qui ne s’était pas résumée à deux exodes : une première, à presque l’âge de quatre ans, et la seconde alors que j’avais juste huit ans. De la première je me souviens être parti vers le patelin voisin, dans les collines de l’Aubance, juché sur le porte-bagage de ma maman, fasciné par les flammes et le gros nuage de fumée noire venant des rives Nord de la Loire : le dépôt de pétrole (« de l’Ouest ») cramait terriblement… La seconde fois, j’étais un gamin curieux qui trottinait le long de la colonne (et des charettes) des gens du village qui partaient vers le Sud, vers le Layon… Les Allemands nous avaient ordonné de partir « à vingt kilomètres, au moins de la Loire », avait dit le maire, M. Allory…

Cela faisait plusieurs jours que nous dormions dans les caves… 10 août 1944 : le général George Patton, alors 59 ans, descendait de Normandie avec sa 3e armée. Il plongeait sur la Loire, au sud d’Angers, et commençait à bombarder la rive gauche, préoccupé par les trois kilomètres de ponts qui traversent les Ponts-de-Cé. Et que les Allemands firent sauter… Dans notre trou qui datait de Mathusalem et même avant ce bonhomme, nous avions sur le dos un morceau de falaise d’ardoises et la maison du curé. Seulement, l’ouverture était face au Nord, ce qui n’était pas un avantage étant donné les circonstances. Bien sûr, les vieux qui avaient fait la guerre en 14, installèrent-ils une protection de troncs et de branchage… Les Allemands, qui nous chassèrent, perfectionnèrent la protection avec la pioche et la pelle et construisirent un rempart. Bon, ils y laissèrent même un cochon, mais n’allons pas trop vite.

Le temps s’est étiré. Incroyable… En vérifiant mes dires, je me suis aperçu que « ma » guerre n’avait duré qu’une effroyable quinzaine. Du 10 au 25 ou 26 août. Je venais d’avoir huit ans. La nuit, nous « dormions » sur un lit de « rouches » qui abondaient dans les marécages des bords d’Aubance… (ça s’appelle aussi « pain de grenouilles », en Anjou). C’est aussi une façon de parler du sommeil parce que je me souviens avoir « compté » le temps qui sépare le départ de l’obus de son arrivée dans les environs. Ma science venait des anciens que j’écoutais fébrilement… Comme j’écoutais les orages, chez ma Bretonne de grand-mère. Le jour, nous vaquions, prudents mais téméraires… Ainsi, ma petite sœur et ma tante furent « séparées » par un large éclat d’obus qui arriva en sifflant. Elles s’en souvinrent longtemps. Elles étaient assises dans l’herbe, dans une descente vers la Vallée…

Parmi les « attractions » dont je me souviens, il y a un « panzer » arrêté devant le café-épicerie, à deux pas de l’église et de son clocher où veillaient deux observateurs « boches ».

Il y eut aussi un drôle de personnage qui fumait un drôle de tabac blond et qui était vêtu d’un drôle d’imperméable… Un Monsieur inattendu que l’un de nous, un « grand » qui savait l’anglais, identifia comme un « éclaireur américain ». Allez savoir pourquoi ?… Il avait passé la Loire, au Grand-Port… et nous l’avions trouvé plutôt sympa…

Quand nous rentrâmes, en septembre (les vacances, cette année-là, s’étaient prolongées), nous entrâmes dans un patelin dévasté. Les toits étaient par terre et des brèches s’étaient ouvertes. Les fils téléphoniques et les câbles électriques faisaient des cerceaux sur la route traversière. C’est alors que nous découvrîmes un oubli des Allemands, un gros et gras cochon qui n’appartenait à personne et que l’ensemble des voisins immédiats débitèrent en saucisses, riauds, rillettes, jambons et « mignons », le sang transformé en « fressure »… Le cochon était devenu « porke », comme disait ma maman. Les grandes lessiveuses de chez le curé, d’immenses cuves maçonnées qui servaient jadis aux « buées » furent délaissées au profit d’une plus petite « lessiveuse » en fonte… dans laquelle mijotèrent les premières lessives de la Libération. Mon école avait perdu ses grosses poutres et son toit… alors nous allâmes faire des « dictées » au jeu de boules… Ach ! c’était colossal !

Moins « colossal » mais beaucoup plus dangereux, était les panerées de balles de mitrailleuse que nous nous partagions à l’abri des regards indiscrets des parents… Le tout, c’était de respecter le « cul » des balles quand nous les serrions en étau… Nous faisions de jolis feux avec la poudre récupérée… Les moulins, sur la colline voisine, avaient terminé leur carrière par mutation en tours de DCA… Et les FFI n’étaient pas encore arrivés.

