Energie : s’appuyer sur les fautes du passé pour construire l’avenir

Notre système énergétique serait bien meilleur aujourd’hui sans l’impéritie des dirigeants de ces 25 dernières années. Il est nécessaire de reconnaître les fautes passées afin de donner aux jeunes l’envie de faire autrement et de fournir les efforts nécessaires pour construire un monde plus confortable pour tous car la décroissance n’est pas une fatalité.

Interroger le passé

Seule une analyse honnête des fautes du passé permet la justesse du diagnostic présent et la mise en place des mesures correctrices salvatrices. Interroger le passé permet d’éclairer l’avenir.

Le potentiel d’alternatives aux énergies fossiles, et notamment le nucléaire, a été sacrifié sur l’autel d’un électoralisme honteux au lieu de mettre en avant l’intérêt général consistant à diminuer notre dépendance au gaz et au pétrole.

La future raréfaction des ressources fossiles exige un regard nouveau sur l’utilisation des autres sources disponibles, surtout lorsqu’elles sont décarbonées comme le nucléaire et l’hydraulique.

L’énergie finale consommée ne représente qu’une partie minoritaire (un tiers) de l’énergie primaire produite dont les deux autres tiers sont actuellement relâchés stérilement dans l’environnement sous forme de chaleur.

L’énergie dans le monde

En 2021, les trois quarts de la production mondiale d’énergie primaire proviennent des énergies fossiles (79 %) dont le remplacement par d’autres sources sera difficile.

Le nucléaire en a fourni 5 % et l’usage traditionnel de la biomasse 4 %.

Les 12 % « autres » restants sont inégalement répartis dans un fourre-tout trompeur incluant les bioénergies modernes (7 %), l’hydraulique (3 %), l’éolien (1 %) et le solaire (1 %).

L’énergie en France

Faute de pétrole, de charbon et de gaz dans le sous-sol français, l’atout de la production d’énergie nucléaire saute aux yeux dans l’illustration ci-dessous provenant du ministère de l’Écologie :

« À la suite de la mise en place du programme nucléaire, la production française d’énergie primaire est passée de 514 TWh en 1973 (dont 9 % de nucléaire) à 1423 TWh en 2020 (dont 75 % de nucléaire ».

Le gâchis d’énergie primaire

Les données de RTE sont exprimées en énergie finale après que les deux tiers de l’énergie primaire nucléaire ont été utilisés pour la produire.

La notion d’énergie primaire reste fondamentale pour évaluer la quantité d’énergie nécessaire à la source avant transformation en énergie finale (celle qui est payée).

Or, des technologies permettent de limiter ce gâchis. Il existe également de nombreuses applications non électriques de cette filière nucléaire (chauffage urbain, dessalement d’eau de mer, chaleur industrielle, hydrogène…).

Ainsi par exemple, la cogénération nucléaire peut faire passer le rendement d’une centrale électrique de 33 % à plus de 80 %, avec des pertes thermiques de 2 % sur une distance de 100 km pour chauffer des agglomérations.

Le véritable prix du nucléaire

La prolongation du nucléaire français existant est de loin la plus rentable de toutes les filières de production d’électricité avec notamment un coût de production à moins de 40 euros/MWh pour une prolongation de 10 ans et à environ 30 euros/MWh pour 20 ans.

Le taux d’intérêt de l’emprunt joue un grand rôle dans le coût de production nucléaire de l’électricité. Avec un taux passant de 7 % à 3 %, le coût du nucléaire français de génération III (EPR2), déjà compétitif, diminuerait d’environ 71 euros/MWh à 45 euros/MWh.

Cette évaluation de la rentabilité de l’EPR2 est cohérente avec les chiffres publiés par le gouvernement en septembre 2022 qui évalue sa production à 100 euros/MWh pour un coût du capital de 7 % et à 40 euros/MWh pour un taux de 1 %.

Avec ce taux de 3 %, une centrale à gaz se trouverait disqualifiée par l’augmentation actuelle du prix du gaz qui l’amènerait à une production d’environ 100 dollars/MWh. (Ce coût concerne une centrale belge, à défaut de données disponibles concernant un projet de centrale française à gaz).

L’AIE attire aussi l’attention sur les comparaisons de compétitivité entre les différentes filières en raison des coûts induits sur le système électrique par l’intermittence de certaines productions (renforcement du réseau, besoins supplémentaires de flexibilité avec des centrales à gaz ou au charbon, moyens de stockage). Ces surcoûts doivent être intégrés dans les MWh produits sans corrélation avec les besoins.

La fragilisation du réseau électrique

La variabilité fatale et l’intermittence de l’éolien et du photovoltaïque fragilisent le système électrique.

En décembre 2021, le gestionnaire du réseau européen (ENTSOE) avait rappelé l’importance de l’inertie dynamique permise par les masses des turboalternateurs des centrales conventionnelles. Elles tournent de façon synchrone sur le réseau européen à 50 Hz pour en stabiliser l’équilibre afin d’éviter des incidents sévères :

« La diminution des niveaux d’inertie – en raison de l’intégration à grande échelle des sources renouvelables – pose des défis à long terme pour la stabilité des fréquences du système de transport, avec des impacts possibles sur la résilience du futur système ».

