La presse italienne publie la vidéo de l’exécution de Fabrizio Piscitelli dit Diabolik, l’un des leaders des Irriducibili Lazio assassiné en 2019

La presse italienne vient de publier la vidéo de l’exécution de Fabrizio Piscitelli dit Diabolik, l’un des leaders des ultras de la Lazio, les Irriducibili. Ce dernier a été abattu dans un parc, à Rome, en août 2019, et la vidéo que le journal Repubblica a obtenue en exclusivité a permis à la justice de déterminer que le tueur à gages est un dénommé Raul Esteban Calderon.

Le meurtre semble avoir été motivé par la lutte pour la gestion des places de deals à Rome. Selon les juges, Piscitelli était à la tête d’un groupe de trafiquants de drogue qui visait à étendre leur emprise sur la ville de Rome. Il avait par le passé été arrêté et mis en examen dans un trafic de drogue international entre l’Italie et l’Espagne, accusé d’avoir organisé l’importation de résine de cannabis depuis l’Espagne. Le réseau est lié à une figure du crime organisé : Michele «O’Pazzo» Senese, chef à Rome du clan Moccia de la Camorra et figure incontournable du crime romain.

Le 28 novembre 2019, trois mois après l’assassinat de Diabolik c’est tout son réseau qui tombe suite à une opération de police d’ampleur.  L’enquête a abouti à une saisie totale de 250 kilos de cocaïne et de 4 250 kilos de haschisch, pour une valeur totale au détail estimée à environ 120 millions d’euros. Un chiffre d’affaires réalisé en neuf mois. Mais aussi à l’arrestation de son associé Fabrizio Fabietti (condamné à 30 ans de prison) . Au total, 51 personnes avaient été emprisonnées et/ou assignées à résidence : parmi elles, des membres de la pègre impliqués dans les trafics liés à l’écologie dans la région du Latium, des petits voyous, mais aussi des membres du principal groupe ultra de la Lazio.

Une balle appartenant à un lot en usage dans la police italienne

Dans la procédure judiciaire, la balle utilisée pour tuer Piscitelli est décrite comme « une munition de guerre en usage dans les forces de police, lot 33/16 attribué au service de Viminale« . Les munitions sont achetées exclusivement par le biais d’appels d’offres publics et sont ensuite attribuées aux différents départements, il ne fait donc aucun doute qu’elles proviennent d’un bureau des forces de l’ordre. Elle pourrait, en tout cas, appartenir à une arme perdue ou volée par quelqu’un. Le pistolet, l’arme du meurtre de Piscitelli, n’a jamais été retrouvé.

Selon le journal romain, Il Messaggero, le tueur pouvait également compter sur une taupe en service au sein même de la préfecture de police de Rome, un policier âgé proche de la retraite. L’agent a été accusé par l’ex-compagne de Calderon : la femme affirme avoir volé une arme lors d’un vol dans une bijouterie de Torre Maura et que c’est cette arme qui a ensuite été utilisée pour tuer Piscitelli. Son ex-compagnon serait également allé la prévenir que dans une vidéo prise par la caméra de sécurité de la bijouterie, son visage et son identité pouvaient être reconnus. Le tueur lui a dit que la nouvelle lui était parvenue d’une personne de la police avec qui il était proche.

L’Argentin Raul Esteban Calderon a tué Diabolik et était l’exécuteur matériel (il a été arrêté en 2021), mais à ce jour, l’instigateur de ce meurtre reste inconnu. Le meurtre aggravé par la méthode mafieuse est l’accusation portée par les procureurs contre le tueur. Selon l’hypothèse des enquêteurs, le commanditaire de l’embuscade pourrait être Giuseppe Molisso, qui a déjà été identifié comme l’instigateur du meurtre de Shehaj Selavdi, tué sur la plage, également par Calderon. Selavdi, un albanais, venait de voir s’achever son assignation à résidence après avoir été arrêté à l’été 2017 pour trafic de drogue.