MORASSE

Crédit photo : DR
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4 réponses à “La guerre en supplément…”

  1. Pierre Guingan dit :

    Excellent commentaire ! J’avais 3 ans 1/2 lorsque les américains (qui allaient justement libérer Angers) avaient établi un camp en bordure de la R.D. 163 (qualifiée « Voie de la Libération ») à la limite des communes de Vritz et le Pin, à quelques centaines de mètres de notre maison (lieudit La Boublinaie). Je me souviens que les soldats m’avaient donné un sachet de caramels, mais aussi du passage des avions de combat et du bruit des bombardements sur Segré et Nantes … Lointains souvenirs !

  2. Gaï de ROPRAZ dit :

    C’est une bonne entrée en matière d’une page d’un premier chapitre, sur un livre de quatre cent pages.
    Il en reste trois cent quatre vingt dix neuf à ecrire…
    J’en sais quelque chose : moi aussi j’ecris …

  3. Goulette dit :

    Quel bonheur que ce texte! Le passage qui traite du gamin qui extrait la poudre des balles me touche beaucoup. Mon grand frère faisait ça en utilisant l’étau et une pince. Il me faisait très peur et je le suppliais de laisser ça. Mais le plaisir était grand lorsque la poudre brulait. Nous avions aussi un char allemand qui s’était échoué au bout de la place du village, où chacun allait piocher des pièces détachées: mon père appelait ça « l’acier vainqueur », allusion à je ne sais quelle propagande de Vichy. On rigolait bien. Les bonbons distribués par les soldats, on n’y touchait pas. Comme disait papa, « les chiens avaient pissé dessus ». Bon courage à l’écrivain. Continuez!

