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Marco Tarchi sur l’immigration en Italie : « Je suis très sceptique, concernant la possibilité d’appliquer le programme de la Lega, ou de celui de Fratelli d’Italia » [Interview]

Marco Tarchi est un politologue italien, auteur de nombreux ouvrages, professeur d’université à Florence. Il était autrefois le chef de file de la Nouvelle Droite italienne. Lionel Baland l’a interrogé pour Breizh-info à propos des élections législatives en Italie, prévues le 25 septembre 2022 et qui devraient être gagnées par la coalition de centre-droit, au sein de laquelle les deux partis patriotiques Frères d’Italie (Fratelli d’Italia), de Giorgia Meloni, et la Ligue (Lega), de Matteo Salvini, disposent ensemble d’un poids électoral considérable.

Marco Tarchi

Breizh-info.com : Lors des élections législatives du 25 septembre 2022, deux partis patriotiques seront présents au sein de la coalition de centre-droit : Fratelli d’Italia, de Giorgia Meloni, et la Lega, de Matteo Salvini. Quelles sont les différences et les points communs entre ces deux formations politiques ? Ces deux partis ont-ils des modes d’organisation et de fonctionnement différents ? Leurs implantations géographiques sont-elles divergentes ? Leurs électeurs sont-ils les mêmes ? Quelles sont leurs matrices idéologiques ? Comment deux partis politiques aux origines si différentes peuvent-ils être de nos jours aussi proches ? Giorgia Meloni et Matteo Salvini ont-ils des personnalités éloignées ? 

Marco Tarchi : Il n’est pas facile d’adapter la formule « parti patriotique » à la politique italienne actuelle. Des partis farouchement atlantistes, qui renouvellent chaque jour leur allégeance à la ligne stratégique des États-Unis, comme ceux qui composent la coalition de centre-droit, peuvent-ils être caractérisés par ces deux mots ? Je crois qu’il vaudrait mieux définir Fratelli d’Italia comme un parti souverainiste – même si, pour être vraiment souverain, un pays devrait éviter de se soumettre aux intérêts d’une superpuissance, quelle qu’elle soit … – et la Lega comme un parti populiste. Fratelli d’Italia est l’héritier d’Alleanza nazionale (Alliance nationale), laquelle était née en 1995 de l’auto-extinction du Movimento sociale italiano (Mouvement social italien). On pourrait en déduire – comme le font ses adversaires – qu’il s’agit de la énième réincarnation du néofascisme, mais en 2022 cette image ne prendrait pas en compte les évolutions que le scénario de la compétition politique a imposé à ses dirigeants. Au sein de Fratelli d’Italia, il y a des jeunes qui désirent – un peu en cachette – continuer à cultiver une admiration pour le fascisme, mais surtout des cadres pragmatiques qui affichent des croyances assez hétérogènes : il y a des conservateurs, des libéraux, des nationalistes, des étatistes jacobins, des traditionalistes catholiques, …

La Ligue, à cause de ses origines liées à une fracture socio-culturelle et territoriale – à l’époque de son fondateur Umberto Bossi, on en parlait comme du « syndicat du Nord productif » –, a gardé une certaine méfiance vis-à-vis de l’omnipuissance de l’État – contrairement à Fratelli d’Italia, qui a dans le Sud de la Péninsule, très lié à l’État-providence, ses bastions électoraux. Elle est plutôt attachée à la défense des PME et d’une économie libérale – flat tax, liberté absolue du marché, etc. –. Les deux partis partagent le même modèle d’organisation – présence de sections sur le terrain, qui disposent souvent d’un lieu de réunion, coordination des élus locaux, fédérations provinciales et régionales, structures dirigeantes aux différents niveaux : ville, région, centre, etc. – mais misent beaucoup sur les réseaux sociaux. Ils partagent le rejet de l’immigration et un certain euroscepticisme – pourtant plus marqué à la Lega – et plusieurs autres thèmes. Ce qui augmente, au lieu de l’amoindrir, leur concurrence. La personnalité très forte de leurs leaders ne fait que produire le même effet. Ce sont des concurrents autant, et même plus, que des alliés.

Breizh-info.com : Le Mouvement 5 étoiles de Giuseppe Conte a-t-il un côté patriotique ?  

Marco Tarchi : Non. Au début, il y avait en son sein une tendance populiste, prônée surtout par son fondateur Beppe Grillo, qui aurait pu évoluer en cette direction, mais, aujourd’hui, le seul représentant d’envergure de ce courant, l’ancien député Alessandro Di Battista, s’en est écarté, et la charge anti-système des origines a été complètement désamorcée.

Breizh-info.com : Les partis politiques anti-système – Mouvement 5 étoiles, Lega, Fratelli d’Italia – obtiennent des résultats très instables au fil des divers scrutins. Comment expliquez-vous cela ?  

Marco Tarchi : L’électorat anti-système est mû par des émotions, des passions, des réactions épidermiques, parfois primaires, plutôt que par des analyses froides et rationnelles. Il tend donc à tomber amoureux de tel ou tel leader – le cas de Beppe Grillo est un exemple parfait –, mouvement ou parti, et, s’il en est déçu, il se sent trahi et part à la recherche d’un nouveau pôle d’attraction, ou cesse de s’intéresser à la politique. Il y a sans doute une grande partie de potentiels électeurs anti-système parmi les abstentionnistes.

