Ukraine : qui sont les véritables « Munichois » ? par Caroline Galacteros

« A quelque chose malheur est bon ». Le conflit ukrainien a permis de lâcher les chiens. Depuis huit mois, la meute des néo-conservateurs bellicistes européens qui peuplent médias et think tanks français fond sur tout individu osant appeler à la raison pour stopper l’escalade militaire qui met l’Europe (et non l’Amérique) en danger vital. Le téméraire est immédiatement traité de « munichois », injure suprême, synonyme de pacifisme pleutre. Le Pape François, qui vient d’appeler la Russie mais aussi l’Ukraine à cesser le feu est-il munichois ? La guerre jusqu’au dernier Ukrainien est-elle inévitable pour ne pas perdre son âme ? Le prix en est-il le plongeon de nos peuples et États dans une crise économique, financière et sociale gravissime qui affaiblira la France et l’Europe entière, les plaçant sous la dépendance définitive du maître américain ? Soyons sérieux !

« Le gouvernement avait le choix entre la guerre et le déshonneur ; il a choisi le déshonneur et il aura la guerre » avait lancé en 1938 Winston Churchill à Neuville Chamberlain de retour de Munich où ce dernier et Daladier avaient abandonné les Sudètes à Hitler, croyant ainsi échapper à la guerre. Il n’y a aucun rapport avec l’Ukraine. Vladimir Poutine n’est pas Hitler. Il n’est pas fou non plus. Il considère juste qu’il a trop longtemps laissé grignoter son glacis sécuritaire et que la présence de l’OTAN à sa frontière est une menace existentielle pour la Russie et son peuple.

Nous formons depuis 2015, via l’OTAN, les forces ukrainiennes pour bouter la Russie hors d’Europe et la couper de l’Allemagne. Depuis le 24 février, nous inondons Kiev d’armements et sommes devenus cobelligérants de fait. Nous sommes déjà en guerre contre la Russie et pour le compte de l’Amérique ; simplement nous ne le disons pas pour ne pas devoir demander leur avis à nos peuples, et nous faisons cette guerre par Ukrainiens interposés et à leurs dépens ultimes, comme semble commencer à le comprendre le président Zelenski qui craint que Washington ne le lâche et implore désormais l’OTAN de risquer rien moins qu’une guerre nucléaire pour sauver sa peau et pas celle de son peuple. Heureusement, J. Stoltenberg n’est pas fou non plus… Personne en Europe ou aux Etats-Unis n’entend mourir pour le Donbass. En revanche, sacrifier les Ukrainiens en les armant sans cesse pour espérer épuiser la Russie et la mettre à terre économiquement et stratégiquement…

Contrairement à ce que dit E. Macron, « le prix de la liberté » – le massacre de l’économie européenne – ne sauvera pas la « démocratie » ukrainienne. Ce sera la guerre directe si rien n’est fait pour casser l’engrenage et restabiliser la sécurité européenne, ce qui est illusoire sans la Russie. Ceux qui poussent à la roue prolongent les souffrances du peuple ukrainien et ne défendent aucunement les « valeurs » européennes. L’Europe a été pensée contre la guerre. Ils la défigurent. Cette rhétorique masque leur allégeance à un hégémonisme occidental discrédité qui croit encore pouvoir se rétablir sur le dos de la Russie. Les vrais Munichois sont ceux qui condamnent aujourd’hui l’Europe au déclassement stratégique, à l’aventurisme militaire et à la soumission, non à la Russie mais aux Etats-Unis. Les stratèges de plateaux, stipendiés ou juste vaniteux, portent une responsabilité lourde en véhiculant d’énormes mensonges sur la réalité des combats, des forces et des pertes. La désinformation fait rage dans chaque camp. La guerre va se poursuivre et l’Ukraine est mal partie. Toute la propagande et les mensonges du monde n’y changeront rien.

Le discours du président russe du 30 septembre a marqué un tournant dont nous n’avons pas à nous réjouir. Il a exprimé son rejet durable de l’Europe et de « l’Occident collectif » pour des raisons sécuritaires et existentielles, mais aussi culturelles et spirituelles. Poussé par la surenchère otanienne qui le met en danger au plan intérieur face à des courants qui n’ont pas gouté sa « retenue » durant les premiers mois du conflit et demandent un engagement de forces décisif, il vient de s’y résoudre, et ce n’est pas une bonne nouvelle. Après une probable pause opérationnelle russe, on peut craindre une phase plus violente avec destruction des infrastructures civiles et bombardements lourds. Mais les Munichois s’en moquent.

