Dans toute l’Irlande du Nord, ces 11 et 12 juillet 2022 ont attiré – après deux années de célébrations moindres voire inexistantes du fait des restrictions sanitaires – pas loin d’un demi-million de personnes, majoritairement des unionistes et des orangistes d’Irlande du Nord, mais aussi d’Écosse, d’Angleterre, d’Australie, du Pays de Galles, du Canada, venus célébrer leur culture, leur identité, leur tradition. Le 12 juillet, « The Twelfth », également appelé Glorious Twelfth ou Orangemen’s Day) est une fête qui a lieu en Ulster depuis la fin du 18e siècle.
Elle célèbre la Glorieuse Révolution (1688) et la victoire du roi protestant Guillaume d’Orange sur le Roi Catholique Jacques II à la bataille de la Boyne (1690), qui a assuré une ascendance protestante en Irlande. Nous étions pendant quelques jours en reportage sur place, à la rencontre de ces unionistes, de ces orangistes, de ces nord-irlandais pour qui l’attachement « à Dieu et à l’Ulster », mais aussi à la culture orangiste, et à l’union avec le Royaume-Uni, est viscéral, et largement méconnu notamment dans une Bretagne souvent bercée par une certaine sympathie confinant parfois au fantasme romantique au sujet de la cause républicaine irlandaise.
CraighyHill (Larne) et son bonfire de 60 m de haut
Dimanche 10 juillet 2022. Larne, au nord-est de Belfast (environ 40 minutes de route). Nous nous rendons dans le quartier de CraighyHill, qui surplombe le port de Larne, afin de découvrir le plus haut Bonfire (feu de joie) du monde, monté depuis des semaines avec des palettes, et mis en place grâce à la communauté unioniste locale, mais aussi grâce à des professionnels de la construction. Le résultat est impressionnant. Sa flambée, le onze juillet au soir lors de « Eleventh Night », le sera encore plus. Et le record du monde, officialisé, à plus de 60 mètres de hauteur. Les habitants du quartier sont d’ailleurs très fiers année après année, de battre ce record, qui n’est pas encore disputé par d’autres quartiers ou d’autres communes.
Ils sont néanmoins en deuil : à quelques centaines de mètres de là, à Antiville, autre quartier de Larne, un homme s’est tué, le 10 juillet, en tombant du Bonfire dont il aidait à la construction. Il avait une trentaine d’années et s’appelait John Steele. À la suite de son décès, retentissant, le bonfire a été détruit tôt le 11 juillet sur demande de la famille, et une cérémonie chargée d’émotion a eu lieu le 11 au soir.
The bonfire where John Steele fell from the top and died last night has been dismantled pic.twitter.com/o8woLa3Jr9
— Kevin Sharkey (@tv_KevinSharkey) July 10, 2022
Fausses polémiques en Ulster autour des bonfires ?
En ce onze juillet, c’est dans tous les bastions loyalistes/unionistes d’Irlande du Nord qu’ont été dressées des Bonfire, des tours de palette, plus ou moins hautes selon les endroits, pour célébrer la veille de ce qui s’apparente à la fête nationale orangiste. La France a ses feux d’artifice du 14 juillet, les unionistes ont leurs feux de joie du 11 juillet au soir. De véritables œuvres d’art et d’ingéniosité, qu’ont construites durant des semaines ces gamins des quartiers populaires aidés par les plus anciens des quartiers, chacun filant un coup de main, chacun veillant aussi, le soir, à ce que personne n’attaque ou ne détruise les réalisations (cette année, deux bonfires ont été attaqués au nord de Belfast par de jeunes républicains selon la presse nord-irlandaise, tandis que les autorités cherchent sans arrêt à en démanteler certains, faisant face à la fronde locale).
Des Bonfires qui cette année, notamment à Belfast, sont nettement moins hauts que d’autres années. Ou remplacés par des constructions jugées « plus écologiques » à brûler que des tas de palettes et d’immondices. Dans certains quartiers, ils ont tout simplement disparu. À Shankill, à l’ouest de Belfast, juste au-dessus du bastion républicain de Falls Road, hormis un tout petit à quelques pas du pub historique de l’UDA locale, The Diamond Jubilee, il n’y a rien. Il faut remonter jusque Woodwall Park pour en trouver un plus grand. La raison ? « Les autorités ont acheté la tranquillité auprès de certains responsables communautaires », nous indique un artisan du quartier. « Ils payent certaines associations, en échange de quoi, elles se débrouillent pour empêcher la construction de bonfire, afin d’éviter les troubles liés à la soirée du 11 ». Même son de cloche du côté de Carrickfergus, entre Larne et Belfast, où nous nous sommes rendus. Moins de Bonfire cette année. Mais néanmoins l’un d’entre eux qui fait depuis quelques jours l’objet de débat dans la presse locale : le soir du 11 juillet, des pantins à l’effigie de la présidente du Sinn Féin ont été pendus sur le grand Bonfire de la ville, et des affiches à l’effigie de candidats ou d’élus républicains ont été brûlées en même temps que la grande flambée une fois la nuit tombée. « Ils font la même chose en face en août, ils brûlent nos symboles. C’est le jeu » nous confie un jeune en train de monter des palettes selon un processus superbement organisé collectivement.
