Dans cette chronique hebdomadaire, je vous proposerai des recettes originales et historiques, réconciliant ainsi deux aspects de ma personne, celle d’historien et celle patron de bistrot. Elles seront faciles à réaliser mais surtout liées à l’histoire d’un territoire ou de grands hommes. La gastronomie traditionnelle raconte une terre, des traditions, elle s’inscrit donc dans l’idée d’un combat identitaire, soulignant les diversités qui nous sont chères d’une région à une autre, écologique, travaillant des produits locaux et de saison, et éthique, réduisant au maximum le gaspillage et s’opposant au modèle uniformisé du fast food.
Nous sommes en 879 dans une petite ville aux portes de Milan, une erreur dans le mélange de plusieurs laits caillés abandonnés dans un seau, celui du matin et celui du soir, aurait donné un résultat étrange mais délicieux, au milieu du fromage, des lignes vertes seraient apparues, en les mélangeant on obtiendrait un fromage crémeux qui prendrait désormais le nom de ce lieu, Gorgonzola. Cette histoire est probablement un peu romancée. En effet d’autres sources pensent que le Gorgonzola serait né un peu plus au nom dans les vallées de la Valsassina où les montagnes alentours disposent de grottes dont la température est constante ce qui est parfait pour l’affinages des fromages.
La ville de Gorgonzola, bien que ce dernier soit produit dans toute la région, demeure le centre névralgique de son commerce. Dans le passé on l’appelait aussi « strachino verde », le « strachino » classique étant aussi un fromage lombard qui s’étale facilement sur le pain. Pendant des centaines d’années la production du Gorgonzola est restée relativement confidentielle. La technique de production consistait effectivement dans le mélange de laits de vaches caillés à différents moments. Des moisissures se forment alors donnant cette saveur unique. Les moisissures provenaient directement des murs des grottes. Depuis la technique a beaucoup évolué permettant notamment de mieux contrôler le développement des moisissures. Le lait est d’abord pasteurisé puis on y introduit le « Penicillium roqueforti », le champignon commun à tous les fromages persillés, du roquefort (lait de brebis) au stilton en passant par le bleu d’Auvergne. On laisse cailler chaque couche de lait successives. Le tout sera ensuite placé dans des moules puis salé et vieilli au frais. Durant le vieillissement, des trous sont pratiqués dans les formes afin de permettre à d’autres moisissures de se développer. Vieillis 80 jours, on obtient un gorgonzola doux et moelleux. Vieillis un an, on obtient le gorgonzola « piquant », plus sec et au gout très prononcé. Ces nouvelles techniques et la sélection des souches de moisissures ont permis d’augmenter la production, aujourd’hui l’Italie exporte plus de 20000 tonnes de Gorgonzola par an.
Outre le fait d’être consommé directement sur une belle tranche de pain, le gorgonzola fait partie intégrante de la cuisine lombarde. On le retrouve dans des risottos, dans les pâtes ou les pizzas aux « quatre fromages », accompagné de fruits secs comme les noix. Les gorgonzolas les plus affinés se marient à merveille avec les Barolo du Piémont ou des vins liquoreux comme le Moscato de Scanzo ou le Marsala. Dans toute la province de Bergame et de Brescia, le gorgonzola accompagne très souvent la polenta et les champignons. On peut aussi en faire une sauce pour des viandes comme des escalopes de veau. On pourra aussi faire dorer de la salade Trevi (genre d’endive rouge) ciselée dans une poêle, ajouter du gorgonzola doux, un peu d’eau et y mettre directement des gnocchis de pomme de terre. Le plat sera prêt quand les gnocchis seront tendres en veillant à rajouter un peu d’eau si nécessaire.
Pierre d’Her
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