Le 15 novembre 2022, General Electric vient de presser l’Allemagne de réaliser les 30GW supplémentaires de centrales à gaz nécessaires avant 2030 pour stabiliser rapidement les variations de sa production.

En France le gestionnaire du réseau n’ignore pas que l’introduction des énergies renouvelables intermittentes (EnRI) est « un vrai challenge que RTE devra relever ».

En mai 2021, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) montrait la difficulté de « garantir un approvisionnement fiable et durable en éléments vitaux pour les véhicules électriques, les réseaux électriques, les éoliennes et d’autres technologies clés » de notre modèle intermittent de transition énergétique bien plus gourmand en minéraux que le système conventionnel.

Le rendez-vous raté

Il s’agit de prendre aujourd’hui toute la mesure des rendez-vous ratés des 25 dernières années marquées par l’accord du Parti socialiste avec les verts en 1996 et la scandaleuse fermeture de Superphénix en 1998. Ce réacteur, dont ASTRID aurait pu prendre la suite mais qui a été abandonné en 2019, aurait permis de développer la technologie de surgénération pour laquelle la France dispose de 5000 ans de combustible en réserve sous forme d’uranium appauvri.

Une politique visionnaire et courageuse aurait prolongé l’épopée nucléaire d’EDF après l’année 1996 et permit à la France de profiter d’un parc nucléaire intégralement remboursé par EDF grâce à la seule vente de sa production d’électricité parmi les moins chères d’Europe. Cette véritable rente aurait ainsi assuré le renouvellement du parc et l’amélioration des centrales existantes.

Mais au contraire, l’État s’est ingénié :

  • à spolier EDF de sa « rente nucléaire », en décidant en 2013 de mettre cette entreprise à contribution pour financer la transition énergétique fondée sur des éoliennes et des panneaux photovoltaïques ;
  • à contraindre EDF depuis 2011 à céder 100 TWh (120TWh aujourd’hui) à ses concurrents par l’obligation de l’ARENH ;
  • à vouloir diminuer la puissance de son parc, y compris en fermant des réacteurs en parfait état de fonctionnement, comme Fessenheim ;
  • à démobiliser la filière en l’incitant à changer de métier pour démanteler ses réacteurs.

Dégradation de l’indépendance énergétique allemande

En Allemagne, les énergies renouvelables ne représentent que 15,7 % de la consommation d’énergie primaire (contre 12,9 % en France selon le ministère).

De plus, la part des énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie en Allemagne (celle réellement consommée) est strictement la même que celle de la France (19,3 %).

Pourtant, la Commission européenne menace la France d’une lourde amende (500 millions d’euros) pour n’avoir pas atteint ses objectifs en matière d’énergies renouvelables, ce qui consacre sa confusion entre objectifs et moyens. La Commission souligne surtout sa propre politique illusoire et brouillonne de sortie du nucléaire et son gâchis d’argent public engagé dans une impasse dogmatique.

L’Allemagne a consommé 286 millions de tonnes équivalent pétrole (Mtoe) d’énergie primaire en 2021 pour une production de 102 Mtoe. La France en a consommé 235 Mtoe pour une production de 128 Mtoe, soit une production nationale de 54,5 % de sa consommation pour la France et de 35,7 % pour l’Allemagne.

L’Allemagne produisait 53,1 % de son énergie primaire en 1990. Ce pays n’en produit plus que 40,3 % en 2000. Ce pays prouve ainsi l’incapacité de ses EnRI à améliorer son indépendance énergétique.

La France devrait tirer des leçons de cet échec allemand.

La souveraineté énergétique ne consiste pas à inonder (en le fragilisant) le réseau électrique européen dès que le vent souffle et que le soleil brille.

Les erreurs du passé soutiendront l’avenir

Il importe de prendre la mesure du potentiel nucléaire décarboné sacrifié sur l’autel d’un électoralisme honteux au lieu de le soutenir courageusement pour diminuer la dépendance de la France au gaz et au pétrole.

Même si le temps presse, la conscience des rustines éparses (éolien, PV) appliquées dans le plus grand désordre depuis près de 30 ans, ainsi que le diagnostic des opportunités manquées et des plaies béantes du mix énergétique d’aujourd’hui sont indispensables avant le développement d’une vision de long terme.

En délaissant la proie du nucléaire pour l’ombre des renouvelables intermittentes, la France commence seulement à comprendre qu’elle ne pourra pas se passer de l’électricité abondante, bon marché, propre et pilotable du nucléaire.

Il est urgent de mesurer la gravité du danger de la fragilisation du système électrique par les EnRI et de reconnaître enfin les fautes du passé. Il s’agit de les corriger avant de relancer vigoureusement le nucléaire pour faire renaître cette filière et, avec elle, toute l’industrie française et européenne.

Par Jean-Pierre Riou et Michel Gay (via Contrepoints)

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