Avec le sabotage de North Stream 1 et 2, l’Amérique (qui d’autre ?) vient carrément de couper le gaz à l’Europe et de décider de la marginalisation de l’Allemagne au profit de la Pologne ! C’est un acte de guerre de la part de notre protecteur chéri. Donc, nous faisons mine de l’ignorer, comme la chute de l’euro et la mise en panne imminente de l’industrie allemande qui préfigure notre propre affaissement économique. Le chancelier Scholz n’était pas assez docile, il rechignait à livrer des chars de combat modernes à Kiev ? L’Empire ne tolère aucune indépendance de ses vassaux, même verbale. Les gazoducs sont coupés, le « Baltic pipe » qui relie la Norvège à la Pologne, ennemie héréditaire de l’Allemagne, est entré en service. Varsovie jubile et Berlin va payer par une lourde crise sa faute géostratégique majeure consistant à obéir à Washington en renonçant à l’énergie bon marché russe. Les Etats-Unis eux, voient s’éloigner leur terreur géopolitique cardinale – l’alliance germano-russe- et imposent leur mainmise énergétique durable sur l’Europe. Quand on pense que d’aucuns chantent « la souveraineté européenne » …

Les Munichois sont en fait ceux qui ne disent rien, qui n’ont jamais rien dit d’ailleurs, qui n’osent ni défendre nos intérêts nationaux ni même ceux de l’Europe que l’on vient très brutalement de remettre à leur place. Marginale. Nos « élites » ne pensent plus le réel, encore moins la dimension nationale comme pertinente. Le long processus de dévalorisation et d’affaissement des États, engagé dès les années 90, nous coupe de tout instinct de survie. C’est ça l’esprit de Munich. C’est donc le prix de la guerre que nous commençons déjà à payer. Les Ukrainiens dans le sang, les Européens dans le froid et la décroissance. Pour l’instant. Il devient inadmissible que nos dirigeants, somnambules indifférents, nous entrainent dans un tel marasme sans devoir en rendre compte à leurs mandants. Il est grand temps que les Français soient consultés sur cette guerre qui ne dit pas son nom et met leur survie en jeu.

Cet affrontement est une impasse militaire. Il faut arrêter le massacre et rétablir le dialogue. La sécurité et la prospérité de l’Europe n’en valent-elles pas la peine ? La France peut encore et doit porter une telle initiative. Elle sortirait peut-être ainsi du mépris croissant dans lequel la Russie mais aussi la Chine, comme une partie de l’Afrique et de l’Amérique latine, la tiennent désormais. Échapper au déshonneur et stopper la guerre n’est pas être munichois, c’est juste recouvrer la raison et défendre l’intérêt de notre peuple et de la France.

Caroline Galactéros

Docteur en sciences politiques, colonel dans la réserve opérationnelle des Armées et ancienne directrice de séminaire à l’École de guerre (Paris), Caroline Galactéros a créé et dirige le think tank GEOPRAGMA – Pôle français de géopolitique réaliste (Paris). Elle est également l’auteur du blog Bouger les lignes.

Source : Le Courrier des stratèges

Crédit photo : DR

Cet article vous a plu, intrigué, ou révolté ?

PARTAGEZ L'ARTICLE POUR SOUTENIR BREIZH INFO

10 réponses à “Ukraine : qui sont les véritables « Munichois » ? par Caroline Galacteros”

