Avec 291 384 électeurs et 1.28 % des voix, les défenseurs des identités régionales n’ont pas renversé la table aux élections de juin dernier. Mais il faut prendre en compte que ce courant d’idées n’est présent que dans une minorité de territoires périphériques et que, là où il concourt, ses scores peuvent être mécaniquement beaucoup plus significatifs.
La Corse montre la voie
C’est évidemment le cas en Corse, où les différents courants nationalistes sont depuis quelques années la force dominante de l’île. Femu a Corsica (autonomiste) et son allié Parti de la nation corse sont à plus de 30 % au premier tour et remportent au second 3 sièges de députés sur 4. Corsica Libera (indépendantiste), présente dans deux circonscriptions, y obtient 7.38 et 17.99 % des voix, sans se qualifier au second tour. Les Corses sont en position de force pour négocier un statut d’autonomie avec Darmanin.
Les îles plus lointaines de l’Outre-Mer français sont un autre bastion historique du régionalisme, avec des situations souvent exotiques pour un métropolitain. A Tahiti par exemple, Tavini (« Servir ») remporte les 3 sièges en jeu. Le nom complet en tahitien de ce parti est « Servir le peuple autochtone » et sa devise est « Le Seigneur est mon berger ». Malgré ces principes aux antipodes du jacobinisme, la Nupes l’a intégré à sa coalition ! Dans les Antilles, à la Réunion et en Guyane, le corps électoral a également porté au parlement un cocktail de candidats soutenus par la Nupes et plus ou moins marxistes, régionalistes, autonomistes, et même indépendantistes en paroles. Mais ce même corps électoral a donné plus de 60 % à Marine Le Pen à la présidentielle. Comme si les peuples ultramarins n’accordaient à leurs tribuns locaux qu’une confiance limitée et misaient en dernier recours sur la grande patrie et son Etat pour les protéger. On trouve le même double vote en Corse.
La péninsule bretonne occupe incontestablement la troisième place du podium régionaliste. Des candidats gwenn ha du étaient présents dans 26 circonscriptions sur 27 en Bretagne administrative et dans 7 sur 10 en Loire-Atlantique. L’Union Démocratique Bretonne (gauche) confirme son statut de force autonomiste dominante, avec entre 1 et 2 % des suffrages dans 8 circonscriptions, entre 2 à 3 % dans 8 autres et plus de 3 % dans 5, Douarnenez donnant le meilleur score avec 4.76 %. L’UDB a cherché à donner un contenu concret au régionalisme : ses candidats ont proposé la création d’un statut de résident breton, une manière de lutter contre l’achat de résidences secondaires par des Parisiens, proposition illibérale qui a fait tousser tant le président du Conseil régional (socialiste) que le journal Le Télégramme (macroniste). Le Parti Breton (centriste) a fait un effort de présentation maximale de candidatures, avec des résultats plus faibles : dans 22 des 31 circonscriptions où il candidatait, il ne dépasse pas les 1 %. C’est la 3ème circonscription de Loire-Atlantique qui lui donne son meilleur score : 1.89 %. Enfin, il y a le cas Molac. Ce député sortant de la circonscription rurale de Ploërmel, proche de l’UDB, a écrasé ses concurrents Ensemble et Nupes : il réalise 37.65 % au premier tour et est réélu avec 73.43 % au second. Beau bras d’honneur à Macron, de la part des « ouvriers bretons illettrés de l’agro-alimentaire » !
Corses, Ultra-Marins et l’unique Breton seront, avec quelques centristes, la base du groupe charnière Libertés, Indépendants, Outre-Mer et Territoires à l’Assemblée nationale. Ils auront de quoi monnayer leur vote auprès d’un gouvernement minoritaire. Dans une confidence au Canard Enchaîné, un proche de Macron se dit prêt à travailler avec ce groupe et avec quelques individualités LR : « Tous, au moins, ne sont pas dans un blocage idéologique. Ce sera plus facile d’obtenir leurs votes. Ils coûteront moins cher qu’une mesure au niveau national. Cela se limitera à de l’arrosage de circonscriptions, soit quelques millions par an. A comparer aux dizaines de milliards que coûteraient les mesures proposées par LFI, le PS ou LR ». (Canard Enchaîné, 29/6/2022)
Au Pays-Basque, les abertzale (= la gauche patriote) réalisent aussi des scores flatteurs, mais sans s’imposer : EH-Bai fait respectivement 10.03, 8.95 et 14.55 % dans les 4ème, 5ème et 6ème circonscriptions des Pyrénées Atlantiques. Sans élus, ils resteront spectateurs des transformations rapides du Pays Basque, l’un des territoires les plus convoités au monde. L’EJ-PNB (centriste) ne présentait pas de candidats.
L’Alsace monte en puissance
L’Alsace se distingue au nord de la Loire par la puissance de son courant régionaliste « rot und wiss » et arrive en 5ème position du classement. La région a été englobée malgré elle dans le Grand Est par la gauche, avec la complicité du LR Jean Rottner : ces deux forces disparaissent presque totalement de la députation, au profit d’Ensemble. Les régionalistes d’Unser Land, présents dans les 15 circonscriptions alsaciennes, sont au-dessus de 4 % dans 9 d’entre elles. Leur plus gros score (8.82 %) est réalisé dans la région rurale et authentique de Wissembourg, le plus faible à Strasbourg (0.75 %), où l’identité alsacienne n’est plus qu’un souvenir. A noter aussi les bons scores du Mouvement écologiste indépendant d’Antoine Waechter, qui maintient le concept d’une écologie anti-jacobine.