Qui était Diabolik, alias Fabrizio Piscitelli ?

« Diabolik, alias Fabrizio Piscitelli, l’un des chefs des supporters ultras de l’équipe de football romaine Lazio, a été tué mercredi d’un tir de révolver à la tête dans un parc de Rome (…) L’embuscade, dans laquelle le chef des Irréductibles de la Lazio a été blessé avant de succomber à ses blessures, s’est produite en plein jour, dans le parc des Acqueducs, non loin de Cinecitta, dans la banlieue de Rome. Selon les médias, la victime avait fait l’objet d’enquêtes par le passé dans des affaires de drogue et toutes les pistes sont envisagées par les enquêteurs, y compris celle d’un règlement de compte. Son agresseur l’aurait approché par derrière et aurait tiré à la hauteur de l’oreille gauche. C’est un passant qui a donné l’alerte » écrivait Eurosport en 2019.

Habitué du Stadio Olimpico depuis l’âge de 13 ans, il était toujours situé dans la Curva nord, celle des ultras de la Lazio, contrairement à la Sud, qu’occupent ceux de la Roma quand leur équipe y joue.

La base de supporters du club a toujours été très politisée : pendant les « années de plomb » de l’Italie dans les années 1970, il était très fréquent de voir, parmi les couleurs blanches et bleues ciel des supporters de la Lazio, de nombreux symboles de Benito Mussolini brandis face à des groupes communistes. C’était une époque où des ultras de la Lazio ont été à la fois victimes et auteurs d’assassinats politiques. C’est la décennie turbulente au cours de laquelle Piscitelli se rend pour la première fois au stade. Mais c’est aussi une période de déclin sportif : fini le glorieux scudetto de 1974, et bientôt des scandales de matches truqués allaient reléguer l’équipe en Serie B.

Au milieu des années 1980, la firme prédominante de la Lazio, les Eagles, semblait trop molle pour Piscitelli et ses amis dont un graphiste appelé Grinta (« Grit »). En 1987, Grinta et ses compagnons de route dont FABRIZIO TOFFOLO,  fondent un nouveau groupe, les Irriducibili, dont le symbole est un personnage au chapeau melon, M. Enrich (le groupe existait toutefois officieusement depuis 1981). S’en suit une guerre de bandes avec les Eagles, pour la suprématie de la Curva, guerre remportée par les Irriducibili.

Sportivement, la Lazio connait un renouveau dans les années 1990. Le club signe des joueurs de classe mondiale comme Beppe Signori et Paul Gascoigne mais voit partir son « enfant », Paolo di Canio, qui reviendra au début des années 2000 pour le plus grand bonheur des fans. Il est repris par un riche entrepreneur, Sergio Cragnotti. Sous la houlette de l’entraîneur suédois Sven-Göran Eriksson, la Lazio a remporté son deuxième scudetto, ainsi qu’une coupe de l’UEFA et deux finales de coupe d’Italie.

Soudain, il y a beaucoup d’argent dans le football et, en particulier, dans la Lazio. Les Ultras avaient toujours produit des autocollants, des écharpes, des badges, des fanzines et du matériel pour financer leurs chorégraphies, leurs locaux et leurs déplacements, mais les Irriducibili sont passés à un autre niveau. Ils louent des entrepôts, ouvrent des franchises et deviennent une vraie entreprise. Leurs provocations font, dans toute l’Europe, la une des journaux, et souvent de la télévision. À l’apogée de leur pouvoir (avec Diabolik parmi les dirigeants influents du groupe), ils venaient régulièrement par centaines sur le terrain d’entraînement de la Lazio pour exprimer leur colère contre leur équipe défaillante et pour organiser des réunions régulières avec le capitaine de l’époque, Alessandro Nesta (1993-2002 à la Lazio).

Voyant les sommes d’argent à gagner, les dirigeants des Irriducibili transforment cette industrie artisanale en un empire commercial appelé Original Fans.