  1. Pschitt dit :

    J’avoue, je suis un agent à très haut niveau de l’OTAN et je vais vous révéler tout le plan. Ourdi au siècle dernier par Zbigniew Brzezinski, il se déroule à notre entière satisfaction jusqu’à présent.
    La première phase a pris du temps, mais c’est parce que Vladimir Poutine est du genre diesel. En réponse à nos avancées, il a quand même fini par s’engager dans des aventures que même le plus corrompu des juges internationaux aurait du mal justifier. Avec l’invasion de la Crimée en violation de deux ou trois traités par lesquels la Russie reconnaissait la souveraineté de l’Ukraine, Poutine a définitivement fait de son pays un État voyou sur le plan du droit international. Le dernier acte de cette phase date bien sûr du 24 février dernier. Poutine y a ajouté une cerise sur le gâteau à laquelle nous n’avions pas pensé : en évoquant non une guerre mais une « opération militaire spéciale », il a ouvertement révélé la duplicité de son discours.
    La deuxième phase, la guerre en Ukraine se déroule à notre entière satisfaction. Convaincu d’être un stratège génial de niveau hitléro-napoléonien (nous l’y avons un peu poussé) Poutine a d’abord voulu s’emparer de Kiev en trois jours. La réception avait été bien préparée. Il y a laissé la moitié de ses blindés, ses meilleures troupes aéroportées, et quelques généraux par-dessus le marché. Il adore la formule « l’OTAN se battra contre la Russie jusqu’au dernier Ukrainien », que nous lui avons soufflée. Mais il sait bien que les Russes meurent aussi. Et bien que l’Armée rouge ait toujours méprisé la vie de ses hommes, la démographie russe d’aujourd’hui n’autorise plus la prodigalité. Il a donc mis en première ligne des troupes douteuses – tchetchènes, bouriates, etc. – favorisant des crimes de guerre qui transpirent jusque dans son propre pays. Les centaines de milliers de jeunes Russes qui ont fui leur pays pour échapper à la conscription ne sont pas des trouillards mais des courageux horrifiés qui refusent d’être mêlés à cette histoire. Cette deuxième phase approche de sa fin. Poutine s’énerve, il envoie ses derniers missiles en vrac sur des zones civiles, achevant de faire de son intervention une guerre sale qui révulse l’opinion, y compris celle de son peuple.
    La troisième phase du plan est imminente. Comme Poutine a épuisé son armée, révélé ses faiblesses, vidé ses arsenaux et ébranlé son opinion, le fruit est mûr, le moment d’une intervention militaire directe et sans risque approche. Poutine a encore l’arme nucléaire ? Certes, et il en parle tant que la première fois qu’elle sera utilisée, on aura l’impression que c’est lui qui a appuyé sur le bouton. Oh ! nous n’allons pas vitrifier toutes les grandes villes russes. Une bombe bien conçue pile sur le Kremlin au bon moment fera l’affaire. Si Poutine n’est pas écrasé par l’onde de choc ou grillé par la chaleur, il faudra des semaines pour le sortir du trou. Nous serons là depuis longtemps et c’est nous qui irons le chercher, après un délai raisonnable à cause des radiations. Les Russes ? Poutine leur parle depuis longtemps d’une guerre de l’OTAN contre la Russie. Mais l’OTAN, ils n’ont aucune envie de s’y frotter. Ils seront bien soulagés que ce soit fini et feront bon accueil à nos conteneurs de burgers et de ketchup – ou de poutine, aimablement fournie par nos alliés canadiens.

  2. Pschitt dit :

    J’avoue, je suis un agent à très haut niveau de l’OTAN et je vais vous révéler tout le plan. Ourdi au siècle dernier par Zbigniew Brzezinski, il se déroule à notre entière satisfaction jusqu’à présent.
    La première phase a pris du temps, mais c’est parce que Vladimir Poutine est du genre diesel. En réponse à nos avancées, il a quand même fini par s’engager dans des aventures que même le plus corrompu des juges internationaux aurait du mal justifier. Avec l’invasion de la Crimée en violation de deux ou trois traités par lesquels la Russie reconnaissait la souveraineté de l’Ukraine, Poutine a définitivement fait de son pays un État voyou sur le plan du droit international. Le dernier acte de cette phase date bien sûr du 24 février dernier. Poutine y a ajouté une cerise sur le gâteau à laquelle nous n’avions pas pensé : en évoquant non une guerre mais une « opération militaire spéciale », il a ouvertement révélé la duplicité de son discours.
    La deuxième phase, la guerre en Ukraine se déroule à notre entière satisfaction. Convaincu d’être un stratège génial de niveau hitléro-napoléonien (nous l’y avons un peu poussé) Poutine a d’abord voulu s’emparer de Kiev en trois jours. La réception avait été bien préparée. Il y a laissé la moitié de ses blindés, ses meilleures troupes aéroportées, et quelques généraux par-dessus le marché. Il adore la formule « l’OTAN se battra contre la Russie jusqu’au dernier Ukrainien », que nous lui avons soufflée. Mais il sait bien que les Russes meurent aussi. Et bien que l’Armée rouge ait toujours méprisé la vie de ses hommes, la démographie russe d’aujourd’hui n’autorise plus la prodigalité. Il a donc mis en première ligne des troupes douteuses – tchetchènes, bouriates, etc. – favorisant des crimes de guerre qui transpirent jusque dans son propre pays. Les centaines de milliers de jeunes Russes qui ont fui leur pays pour échapper à la conscription ne sont pas des trouillards mais des courageux horrifiés qui refusent d’être mêlés à cette histoire. Cette deuxième phase approche de sa fin. Poutine s’énerve, il envoie ses missiles en vrac sur des zones civiles, achevant de faire de son intervention une guerre sale qui révulse l’opinion, y compris celle de son peuple.
    La troisième phase du plan est imminente. Comme Poutine a épuisé son armée, révélé ses faiblesses, vidé ses arsenaux et ébranlé son opinion, le fruit est mûr, le moment d’une intervention militaire directe et sans risque approche. Poutine a encore l’arme nucléaire ? Certes, et il en parle tant que la première fois qu’elle sera utilisée, on aura l’impression que c’est lui qui a appuyé sur le bouton. Oh ! nous n’allons pas vitrifier toutes les grandes villes russes. Une bombe bien conçue pile sur le Kremlin au bon moment fera l’affaire. Si Poutine n’est pas écrasé par l’onde de choc ou grillé par la chaleur, il faudra des semaines pour le sortir du trou. Nous serons là depuis longtemps et c’est nous qui irons le chercher, après un délai raisonnable à cause des radiations. Les Russes ? Poutine leur parle depuis longtemps d’une guerre de l’OTAN contre la Russie. Mais l’OTAN, ils n’ont aucune envie de s’y frotter. Ils seront bien soulagés que ce soit fini et feront bon accueil à nos conteneurs de burgers et de ketchup – ou de poutine, aimablement fournie par nos alliés canadiens.