De quoi toutefois déclencher un scandale et des réactions en chaine, d’autant plus que, comme fréquemment, ces symboles, drapeaux et affiches républicains ont été brulés dans plusieurs bonfires d’Ulster. Néanmoins, pour avoir assister, sur Sandy Row, quartier loyaliste du cœur de Belfast, à la flambée, ces faits sont surtout ceux de gamins, plutôt très jeunes, la plupart mineurs, pour qui tout cela est un jeu, plus qu’un combat politique et vindicatif. Ce sont d’ailleurs eux, ces jeunes, qui mettent l’ambiance le soir venu, dans ce qui prendre rapidement la forme d’une rave party à ciel ouvert, très alcoolisée, mais sans incident notable à signaler. Si ce n’est que dans certains endroits, les bûchers sont dressés très (trop ?) proches d’habitations. Sur Sandy Row, les pompiers arrosent en continu les bâtiments jouxtant le bûcher, pour éviter tout risque d’incendie. Il fait une chaleur sensationnelle, la population chante The Sash à tue-tête, les habitants de ces quartiers populaires sont heureux, pour une fois, eux qui ont le sentiment croissant d’être abandonnés par les autorités et de voir leur ville totalement changer, sans que leurs quartiers eux, n’évoluent. Personne ne cherche l’incident, hormis quelques ivrognes, ou consommateurs de drogue, comme on en trouve aussi chez nous.
D’incident d’ailleurs entre communautés, et contrairement à d’autres années, plus proches des accords du Vendredi Saint, il n’y en aura pas en cette année 2022, hormis l’attaque évoquée plus haut d’un bonfire au nord de Belfast. Non pas que les tensions n’existent plus, mais d’une part, une partie des habitants de Belfast ont quitté la ville, qui semble très calme en cette semaine de célébrations. D’autre part, les autorités comme les communautés locales parviennent à canaliser les éventuelles tensions qui pourraient éclater.
Le 12 juillet des centaines de parades, le point d’orgue à Belfast
Alors que la soirée du 11 juillet s’est achevée, tard dans la nuit, voici que dans toute l’Irlande du Nord, mais essentiellement à Belfast, déboulent des « Flute Bands » venus d’Ulster, mais aussi d’Écosse. Tout ce petit monde converge, vers 11 h ce mardi, du côté de la maire de Belfast. Et se met en rang pour parader, toute la journée, dans Belfast. Des dizaines et des dizaines de groupes vont ainsi défiler, devant des centaines de milliers de personnes réunies dans les rues, dans la bonne humeur, pour célébrer la culture orangiste. De nombreux curieux et touristes assistent également à cette parade, qui descend tout d’abord vers le sud de Belfast, pour une première pause, aux alentours de 14-15h. Une pause rafraichissement bien méritée, pour ceux qui ont marché plusieurs kilomètres dans des tenues de gala, avec fifres, flûtes, tambours et cuivres, sous une température toutefois acceptable.
Tous les airs traditionnels des unionistes sont joués à l’occasion de la parade, qui reprend la route, direction le centre-ville, en fin d’après-midi, pour une sorte de match retour. Si en fin de matinée, des familles nombreuses, des anciens, des touristes, s’étaient massés avec le peuple sur le bord des routes, en cette fin d’après-midi, l’alcool a coulé à flots et c’est essentiellement la jeunesse qui se retrouve au bord des routes. L’arrivée de la parade à côté de Sandy Row est une folie. On se croirait dans l’Alpe d’Huez. Les spectateurs, fortement alcoolisés pour beaucoup, ouvrent la route aux membres des groupes qui paradent, dont certains semblent en trans. L’ambiance est indescriptible. Et cette année, les autorités ont interdit la « rave party » à ciel ouvert qui se déroule chaque 12 juillet dans Sandy Row. À la demande d’une partie des riverains, mais aussi des membres des centres sociaux et communautaires, qui n’apprécient pas qu’un rassemblement célébrant la culture et la tradition se transforme depuis plusieurs années en cour des miracles, dans un quartier qui a en fin de parade des allures de déchetterie à ciel ouvert (Sandrine Rousseau ferait sans doute une dépression nerveuse si elle assistait à cela).
Toute la journée, les sirènes de police et d’ambulance ont raisonné dans la ville. Essentiellement des états d’ivresse lourd, quelques bagarres aussi, comme dans la plupart des rassemblements aujourd’hui. Une attaque jugée « sectaire » également, lorsque dans une rue du sud Belfast, un habitant, arborant un drapeau de la République d’Irlande, jeta une chaise sur les membres d’une « Flute Band », qui réagirent en rentrant chez lui et en cassant une fenêtre avant l’intervention de la police.
https://www.youtube.com/watch?v=xEcNzIbjspg
Mais à partir de 19 h, c’est le calme plat en centre-ville de Belfast. Les commerces sont fermés, plus grand monde dans les rues, immondes. On peut blâmer pour cela le comportement des participants, qui se comportent comme des supporteurs britanniques lorsqu’ils déboulent hors de leur île, mais surtout la ville de Belfast. Aucune poubelle à disposition des badauds. Aucun urinoir monté dans les principales rues de la parade. Le résultat, très laid, n’est que la conséquence de cette inaction de la municipalité.