À son apogée, Original Fans comptait 14 points de vente à Rome. Le chiffre d’affaires était en grande partie en liquide, il est donc difficile d’obtenir des chiffres précis, mais Piscitelli est devenu, comme certains de ses compagnons de route, millionnaire. (Une somme de 2,3 millions d’euros lui a été confisquée en 2016).  Au sommet de son pouvoir, Piscitelli pouvait faire entrer qui il voulait dans le stade (même, de manière très voyante, lui-même malgré une de ses nombreuses interdictions de stade). Un syndicaliste policier s’est plaint un jour, à la télévision, que le capo (le leader) avait été introduit dans certains couloirs de la police qui lui étaient fermés, même à lui (Cité par Tobias Jones dans son livre sur les Ultras).

Les revenus et les relations rendaient les Irriducibili très puissants. Toffolo, un autre leader du groupe, s’est un jour vanté d’être aussi puissant qu’un dirigeant syndical : « Je représente 15 000 personnes« , disait-il. « L’unité dans les rangs est absolue : quatre énormes haut-parleurs sont installés dans la curva nord pour que tout le monde soit obligé de suivre le leader. La spontanéité est punie, des codes vestimentaires sont imposés. « Personne n’oserait jamais être arrogant ici », m’a dit un jour l’un des leaders, « parce que nous sommes une organisation militaire ». Le groupe a organisé des émeutes pour empêcher les dettes fiscales imposées au Latium par le gouvernement italien. Il boycottait les journaux. Il a même tenté de prendre le contrôle de la Lazio elle-même, financé par l’argent du crime organisé et utilisant la légende italo-galloise de la Lazio, Giorgio Chinaglia, comme homme de paille » écrit Tobias Jones.

Piscitelli prend de plus en plus de risques. Il est passé du merchandising au trafic de drogue, en utilisant ses relations avec la mafia napolitaine, la Camorra.  Il dirige le quartier de Ponte Milvio, au nord du Stadio Olimpico. À cette époque, la violence avait dépassé le stade des coups de poing en terrasse et des bagarres dans les stades : La jambe d’un Irriducibili, tronçonnée, est retrouvée dans un affluent du Tibre (son corps ne sera jamais retrouvé). Dans les années 1990, il est lié au clan Abate, un rameau de la Camorra implanté en périphérie de Naples, sur les pentes du Vésuve, mais également très présent dans la capitale. Plus tard, son nom est cité dans de nombreuses affaires, et il apparaît surtout, en 2014, dans le scandale Mafia capitale, qui a mis au jour les liens existant entre l’administration de la ville de Rome et le crime organisé.

Piscitelli était par ailleurs accusé de vendre des centaines de kilos de stupéfiants et a finalement été arrêté en 2015. La cachette de Piscitelli contenait des haches, des épées, des matraques, un pistolet et des brouilleurs de téléphone.

Il a d’abord été emprisonné, puis placé en résidence surveillée. Ses villas ont été confisquées. Puis après avoir payé sa dette, Piscitelli a essayé de faire un come-back. Il a fait la paix avec Claudio Lotito, le président de la Lazio contre lequel il s’était longtemps opposé. Son pouvoir, et sa santé, étaient toutefois en déclin.

Quoi qu’il en soit, pour les Ultras de la Lazio, Fabrizio Piscitelli était le chef de la Curva, le Capo di tutti capi comme ils disent.  Il est finalement mort aussi violemment qu’il a vécu, le 7 août 2019, abattu d’une balle à l’arrière de la tête alors qu’il était tranquillement assis sur un banc.

Suite à l’annonce de son assassinat, dans toute l’Italie, des groupes ultras lui ont rendu hommage, via des banderoles, des messages, des tifos.

Attention, vidéo avec des images pouvant heurter la sensibilité des plus jeunes.

Lire également cet excellent article qui retrace toute l’affaire et qui plonge dans le monde des fans de la Lazio.

Crédit photo : DR

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