  4. Maurice GOULETTE dit :

    Goulette Maurice, un des frères du précédent dit :
    J’ai vécu la même chose, à peu près, 100 Km plus au nord, à 20 Km au dessus du Mans. J’ai rédigé cet été un petit texte relatant ce que j’ai ressenti à cette époque. Le voici.
    La libération de BALLON 72230 le 10 Août 1944,
    vue par un gamin de 10 ans
    J’avais 10 ans. J’en ai 88 aujourd’hui, puisque je suis né à BALLON le 8 Juin 1934 rue Nationale qui est devenue du Général Leclerc, au n°13 au-dessus de l’épicerie Goulette.
    Le 10 Août 1944, les jours d’avant et ceux qui ont suivi, sont toujours présents dans ma mémoire. Ce que je raconte, sont les souvenirs d’un gamin de 10 ans, ayant l’esprit éveillé, mais ce n’était qu’un gosse, aussi ma vérité est à la fois exacte et imparfaite. C’est ce que j’ai vu, entendu directement , mais aussi les conversations des adultes écoutées en douce. Rien n’échappe aux gamins. Le 9 Août, le temps était beau, mais tout était silencieux comme avant un orage. On entendait parfois dans le lointain des coups de canon, et plus proches des coups de fusil. Vers 16 h un avion a mitraillé des véhicules, en direction de Saint Mars, sans doute sur la route de Courceboeufs. Le lendemain, nous avons appris que quelques personnes avaient été abattues devant leur porte par les allemands. Dans le lot se trouvait Mr Mézerette demeurant rue St Laurent et le père Toussaint qui habitait à côté de la boulangerie Binet (aujourd’hui : rue Paul Illias.) Je connaissais ces deux personnes.
    Dans l’après-midi, mes sœurs et maman ont confectionné des drapeaux. Des Français, on en avait, mais la confection des drapeaux anglais et américains était plus difficile. Combien fallait-il mettre d’étoiles et de bandes et dans quel ordre de couleurs. That-is the question ? Le petit Larousse illustré nous a été fort utile.
    Vers 20 H, les chars américains sont entrés dans BALLON , venant de Souligné. Pour marquer leur arrivée, ils ont détruit quelques cheminées, qui auraient pu servir de postes d’observation. L’horloge de l’église a laissé la place à un grand trou et le clocheton des halles a été raccourci. Le château n’a pas été en reste et une immense ouverture dans la charpente du donjon est restée visible longtemps.
    Toutes les maisons se paraient de leurs drapeaux et les Ballonnais manifestaient leur joie. Cela n’a pas duré longtemps. Tour à coup, nos libérateurs ont disparu dans leurs chars et refermé leurs tourelles. Le premier chef de char, avant de s’enfermer, nous a fait un grand signe de la main et disant dans un français approximatif : « rentrez, rentrez dans vos maisons ». La rue faisant un léger coude, des fenêtres de l’épicerie, nous pouvions voir vers la gauche l’entrée du champ de foire et à droite l’entrée de la place du marché. Surpris par le changement d’attitude des américains et n’ayant pas compris le message, nous regardions la colonne de chars. Nous avons vu le char se trouvant dans l’alignement de la rue du général Goutard, tourner sa tourelle et envoyer un obus vers la route de Saint Mars. Quelques instants après, nous avons perçu un bruit de ferraille et un engin allemand s’est immobilisé près du café Denieul (aujourd’hui pharmacie).Un drapeau blanc est apparu au-dessus de l’auto chenille, mais parmi ces soldats certains ne devaient pas être d’accord et ont ouvert le feu sur un soldat américain qui allait les faire prisonniers et abattu presque en dessous de nous, entre la porte de la mère Leconte et la vitrine de l’horloger Blin. Aussitôt le char devant la maison a tiré un obus, le véhicule allemand a pris feu, le carburant et les munitions aussi et quatre maisons ont été incendiées, ainsi qu’une partie de « l’hôtel de la Tête Noire ». La population s’est mobilisée pour lutter contre le feu. Or quelques jours avant, les allemands avaient embarqué la motopompe des pompiers. Il ne restait qu’une antiquité, une pompe à bras, fixée sur un bac qu’il fallait remplir à la main, le tout fixé sur un charriot que l’on déplaçait manuellement. Les habitants de la commune, faisaient la chaîne avec des seaux d’eau, au départ de tous les puits du bourg. Il n’y avait pas d’eau courante à l’époque. Le corps de l’américain a été déposé, recouvert d’un drapeau, dans l’entrée de la maison de la mère Leconte, afin de permettre la circulation des seaux.
    Pendant que les adultes se mesuraient avec le feu, nous avions été avec ma petite sœur et mon petit frère mis à l’abri dans la cave. Mon père l’avait débarrassée de ses tonneaux et installé des matelas et diverses choses nécessaires. Au cours de la nuit d’autres gamins nous ont rejoints. On entendait par ci, par là des obus siffler, mais c’était loin. Nous n’avions pas peur et comme tous les « quéniaux »(=enfants) inconscients, on trouvait ça rigolo.
    Le lendemain 10 Août, nous avons vu les restes de l’incendie. La carcasse calcinée de l’engin allemand, avait été traînée au fond de la place, là ou plus tard fût construite la mairie-salle des fêtes. Nous avons vu passer les restes carbonisés des soldats allemands, dans le « banniau »(= tombereau) de la ferme de l’hospice, qui ont été placés sur l’herbe à gauche de l’entrée du champ de foire, en attendant leur prise en charge, par les services compétents. Des convois incessants de chars, de Jeeps, de GMC, grignotaient en passant les bordures de trottoirs et les murs de certaines maisons. Ces marques se sont vues longtemps. Des files de fantassins passaient sur les trottoirs, pour aller faire le « nettoyage » du pays libéré. Nous avons observé, allant dans le sens inverse, des GMC surchargés de prisonniers, Un fait m’a marqué vraiment. Une jeune femme entourée de FFI, peut-être de la dernière heure, se faisait déshabiller jusqu’à la ceinture, tout en marchant, et conduite devant la maison brûlée du coiffeur pour y être tondue. Avec une claque d’encouragement, j’ai été prié de rentrer dans la maison, mais par une des tabatières (ancêtre des Velux) du grenier, j’ai observé la scène. Les gendarmes ont fendu la foule pour la coffrer, afin d’éviter son lynchage. J’ai entendu tous ces cris de haine, proférés par des gens que je croyais convenables, ce qui m’a coupé l’envie de participer à tout jamais à des manifestations extrêmes.
    J’ai remarqué bien d’autres choses, bien que mes parents m’aient défendu d’aller traîner. Peut-être n’étais-je pas très obéissant et les auteurs de nos jours ne pouvaient avoir l’œil à tout.
    Maurice Goulette 10 Août 2022

    La rue nationale est devenue après la guerre, la rue du général Leclerc. A l’époque les maisons n’étaient pas numérotées. L’épicerie occupait deux maisons en façade. La principale a reçu le numéro 13 et l’autre le n°11. La mère Leconte habitait le n° 9 .Venait ensuite une boutique avec deux vitrines avec la porte au milieu. Mr Blin, horloger occupait la partie droite et sa belle-mère modiste, l’autre côté. Cette maison porte aujourd’hui le n°7.
    Pour ceux qui me liront et ne connaissent pas l’endroit, je précise que la Ville de Ballon, bien que de petite taille, revendique le titre de Ville car elle a une longue histoire. Les Gaulois y avaient construit des défenses, qui ont précédé l’occupation Romaine. Puis, une petite forteresse y fut construite. Les anglais ont occupé les lieux pendant la guerre de 100 ans et le château qui reste dont un imposant donjon, leur est dû. La ville est construite au bout d’un petit éperon qui domine la plaine du Saosnois. Ballon se trouve dans le nord de la Sarthe à mi-chemin entre Le Mans et Mamers. Lorsque l’on arrive par la route de Mamers on est impressionné par le donjon majestueux qui se découpe sur le ciel.

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