Gastronomie Italienne. Une tournée de Negroni per favore !

Dans cette chronique hebdomadaire, je vous proposerai des recettes originales et historiques, réconciliant ainsi deux aspects de ma personne, celle d’historien et celle patron de bistrot. Elles seront faciles à réaliser mais surtout liées à l’histoire d’un territoire ou de grands hommes. La gastronomie traditionnelle raconte une terre, des traditions, elle s’inscrit donc dans l’idée d’un combat identitaire, soulignant les diversités qui nous sont chères d’une région à une autre, écologique, travaillant des produits locaux et de saison, et éthique, réduisant au maximum le gaspillage et s’opposant au modèle uniformisé du fast food.

Negroni, l’histoire

Depuis quelques années la mixologie, l’art de la préparation des cocktails, est devenue une mode incontournable. Dans chaque ville s’ouvrent des speak easy et autres cocktails bar. Pourtant, malgré la profusion d’alcools et de manières de les mélanger, une star incontestable trône depuis plus de 100 ans tout en haut des menus, c’est le Negroni et ses variantes.

Nous sommes à Florence en 1919. Le comte Camillo Negroni grand voyageur et surtout grand buveur se délectait généralement d’un Americano, mélange de Bitter rouge et de Vermouth allongé d’un peu d’eau de seltz. Selon la légende, le comte aimait boire ses cocktails préférés assis devant une bar nommée Casoni, qui à l’époque était aussi une sorte d’épicerie. Un jour, il aurait demandé au jeune barman, un certain Fosco Scarselli, de remplacer l’eau pétillante par un trait de gin qui lui rappelait ses voyages à Londres, afin de renforcer un peu cet Americano qui tardait à faire sentir ses effets relaxants. Le fameux cocktail ne tarda pas à être servi dans tout Florence sous le nom d’ « Americano alla maniera del conte Negroni » puis tout simplement Negroni. Jusqu’à sa mort, le comte disait simplement « il solito » que l’on peut traduire par « l’habituel ».

Qui était dont ce personnage ? Le comte Negroni était sans aucun doute un aristocrate excentrique dont la vie fut riche de milles aventures, mais dont on trouve peu de traces écrites à tel point qu’il parait parfois être issu de l’imagination de Jack London ou plus probablement de celle du Comte lui-même. Camillo Luigi Manfredo Maria Negoni est né à Florence en 1868, il y décédera en 1934. Il hérita du titre de comte et de sa fortune par son père et d’un grand amour pour la culture britannique par sa mère, elle-même fille du poète Walter Savage Landor. Grand voyageur, il passa sa jeunesse entre l’Angleterre et les Etats-Unis. Il y découvrit une mode qui n’existait pas encore en Italie, celle de mélanger différents alcools afin d’obtenir une boisson inédite. On dit qu’il aurait été cowboy à la frontière entre le Montana et l’Alberta et professeur d’escrime à New York. Il aurait ainsi vécu ce que les américains appellent le « Golden Age of cocktail », la belle époque version Yankee. Grand buveur, il se passionna pour cet art de mixer les alcools, passion qu’il rapporta dans sa Florence natale. Est-il véritablement l’inventeur de ce cocktail ? Indéniablement à Florence oui, mais il n’est pas impossible qu’il l’ait éventuellement gouté lors de ses voyages. On sait par exemple qu’il existait un cocktail, le « Old Pal » à base de Rye, vermouth et bitter, qui apparut dans les mêmes années et que dès le début du siècle à Turin on mélangeait volontiers le Vermouth avec d’autres alcools. L’Americano est d’ailleurs le résultat d’une de ces expériences. Il tire son nom du fait d’imiter la mode américaine de mélanger les alcools pour créer des « Cocktails ». Il est donc probable que lors de ses voyages notre comte Negroni eut l’occasion de gouter des boissons où était présent Vermouth, bitter et gin ou whisky. Reste que son intuition fut de faire sien ce mélange.

Pourquoi le Negroni est tant apprécié ? Le Negroni est avant tout le cocktail de l’équilibre. Fort en alcool mais juste en sucre et en amertume, une alchimie qui lui a valu de sortir très vite de sa Toscane natale pour aller conquérir le monde. Hemingway le buvait volontiers à Cuba en 1939 comme l’atteste le menu de son bar préféré « La Floridita ». Depuis 1961, il fait parti des cocktails officiels de l’IBA, l’International Bartenders Association. Si vous le cherchez en revanche à Florence, vous ne pourrez plus le boire dans son lieu d’origine. L’épicerie Casoni devint ensuite le Caffè Giacosa. Ce dernier fut racheté en 2001 par le styliste Roberto Cavalli mais malheureusement le bar fit faillite en 2017. Il fut transformé en boutique de luxe par le groupe Giorgio Armani.

La recette du Negroni

3cl de Gin, 3cl de Bitter, 3cl de vermouth rouge.

Le Negroni est d’une simplicité enfantine à réaliser mais évidemment la qualité du cocktail dépendra de la qualité des alcools utilisés. Dans un verre « Old fashionned » rempli de glaçons, versez à part égale les trois alcools en commençant par le plus alcoolisé (donc le Gin), mélangez délicatement et garnir d’une tranche d’orange. L’on conseille un gin sec (genre London Dry). Le bitter est généralement celui de la Campari. Pour ce qui est du vermouth, on peut utiliser le Martini rouge.

Le « Sbagliato »…

Ouvrons une parenthèse sur la variante la plus célèbre qui aurait vu le jour en 1972 au Bar Basso de Milan. Le néo barman, Mirko Stocchetto se serait trompé de bouteille en réalisant le Negroni commandé. A la place du Gin, il versa du prosecco. Le client fut étonné du gout mais le cocktail lui plut à tel point qu’il entra sur le menu du bar sous le nom de « Negroni Sbagliato ». Un « sbaglio » en Italien signifiant « erreur »… le « negroni erroné » pour traduire littéralement. Ce dernier est en passe de devenir un des cocktails les plus commandé en Amérique après que l’actrice Emma D’Arcy, héroïne de « House of the Dragon », l’ait cité comme étant son apéritif favori.

Les autres variantes…

Negrosky (avec la vodka), le Bencini (avec du rhum blanc), le Boulevardier, mon préféré (avec le Bourbon), le Old Pal (avec du Rye), Dutch Negroni (avec du Jenever), Mexican Negroni (avec la Tequila ou le Mezcal), Le Buñueloni (avec le Punt E Mes à la place du Vermouth dont le réalisateur Luis Buñuel revendique la paternité) que vous pouvez boire au Carré Monti.

Pierre d’Her

Illustrations : DR
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