Le dernier livre de Bernard Rio, Les Portes du sacré, a droit à toute notre attention. Il bénéficie d’une très belle maquette. Les éditions Ar Gedour (le Veilleur) établies à Neulliac dans le Morbihan peuvent en être fières surtout si on pense à certaines maisons parisiennes dont je tairai le nom par « charité chrétienne » et aussi pour effacer le dépit que j’ai connu pour deux ou trois de mes ouvrages…
Une couverture de toute beauté, explicite, une iconographie copieuse de grande qualité (Rio), des plans, schémas et dessins parfaits (Clotilde Caouissin). Maître d’œuvre, Rio s’est entouré de trois collaborateurs, Garraud, Le Roux et Perrot qui traitent de la géobiologie des sanctuaires, leur spécialité. Incompétent dans ce domaine, je me garderai bien de donner mon assentiment ou au contraire de me livrer à une contestation de cette discipline. En tout cas, elle est intégrée à une démarche pluridisciplinaire et ses analyses, plutôt prudentes, sont bien corroborées en interne.
Et puis, in fine, une évidence, connue de tous, dans toutes les cultures, les lieux sacrés, patrimoniaux obéissent à une mise en place déterminée par des choix d’ordre cosmique. On sait combien le christianisme des premiers siècles institué religion d’État (Constantin) et en Église a su jouer de la substitution des sanctuaires païens. Des lieux de culte qui empruntaient, sans vergogne, aux pratiques ancestrales voire millénaires, au risque d’ailleurs d’associer des formes de dévotion polythéiste à une religion née en Galilée. Les Musulmans en firent de même à leur début.
Les Portes du sacré comportent deux parties. Une première qui entre dans le détail du culte catholique en Bretagne. L’orientation des sanctuaires, leurs composants géopolitiques, la symbolique, les rites, les légendes souvent parvenues jusqu’à nous.
La seconde partie est encore plus copieuse. Elle prend en compte 28 sanctuaires, du prieuré Saint-Jean de Béré à Châteaubriant à l’église Saint-Malo à Yvignac-la-Tour dans les Côtes d’Armor. Pour chacun, la position géographique, l’orientation de l’édifice, la nature des matériaux, l’architecture de l’édifice, sa statuaire, ses fresques, ses vitraux, son mobilier. Tout cela déroulé dans un continuum chronologique.
A titre d’exemple, le cas de la chapelle des Sept-Saints à Vieux-Marché dans les Côtes d’Armor, un dolmen, des haches protohistoriques, le dieu Taranis, des vestiges gallo-romains. Puis une chapelle, identifiée en 1630, avec sa fontaine de dévotion à la confluence des sept veines d’eau. Sept statues dans la crypte. Ernest Renan puis Louis Massignon les identifiaient comme les Sept Dormants d’Ephèse, une orientalisation que les autorités ecclésiastiques approuvèrent. Pure « fantasmagorie » dit Rio. Il a raison. Les Sept Saints sont des thaumaturges, des veilleurs et des éveilleurs, le contraire des Dormants d’Éphèse. Ils sont spécifiques, identitaires, sur le chemin du Tro Breizh, le grand pèlerinage. Si on ajoute la dévotion à une Déesse mère, bel exemple aux marges du syncrétisme.
Conclusion : A lire, à regarder, absolument.
Jean Heurtin
Petit addendum : Notre président vient d’honorer la disparition de Soulages dans une « oraison » à la sous-Malraux. Allez voir ses vitraux à Conques et vous en sortirez navrés… Le catholicisme français en plein dépérissement a les artistes qu’il mérite.
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