Quel avenir pour les unionistes d’Ulster ?
À la fin de ces journées, passées à échanger aux côtés des unionistes, orangistes, loyalistes, plusieurs sentiments. D’une part, celui d’un déclin social et économique visible. On est loin, très loin de l’image des « colons » protestants, propriétaires des lieux. Les quartiers de Shankill, Sandy Row, Tiger Bay, Newtonards, pour ne citer qu’eux, sont extrêmement pauvres. Ils n’ont rien à envier à la pauvreté qui se dégage de Falls Road, bastion républicain. Commerces qui ferment les uns après les autres, habitants qui nous évoquent une pauvreté de plus en plus importante et des difficultés, lourdes, pour boucler les fins de mois, c’est avant tout la première chose qu’il ressort de cette plongée chez ce peuple unioniste.
Par ailleurs, il y a aussi la sensation d’un déclin, démographique. Ils savent qu’ils font moins d’enfants que les catholiques d’Irlande du Nord. Ils savent que d’une certaine façon, leur sort pourrait être, demain, celui des Pieds Noirs en Algérie, alors même qu’ils sont installés en Ulster depuis bien plus longtemps que ne l’ont été les pieds noirs de l’autre côté de la Méditerranée. Ce sentiment de déclin, cette peur de voir une culture, une identité, un mode de vie disparaitre, combiné avec un marasme social très important, explique aussi, sans doute, une explosion des addictions, mais aussi des souffrances (les chiffres sur le suicide en Irlande du Nord sont important) que l’on retrouve aussi dans l’autre communauté importante d’Irlande du Nord, la communauté catholique.
« Nous n’avons pas le choix. Nous allons devoir continuer à trouver les solutions pour vivre ensemble » nous affirme Jack, habitant de Sandy Row. « Il faut simplement qu’ils respectent notre culture, nos traditions ». À Newtownards d’ailleurs, dans l’East Belfast, comme dans d’autres quartiers, les fresques guerrières disparaissent petit à petit, remplacées par d’autres, appelant à un autre futur, à un changement de cap, à des projets en commun (la boxe joue d’ailleurs un rôle dans la réconciliation entre communautés).
Le problème est qu’ils sont toujours très peu à envisager une Irlande réunifiée, y compris dans laquelle les partisans du Royaume-Uni auraient une large autonomie. Autonomie que d’ailleurs, les Républicains irlandais ne sont pas prêts à leur concéder. Pourtant, il suffit de regarder une carte électorale en Irlande du Nord pour s’apercevoir qu’y compris celle-ci est largement divisée, avec la plupart des terres républicaines à l’ouest, et les bastions unionistes au nord et à l’est, tournés vers l’Écosse et l’Angleterre. Entre ces deux Ulster, pas grand-chose à voir, si ce n’est qu’au fond, ils savent sans doute qu’ils sont « presque » les mêmes.
L’autocollant « Refugees Not Welcome », aperçu à plusieurs reprises dans certains pubs des quartiers loyalistes (alors qu’à l’inverse, des pubs républicains n’hésitent pas à s’afficher pro migrants), témoigne aussi de la prise de conscience de certains, qu’une autre menace pèse sur l’avenir de toute la population en Ulster. « Ils logent des migrants dans tous les hôtels de la ville, et les autorités payent cher les hôtels pour cela » nous indique un commerçant de Sandy Row, montrant du doigt l’hôtel Holiday Inn juste à côté. « Cela, on ne peut pas l’accepter, alors que dans le même temps, ils ne font rien pour rénover les quartiers populaires, où nous vivons ». À Shankill, on nous évoque Portadown, désormais « une des communes avec le plus d’immigrés » dans le pays en raison de la présence d’usines agroalimentaires. À Sandy Row, outre les deux pubs historiques du quartier (The Royal et le Sandy Row Rangers supporters club), la plupart des commerces sont fermés hormis un petit supermarché, un fish and chips d’où émane une odeur de graillon permanente, et une boutique de musique et de souvenirs unionistes. Signe des temps, les seules boutiques qui émergent sont un coiffeur tenu par des Africains, des boutiques chinoises… et un commerce halal.
De quoi envisager demain de reconsidérer, dans chacune des deux communautés majoritaires en Irlande du Nord, les priorités ? L’avenir des unionistes d’Ulster, souvent incompris à l’international, méprisés par la nouvelle classe dirigeante britannique, et de plus en plus déclassés dans leur propre pays, ne semble pas particulièrement radieux…
La devise No Surrender, pas de reddition, reste toutefois celle de tous les possibles…
YV
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