Breizh-info.com : Fratelli d’Italia, qui a connu une très forte croissance en peu d’années, dispose-t-il du nombre de cadres politiques suffisant afin d’exercer le pouvoir après les élections législatives ?   

Marco Tarchi : Ce n’est pas seulement une question de nombre ; c’est aussi et surtout un problème de qualité. Après l’accession au pouvoir, ses élus des conseils régionaux ou municipaux seront-ils à la hauteur des responsabilités des travaux parlementaires de la Chambre et du Sénat et, surtout, de celles du travail dans un ministère ? On se le demande un peu partout, et, pour l’instant, il n’y a pas de réponses fiables. C’est un pari.

Breizh-info.com : Le 8 août 2022, dans le quotidien La Repubblica, Alessandra Ziniti écrivait, sous le titre « À droite, conflit sur l’immigration : à nouveau proposées les idées recalées par les juges » : « Le blocus naval en Méditerranée souhaité par Giorgia Meloni est contraire au droit international qui le considère comme ‘’un acte de guerre unilatéral’’, tant et si bien que la leader de Fratelli d’Italia a essayé de se sortir de son faux pas en spécifiant qu’ ‘’arrêter le départ des embarcations, en accord avec les autorités nord-africaines, est la seule voie possible pour rétablir le respect des règles et mettre fin aux décès en mer’’. En somme, le blocus naval ne consisterait qu’en un accord avec les pays d’origine des migrants, pays avec lesquels il est déjà substantiellement impossible de signer des accords de rapatriement. Il reviendrait aux navires de la Marine nationale de mettre en œuvre le blocus, qui, selon le droit international et les conventions signées par notre pays, doit observer une obligation de secours en mer et une interdiction de refoulement. Quant à Matteo Salvini, il a perdu d’avance quand il promet de vouloir ‘’proposer à l’identique’’, d’ici deux mois, ses décrets ‘’Sécurité’’. Il oublie que ces derniers ont été démontés point par point par des mesures des magistratures civile, pénale et administrative qui ont réaffirmé l’obligation de sauver les naufragés, l’illégitimité de l’interdiction d’entrée aux navires des ONG dans les eaux italiennes, le caractère non-rétroactif de l’abolition de la protection humanitaire et le droit de tous les demandeurs d’asile de s’inscrire aux registres des communes italiennes. En outre, le recours aux amendes dissuasives, à hauteur de millions d’euros, infligées aux ONG pour la violation de l’interdiction d’accès aux eaux italiennes ne pourra plus être reproposé. » La coalition de centre-droit, si elle gagne les élections, pourra-t-elle appliquer son programme, ou sera-t-elle victime de blocages mis en place par le président de la République Sergio Mattarella – un démocrate-chrétien, homme de l’ancien système – ou par des juges ? 

Marco Tarchi : Il y a une question encore plus cruciale à se poser : « La coalition de centre-droit voudra-t-elle appliquer son programme en la matière ? »

Il ne faut pas oublier que, tout minoritaire qu’elle sera, la composante ‘modérée’ et libérale de la coalition – Forza Italia de Silvio Berlusconi, Noi con l’Italia, etc. – pourra exercer un conditionnement sur ses alliés. Et, au vu de ce qui est arrivé dans le passé, il est à craindre que dans plusieurs domaines, elle voudra chercher une entente avec les « modérés » du centre, et parfois même avec ceux du centre-gauche, plutôt que se lancer dans un bras-de-fer avec Mattarella ou l’Union Européenne sur un sujet comme l’immigration. Je suis très sceptique, en la matière, sur la possibilité de traduction du programme de la Lega, ou de celui de Fratelli d’Italia, en un plan de mesures concrètes. Le risque que tout reste de l’ordre de la rhétorique de campagne est très élevé.

Propos recueillis par Lionel Baland

Crédit photo : DR

[cc] Breizh-info.com, 2022, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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2 réponses à “Marco Tarchi sur l’immigration en Italie : « Je suis très sceptique, concernant la possibilité d’appliquer le programme de la Lega, ou de celui de Fratelli d’Italia » [Interview]”

  1. CREOFF dit :

    De nombreux pays, à l’instar de l’AUstralie, maitrisent les migrations, au regard des mêmes lois internationales. Empêcher l’arrivée dans les eaux territoriales est une première étape, le confinement dans un lieu fermé dissuasif est une seconde étape. Nos pays européens transforment le migrant en demandeur d’asile politique, et lui donne des droits et des ressources au dépends de la population. Arrêter cette pompe est la première étape. Il n’y a pas d’obligation à accepter sur son territoire des personnes qui y sont rentrées illégalement. Sinon, c’est la notion même de citoyenneté qui disparait. C’est probablement l’objectif réel.

  2. patphil dit :

    le programme de deux partis de droite n’est pas applicable  » mais celui des autres l’est ! ah bon! la principale motivation, interdire l’immigration ne peut pas être adopté si on ne le veut pas, mais si on veut, on peut, non?

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