    • ubersender dit :

      Visiblement vous vivez dans un monde parallèle, « Pschitt » Quand vous cesserez de confondre géopolitique et propagande, et qu’il faudra vous confronter à la réalité, le réveil risque d’être douloureux.

  3. le dantec jc dit :

    super caroline je pense à LCI en particulier mais aussi à nous les veaux qui ne disons rien sinon de temps en temps ds Breizh Info par votre intermédiaire merci à eux

  4. Didi1969 dit :

    Belle crise de délire ,digne d un techno-triller à la Tom Clancy .je doute fortement de l issue finale n’oublions pas que la radio activité ne connais pas les frontières.

  5. Havel dit :

    OTAN en emporte le vent.

  6. Franco dit :

    Pschitt, très bon exposé concernant la Russie, je pense que vous êtes un bon spécialiste de la politique internationale. Pourriez-vous nous faire un commentaire sur la politique internationale, les interventions militaires et leurs conséquences sur la planète et ses populations de nos amis Américains durant les huit dernières décennies. Par avance merci

  7. Pepers Jean Marie dit :

    La défense de l’Ukraine est notre priorité jusqu’à la victoire ou du moins l’arrêt des crimes russes sur le territoire ukrainiens. Au-delà des discours théoriques assis dans un canapé et dans un pays en paix il est sans doute facile de donner des leçons de sagesse aux ukrainiens qui se battent pour leur liberté. Notre soutien à l’Ukraine est indéfectible.

  8. patphil dit :

    les usa se battront jusqu’au dernier soldat ukrainien …
    poutine le grand satan qui ose défendre les siens !

  9. mouchet dit :

    Excellent article tout comme celui de Jean Goychman ou on constate le monde de fous avec des technocrates sorti tout droit d’une génération moutons illettrée avec une histoire d’hier soir, voulant faire fortune très vite. Commentaire dérisoire de « pschitt » inconsistant ubuesque et déphasé, qui ne connait absolument rien à la géopolitique financière des dettes de l’occident et plus, du dollars dettes globale de 230’000 milliards irremboursables, ce qui est le fond de ce conflit comme la guerre de 1914-1918 ses indemnités et de 1939 1945 la revanche dépendant des indemnités. Le tout donc toujours basées sur les dettes la productivité du business de l’armement. Inutile d’en rajouter ces 2 articles de fond donnent toute la mesure de l’imbécilité humaine dans toute sa splendeur. Nous sommes tous des bipèdes en voie d’évolution. L’humanité qui nous a cloné nous observe en prenant la température de l’émerveillement qui occupe en attendant mieux.

ARTICLES EN LIEN OU SIMILAIRES

International

L’Ukraine ou l’agonie du néoconservatisme

Découvrir l'article

International

Ukraine : un jeu de go

Découvrir l'article

International

Guerres, crises… Qui est responsable du désordre mondial ?

Découvrir l'article

Tribune libre

Russie, Ukraine, Guerre mondiale ? Nos dirigeants savent-ils que nous ne sommes pas dans Call of Duty ? [L’Agora]

Découvrir l'article

A La Une, International

Ukraine. Ce conflit apparent qui cache le vrai

Découvrir l'article

Tribune libre

Et si l’objectif russe n’était pas de vaincre l’Ukraine, mais de vaincre l’Occident ? [L’Agora]

Découvrir l'article

International, Vu ailleurs

Tribune libre. Quelques réflexions difficiles sur l’Après-Ukraine, par Graham Fuller

Découvrir l'article

Tribune libre

La Russie a juridiquement tort, mais peut-être historiquement raison [l’Agora]

Découvrir l'article

International, Tribune libre

En voulant l’abattre, on risque de rendre la Russie plus forte !

Découvrir l'article

Tribune libre

Réflexions iconoclastes sur le conflit ukrainien [L’Agora]

Découvrir l'article

PARTICIPEZ AU COMBAT POUR LA RÉINFORMATION !

Faites un don et soutenez la diversité journalistique.

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur Breizh Info. Si vous continuez à utiliser le site, nous supposerons que vous êtes d'accord.

Clicky