Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Comment naissent les terreurs enfantines…

Du temps où j’étais enfant, on ne se faisait pas tirer dessus quand on allait voir dans le noir des films niais. Le cinéma venait à nous grâce au « grand Zampano » qui parcourait nos campagnes avec son « gazogène » et nous projetait une série de neuf navets, un par semaine, lesquels conditionnaient la projection du dixième, un « bon film » (enfin prétendu tel, mais désormais « vintage »). C’était à prendre ou à laisser… C’est pourquoi je reste très attaché à « Seuls les Anges ont des ailes » et aux « Trois lanciers du Bengale ».

Soixante-cinq ans après les avoir vus, plusieurs films (ou plutôt certaines de leurs séquences) hantent toujours mes cauchemars, – ce qui pose la question de l’influence des images et du cinéma sur les jeunes esprits. Mais ce ne sont jamais celles et ceux que les pères et mères la morale suspectent. Mieux vaut le porte-jarretelles de Lola que le journal TV.

Dans la fabrication de mes terreurs nocturnes, il y eut par exemple « La Terre Qui Meurt », de Jean Vallée (1936), vu en 1946 (pour mes dix ans) : le vieux Lumineau brûlait vif dans l’incendie de sa bourrine et rejoignait dans ma fraîche mémoire l’incendie « résistant » de la boulangerie du patelin de ma grand-mère, aux vacances de mardi-gras (tsss…) de 1943.
Plus fort, au hasard d’une tournée du « grand Zampano », je fus commotionné par le réveil des macchabés (d’authentiques gueules cassées pris comme « figurants ») se levant des charniers de Verdun pour le film d’Abel Gance, « J’accuse » (version 1937-38). Le visage de Victor Francen m’y avait prédisposé rien que par l’affiche au coin de « ma » rue. J’en dormis très mal durant les semaines d’hiver de 1947… et je ne peux toujours pas le supporter.

A la fin des années 40, nous étions (nous les gosses) abreuvés d’horreurs photographiées et de récits de guerre : les charniers remplis à la pelleteuse, les survivants des camps attendant Godot dans la boue, les Japonais fuyant les lance-flammes comme des hannetons, les récits d’anthropophagie rapportés, avec force détails, par ceux qui avaient traversé Bergen-Belsen en « rentrant d’Allemagne » par la zone britannique. C’est que la réalité était en train de dépasser sa représentation et surtout la fiction. Les loup-garous, croquemitaines et « morts vivants » portaient d’autres noms qui nous faisaient autrement peur. L’irruption d’un homme en manteau de cuir et de son grand chien noir dans notre cuisine, un soir d’hiver, à l’heure où nous mangions la soupe avait inauguré la mutation.  Bien que le chien ressemblât à s’y méprendre au « chien de Brisquet ». Et pourtant, l’image apparemment tranquille, publiée par « l’Illustration » (1941), d’une Russe et d’enfants (de mon âge) sortis de dessous une maison de bois par des soldats allemands, continue de me hanter par sa violence subliminale. Mais c’étaient peut-être des Ukrainiens…

Au temps d’Oradour, dont la rumeur remplissait les têtes – au point que, sur l’autre rive du fleuve, on nous crut « pendus » et notre village brûlé –, le surgissement d’un proche curé me rendit malade et me donna un durable tremblement de fièvre. Hagard, les mains en sang, l’estimable prêtre nous racontait comment les SS (les derniers à foutre le camp) lui avaient ordonné de creuser une fosse avec ceux qu’ils allaient fusiller l’instant d’après – le curé en avait réchappé pour le dire… il le dit encore dans mon souvenir.

En août de cette année-là, sur le chemin d’un second exode, je me souviens des restes du mitraillage d’un convoi allemand : une montagne de machines à écrire calcinées sur une camionnette… et, surtout, dans la poussière du chemin, entre les haies qui nous cachaient un spectacle interdit, le sabot d’un cheval coupé net, couvert de mouches agglutinées sur de la « gelée de framboise ». Une odeur rance flottait sur la campagne que nous traversions. Un ancien de 14 nous dît retrouver l’odeur des tranchées. Je l’ai encore dans le nez… 

MORASSE

Illustration : Le Cri, Edvard Munch, Galerie nationale, Oslo.
[cc] Breizh-info.com, 2022, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

Cet article vous a plu, intrigué, ou révolté ?

PARTAGEZ L'ARTICLE POUR SOUTENIR BREIZH INFO

Les commentaires sont fermés.

ARTICLES EN LIEN OU SIMILAIRES

International

L’Europe de l’Est, aux portes de la guerre. Reportage

Découvrir l'article

Sociétal

« Il ne faut jamais céder ». La réponse de Laurent Obertone aux antifas qui ont tenté de l’attaquer

Découvrir l'article

International

Géopolitique. Quelles sont les capacités aéro-navales US d’aujourd’hui, en 2024 ?

Découvrir l'article

Sociétal

Laurent Obertone sur l’affaire Philippine : « Cette Justice n’applique pas la loi ! »

Découvrir l'article

A La Une, Sociétal

Guerre. La nouvelle frappe chirurgicale de Laurent Obertone : « Les mensonges officiels et la prolifération des gourous complotistes n’aident pas les esprits sceptiques à s’y retrouver » [Interview]

Découvrir l'article

Culture, Culture & Patrimoine

Saints Patrons des pays de France, Guerre, Les Ogres, Alain Delon, Plus de pardon pour les Bretons : la sélection littéraire hebdo

Découvrir l'article

A La Une, Culture & Patrimoine, Histoire

Les éditions Yoran Embanner publient les colonisés de l’Hexagone pendant la Grande guerre 1914-1918 [Interview de l’éditeur]

Découvrir l'article

Culture, Culture & Patrimoine

Mum, on t’aime…

Découvrir l'article

A La Une, International

L’Ukraine lance une offensive surprise en Russie

Découvrir l'article

International

Une majorité relative d’Européens veulent que l’Ukraine négocie la paix avec la Russie

Découvrir l'article

PARTICIPEZ AU COMBAT POUR LA RÉINFORMATION !

Faites un don et soutenez la diversité journalistique.

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur Breizh Info. Si vous continuez à utiliser le site, nous supposerons que vous êtes d'accord.

Clicky