Gastronomie Italienne. Suppli al telefono per favore !

Dans cette chronique hebdomadaire, je vous proposerai des recettes originales et historiques, réconciliant ainsi deux aspects de ma personne, celle d’historien et celle patron de bistrot. Elles seront faciles à réaliser mais surtout liées à l’histoire d’un territoire ou de grands hommes. La gastronomie traditionnelle raconte une terre, des traditions, elle s’inscrit donc dans l’idée d’un combat identitaire, soulignant les diversités qui nous sont chères d’une région à une autre, écologique, travaillant des produits locaux et de saison, et éthique, réduisant au maximum le gaspillage et s’opposant au modèle uniformisé du fast food.

Suppli al telefono : la légende

Depuis quelques années, l’on assiste à la mode du street food, Instagram est rempli de vidéo de sandwiches dégoulinants de fromage ou de sauces et autres mayonnaises. Ce qui semble être une mode récente est, en Italie, une chose qui existe depuis des siècles. Il suffit de penser au Lampredotto florentin, à l’arrancino sicilien, à la pizza fritta napolitaine qui sont des plats destinés depuis des centaines d’années à nourrir rapidement ceux qui n’avaient pas le loisir de s’arrêter manger. A Rome, le roi des encas sur le pouce, l’entrée que l’on se doit de manger en attendant sa pizza, s’appelle le suppli, parfois appelé suppli al telefono, petite boulette de riz frit facile à réaliser à la maison.

La légende narre que le suppli vient du français « surprise ». En 1809, un grognard de Napoléon se promenant dans les rues de Rome aurait ainsi gouté cette boulette de riz encore bien chaude. Croquant à pleines dents, il aurait fait part de sa surprise en découvrant un cœur de mozzarella filante. Le mot « surprise » aurait été ensuite romanisé ou italianisé pour donner le nom actuel. Le suppli était initialement vendu dans la rue lors des fêtes de quartier, dans les foires, au marché. Son origine est probablement sicilienne, la petit boule de riz romaine rappelant son énorme cousin l’arrancino ou arrancina, dépendant que vous veniez de Palerme ou de Catane, la version sicilienne n’étant pas un simple encas mais bien un repas complet.

Pendant des années le mot suppli sera féminin, « LA surprise » donnera en effet la suppli ou la soplis. En 1874, le restaurant « La trattoria della lepre » (du lièvre, non de la maladie) commence à le servir sur son menu sous le nom de « Soplis di riso ». La première recette officielle en revanche, date de 1929. Dans La Cucina Romana, Ada Boni regroupe les principaux plats de la tradition culinaire de la Capitale. Elle décrit plusieurs types de suppli, toujours au féminin, le traditionnel contenant de la viande de bœuf, le simple, juste à la tomate et des versions aux champignons ou aux foies de volailles. On l’aura compris, comme tout bon plat de pauvre, le suppli était avant tout une recette permettant de se nourrir sans se ruiner et permettant d’utiliser les restes de la table. Dans les années 30, suivant la « bataille du grain » pour l’autarcie, son usage fut aussi vivement encouragé.

A partir des années 50, le suppli envahit tous les menus des pizzerias romaine. L’incontournable boulette de riz, pour être réussi doit avoir une panure croquante, le riz moelleux et surtout un cœur de mozzarella filante. C’est ce que les romains appellent « Il suppli al telefono », expression devenue désuète à l’ère du cellulaire, mais qui rappelait bien sur le fil du combiné de nos vieux téléphones. Idéal pour l’apéritif, je vous propose quelques recettes que vous pourrez essayer à la maison à défaut de pouvoir vous promener tel un grognard de l’empereur dans les ruelles romaines en hurlant « Surprise ! ».

Suppli al telefono : la recette

Ingrédients pour une douzaine de suppli : 250gr. de riz pour risotto (carnaroli ou vialone nano). 300ml de coulis de tomate, 150gr de bœuf haché, 1/2 oignon, un verre de vin blanc, du bouillon végétal, une noix de beurre, deux œufs, trois cuillères à soupe de fromage Pecorino (à défaut parmesan), sel, poivre, 150gr de mozzarella bien égouttée, chapelure, huile pour friture.

On débutera en préparant le « ragù », la sauce à la viande. Dans une poêle, faire fondre le beurre et mettre le demi oignon haché finement à blondir, on y ajoute la viande. Une fois caramélisé, déglacez au vin blanc et laissez évaporer avant d’y ajouter le coulis de tomate. Couvrir et laisser mijoter doucement pendant 30 minutes. Passé ce temps, ajoutez le riz et quelques louches de bouillon végétal. Au fur et à mesure que le riz absorbe le liquide ajoutez du bouillon jusqu’à la fin de la cuisson. Une fois le riz cuit corrigez l’assaisonnement et ajoutez le Pecorino, le tout doit être crémeux, compact et en aucun cas liquide. Laissez refroidir. Une fois assez refroidit pour permettre de le travailler à la main sans se bruler, ajoutez un œuf et mélangez. A l’aide d’une cuillère prélevez la quantité nécessaire de riz et placez là au creux de votre main. Au centre, ajoutez deux petits cubes de mozzarella et refermez votre suppli pour former une boule ovale. Battre le deuxième œuf et versez la chapelure dans un plat. Chaque boule de riz sera d’abord plongée dans l’œuf puis panée. Vous pouvez répétez l’opération si vous désirez une panure plus épaisse. Réglez votre friteuse à 180 degrés ou frire dans une casserole pendant 3/4 minutes environ en retournant vos suppli à mi cuisson. La panure doit être dorée et croquante et surtout la mozzarella doit être filante à cœur.

Vous pouvez réaliser toutes les variantes possibles de vos suppli. Avec une simple sauce tomate, avec vos restes de risotto alla milanese ou en y ajoutant un peu de chair à saucisse ou des champignons. L’important est que le risotto un fois refroidit soit bien compact. On pourrait même imaginer en changer « la surprise » à cœur en utilisant d’autres fromages, à vous de jouer !

Pierre d’Her

Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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