Il est de bon ton de critiquer – ou de moquer – la gauche « de gouvernement ». Laissons quelques bons connaisseurs de la maison s’en charger. Aquilino Morelle, conseiller politique du président François Hollande (mai 2012 à avril 2014) : « La gauche sans le peuple ne sert plus à rien, n’est plus rien. Elle abandonne la lutte pour la justice sociale au profit des seules réformes de société. Au pouvoir, elle ne se bat plus, se contente de faire des sermons. La gauche sans le peuple, c’est le moralisme. » (L’Opium des élites, Grasset, septembre 2021). Le philosophe Jean-Claude Michéa creuse la question : « Toute la question est de savoir si le ralliement progressif – depuis maintenant plus de trente ans – de la gauche officielle (en France comme dans tous les autres pays occidentaux) au culte du marché concurrentiel, de la « compétitivité » internationale des entreprises et de la croissance illimitée (ainsi – bien sûr – qu’au libéralisme culturel qui en constitue simplement la face « morale » et psychologique) peut encore être raisonnablement interprétée comme un pur et simple accident de l’histoire. » (Les mystères de la gauche. De l’idéal des Lumières au triomphe du capitalisme absolu, Climats, mars 2013). Pascal Lamy, directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (2005-2013), fait une confidence : « Quand il s’agit de libéraliser, en France on ne peut pas compter sur la droite. La gauche devait libéraliser, parce que la droite ne l’aurait pas fait. » (Rawi Abdelal, Capital Rules. The Construction of Global Finance, Harvard University Press, Cambridge Massachusetts, MA/Londres, Grande-Bretagne, 2007). François Ruffin, député de Picardie, fait de la politique : « Pendant que les classes populaires se la prenaient droit dans la gueule, que la peur s’installait, pour leur boulot, leurs enfants, qu’a fait la gauche de gouvernement ? Jacques Delors, à la tête de la Commission européenne, a fait l’Acte unique, Maastricht… Le socialiste Pascal Lamy s’est retrouvé à l’Organisation mondiale du Commerce. La gauche de gouvernement a mené une politique qui a détruit le monde ouvrier, sa propre base sociale. J’ai assisté à ça en Picardie avec les délocalisations de Goodyear, Continental, Whirlpool… Même les chips Flodor ont quitté ma région ! » (L’Obs, 4 août, 2022). Périco Légasse, habituellement critique gastronomique, se reconvertit dans la politique : « Le génie de Jacques Attali aura été de trouver la façon dont la gauche pouvait se réconcilier avec l’argent tout en faisant croire qu’elle restait de gauche. S’il ne fut pas le seul acrobate de l’opération, le conseiller spécial de François Mitterrand en fut l’éminent dialecticien. D’autres, de DSK à Pierre Moscovici, en passant par Jérôme Cahuzac et Pascal Lamy, sans oublier François Hollande, se dévoueront aussi à la tâche. L’idée aura fait son chemin, connu des euphories, accepté tous les compromis, renié son peuple, engendré le « gilet jaune », jusqu’au 1,7 % d’Anne Hidalgo à la présidentielle de 2022… » (Marianne, 18 août 2022). Jacques Séguéla, le grand prêtre de la publicité dans les années 1980 (RSCG), fait dans le cynisme : « A l’instar de votre serviteur, Mitterrand avait le cœur à gauche et le portefeuille à droite. J’estime même qu’il a entraîné la gauche vers ce qui donnera plus tard le macronisme, un mouvement libéral ni de droite ni de gauche. » (Eléments, août-septembre 2022). La conclusion revient tout naturellement à Pascal Lamy qui renvoie le protectionnisme – « un concept réactionnaire » – au rayon des antiquités (Le Monde, samedi 31 août 2013).
Bernard Poignant aurait dû devenir « macroniste »
Heureusement qu’il y a un Breton, Bernard Poignant (PS), ancien maire de Quimper (1989-2001), ancien député de Quimper (1981-1986 et 1988-1993), ancien député européen (1999-2009), ancien conseiller du président François Hollande (2012-2017), pour remettre les pendules à l’heure. Et de belle manière. « La mondialisation est certes un défi, mais c’est aussi une nouvelle chance pour la France et l’Europe. Il faut être présent comme Pascal Lamy à l’OMC et peut-être Dominique Strauss-Kahn au FMI (…) Il convient, en outre, de dédiaboliser le mot « libéral ». L’extrême gauche a réussi son coup : faire passer ce mot totalement à droite. Pourtant sa racine emprunte à « liberté». Oui nous sommes des libéraux sur les plans politique et culturel (…) Nous sommes aussi des partisans de l’économie de marché, en ce sens des libéraux. » (Le Monde, jeudi 30 août 2007). Poignant persiste et signe : «J’attends des socialistes qu’ils respectent les engagements européens de la France et qu’ils acceptent l’économie ouverte dans le monde (…) Nous vivons dans un monde libéral et capitaliste. » (Ouest-France, 27-28 janvier 2018). La logique veut donc que ce fier libéral envisage des accords entre le Parti socialiste et la République en marche aux élections municipales de 2018. « Le PS et En marche doivent réfléchir à l’élaboration de listes communes dans certaines villes », estime-t-il, car « Le Parti socialiste est en survie. Une partie de la population estime qu’il n’apporte plus rien » (Ouest-France, Bretagne, jeudi 18 janvier 2018)
Bernard Morvan
Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2022, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine
Une réponse à “La gauche « de gouvernement », le libéralisme… et Bernard Poignant (PS)”
la gauche sans le peuple, mais ça fait depuis 1983 qu’elle nous a abandonné