Juste à côté, mais du côté parisien des Vosges, les collègues du Parti Lorrain sont plus à la peine. Ces alliés du Parti Breton n’ont pu présenter que 5 candidats pour 21 sièges, dans les circonscriptions les plus rurales. Seul un candidat dépasse les 1 %, avec un beau 2.19 %, à Saint Dié.
Pour continuer à trouver des régionalistes, il faut retraverser la Loire. Dans l’Allier, le Rassemblement Démocratique Bourbonnais réalise 1.47 % à Montluçon, en alertant sur les déserts médicaux qui s’étendent d’année en année dans ce département vieillissant.
Plus au sud, dynamique et peuplée, recevant de Paris beaucoup moins qu’elle ne contribue, la Savoie connait un certain renouveau régionaliste, qui demande le divorce avec la région AVRA. Sur les 10 circonscriptions en jeu, 6 avaient un candidat allobroge, et toujours à plus de 1%. Le Mouvement Région Savoie culmine avec un pic de 3.41 % à Bonneville ; Les Voix de Savoie (indépendantistes) reçoivent un écho avec 2.95 % à Chamonix.
Autre territoire montagnard, le Roussillon (Pyrénées Orientales, ou Catalogne Nord), aspire aussi à divorcer à l’amiable avec sa grande voisine, l’Occitanie. Oui au Pays Catalan a défendu cette idée dans 3 des 4 circonscriptions du département, avec des résultats allant de 2.57 % à 2.79 %. Unitat catalana, autonomiste et regardant du côté de Barcelone, a obtenu 2.06 % dans la circonscription de Perpignan.
Dans le reste de l’Occitanie, les régionalistes peinent à couvrir l’ensemble du territoire. Sur 45 circonscriptions (Occitanie administrative moins Pyrénées Orientales), seules 14 ont vu ainsi vu concourrir des occitanistes pur jus. Bastir Occitanie (ni droite ni gauche) a présenté 11 candidats et soutenaient 2 candidats écolos amis, avec des résultats allant de 0.32 à 3.03 %. Le Partit Occitan (gauche) a présenté 3 candidats en Occitanie administrative, plus 11 dans toutes les directions de la Grande Occitanie : Gascogne, Béarn, Limousin, Auvergne, Velay et Vivarais, mais pas au-delà du Rhône, avec des résultats presque toujours entre 1 et 2% . Le vrai phénomène marquant est la bonne tenue des candidats Résistons !, le parti ruraliste de centre-droit fondé par le Béarnais bilingue Jean Lassalle. Dans 4 circonscriptions, le candidat Résistons ! était soutenu par Occitanie Pais Nostre ou par le Parti national occitan (indépendantiste) avec des scores dépassant les 2%. Enfin, dans le Périgord, un candidat régionaliste RPS sans étiquette réalise 2.56 % (circonscription de Sarlat).
Les derniers de la classe régionaliste se trouvent incontestablement en Provence. Il y a là de doux fadas qui ont intitulé leur mouvement Oui à La Provence, ce qui donne le sigle OLP, une référence a priori décalée et pas forcément vendeuse. Dans la même ligne, les stratèges de l’OLP ont cherché le buzz en présentant à Marseille une femme voilée, en costume traditionnel marocain. Ce nouveau costume régional n’a pas emballé l’électeur moyen, puisque les 14 candidats OLP (sur 42 circonscriptions) sont presque tous en dessous de 1 %. A Bollène (Vaucluse), Oui La Provence obtient certes 1.49 %, mais est loin derrière les 41.01 % du candidat Ligue du Sud, organisation provençaliste soutenue par le RN. Provénço Nacioun (ni droite ni gauche) fait encore moins à Marseille, cas désespéré : 0.18 %.
La quasi-totalité de ces candidats aura travaillé pour la gloire, prêchant dans le désert pour revivifier des identités millénaires qui auront du mal passer le XXIème siècle. Paris a quand même prévu un lot de consolation : 1,64 euro par électeur et par an, pendant cinq ans, pour tous les partis ou coalitions de partis ayant obtenu au moins 1 % dans 50 circonscriptions. Les partis régionalistes se sont donc regroupés en alliances transrégionales. Régions et Peuples Solidaires (RPS) regroupe ceux de gauche ou acceptables par la gauche : Unser Land, UDB, Oui au Pays Catalan, Femu a Corsica, Parti national corse, Partit Occitan, EH Bai, Mouvement Région Savoie. La Fédération des Pays Unis (FPU) comprend Bastir Occitanie, le Parti National Occitan, le Parti Breton, le Parti Lorrain, le Parti Nationaliste Basque (ENJ-PNB) et Prouvènço Nacioun, c’est-à-dire tous les vilains petits canards que RPS n’a pas voulu intégrer. Au vu des résultats, les partis RPS devraient toucher un peu d’argent, mais pas ceux de la FPU.
A.T.
Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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Une réponse à “Elections législatives : retour sur les scores parfois significatifs des régionalistes”
quand les candidats sont connus pour leur honnêteté, ils sont suivis