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Ferenc Almássy (Viktor Orbán, douze ans au pouvoir) : « La Hongrie n’ayant pas de soft power, c’est une cible facile et bon marché pour nos propagandistes occidentaux » [Interview]

Véritable bête noire des institutions européennes et de ses partenaires d’Europe de l’Ouest depuis plus d’une décennie, Viktor Orbán mène une politique provoquant de violents remous dans la presse occidentale. Alors que le 31 mars, le Visegrád Post a fêté ses six années d’existence. son équipe vient de publier un livre fondamental pour comprendre la situation en Hongrie : « Viktor Orbán, douze ans au pouvoir » permet de comprendre la politique défendue par le Premier ministre hongrois, loin de la propagande Occidentale et/ou du clan Soros.

Pour évoquer ce travail majeur, nous avons interrogé  Ferenc Almássy qui dirige le Visegrad Post et a participé à la rédaction du livre tout comme  Olivier Bault, Yann Caspar, David Engels, Thibaud Gibelin, Nicolas de Lamberterie, Gábor Stier et Árpád Szakács.

Oban, « une politique souverainiste, résolument axée sur la défense des intérêts hongrois »

Breizh-info.com : Tout d’abord, quelles ont été les premières conséquences de la réélection de M. Orban en Hongrie ? Quelles vont être les principales mesures de sa nouvelle mandature ? Quels sont les grands chantiers qui se profilent à l’horizon ?

Ferenc Almássy : De nouvelles attaques des institutions européennes ! Ca peut paraître incroyable, mais nous en sommes là. Comme en 2018, un très suspicieux hasard de calendrier fait que moins de 48h après le résultat des élections, une nouvelle procédure sanctionnant la Hongrie est initiée. Cette fois-ci, c’est l’usine à gaz dudit mécanisme de conditionnalité pour la protection du budget de l’UE, sensé protéger l’état de droit, en tout cas tel que l’entend la très progressiste Commission européenne, qui est utilisé. En somme, la Hongrie ne respecterait pas l’état de droit – on attend toujours les preuves, et même, pour commencer, une définition dans les traités de l’état de droit… – et donc il faut la sanctionner. En vérité, il s’agit évidemment d’un abus juridique des technocrates bruxellois pour faire avancer un agenda politique contre la volonté des peuples et faisant fi de toute légitimité démocratique.

Il s’agit d’une politique souverainiste, résolument axée sur la défense des intérêts hongrois. Ainsi par exemple, Orbán a refusé de soutenir l’Ukraine, et cantonne l’aide de la Hongrie aux réfugiés ukrainiens – où en revanche la Hongrie est exemplaire. Orbán ne veut pas que, je cite, les Hongrois payent le prix de la guerre, d’une guerre qui n’est pas celle des Hongrois. Il vient d’ailleurs, mercredi 25 mai, après une modification de la constitution, de déclarer l’état d’urgence pour prendre des mesures économiques exceptionnelles afin de garantir la protection du portefeuille des foyers face à l’énorme crise économique qui commence. Les banques, assurances, multinationales, entreprises pharmaceutiques, les publicitaires, les compagnies aériennes ou encore le secteur de l’énergie vont subir une taxe exceptionnelle pour financer le maintien des bas tarifs énergétiques pour les foyers, mais aussi pour réarmer plus vite l’armée hongroise.

Breizh-info.com : Votre livre aborde les 12 années au pouvoir de M. Orban d’une manière particulière, puisque contrairement à toute la presse mainstream francophone, vous ne cherchez pas à les diaboliser. Comment expliquez-vous cette diabolisation en Occident ?

Ferenc Almássy : Ce que vous appelez manière particulière, je l’appelle journalisme analytique. Nous tentons tout simplement de faire notre travail honnêtement. Bien entendu, personne ne peut être parfaitement neutre et objectif dans l’analyse politique. Nous avons aussi nos biais, mais cela ne change rien à notre but : donner l’image la plus exacte possible au lecteur dans un ouvrage le plus synthétique possible.

Beaucoup de nos confrères en revanche agissent bien plus en militants qu’en analystes ou en journalistes – c’est pour la plupart des auteurs la motivation de leur engagement dans la voie du journalisme politique : chercher à rééquilibrer ce qui est apporté au grand public, car il y a trop de mensonges et de manipulations dans les médias dominants. Encore une fois, c’est normal d’avoir un avis sur une personnalité politique ou sur des mesures en particulier, et l’expression de cet avis dans la presse est légitime. Mais ce qu’on peut lire ou entendre va beaucoup plus loin, souvent, il y a des procès d’intentions, des mensonges, des traductions erronées, et la présentation d’une réalité alternative qui n’a pour but que de servir une narration motivée idéologiquement.

La Hongrie n’ayant pas de soft power, c’est une cible facile et bon marché pour nos propagandistes occidentaux. Notre équipe tente de faire un travail plus honnête. Nous expliquons ce qui selon nous sont des réussites d’Orbán, mais portons aussi des critiques lorsque nous jugeons cela légitime.

Breizh-info.com : Quelles ont été les principales mesures prises depuis douze ans, effectives et influentes sur la vie quotidienne des Hongrois, et ayant amené à sa réélection ?

Difficile de répondre à cette question de manière plus synthétique qu’avec notre livre de cent pages ! Vous avez déjà un premier élément de réponse avec ma plaisanterie : il y en a beaucoup.

Viktor Orbán a entrepris énormément de chantiers, ce qui a été rendu possible par une domination sans conteste du parlement… trois fois de suite (et c’est parti pour une quatrième fois). Cette légitimité démocratique et cette stabilité prévisible lui ont permis d’entreprendre des réformes sur des périodes plus longues qu’un seul mandat. Et des réformes en profondeur.

D’abord, il y a des changements d’ordre stratégique et souverainiste, comme la favorisation du capital hongrois dans des secteurs clefs pour qu’il redevienne majoritaire : médias et télécommunications, énergie, commerce de détail et secteur bancaire. Puis, une politique nataliste très volontariste qui a déjà servi plus de 150 000 familles. La mise en place d’une politique hostile à l’immigration clandestine et extraeuropéenne massive. Je pourrais encore citer la politique de l’emploi, qui a amené la Hongrie au plein emploi, ou bien la réforme de l’armée, mais aussi la doctrine diplomatique qui consiste à multiplier les partenariats avec des pays « non-alignés » pour diversifier les investissements et réduire la domination de l’Allemagne et des Etats-Unis…

« Viktor Orbán est détesté par une partie de l’opposition, car il y a une stratégie de la haine à gauche »

Breizh-info.com : Quelles sont les qualités humaines qui font la popularité de M. Orban ? On a trop souvent l’image en Occident d’un homme détesté par l’opposition hongroise. Mais il semblerait que cela soit un peu plus compliqué que cela non ?

Ferenc Almássy : Oui, Viktor Orbán est détesté par une partie de l’opposition, car il y a une stratégie de la haine à gauche. Mais cela convient à Viktor Orbán, qui sait que l’émotivité de la gauche peut être retournée contre elle, et la haine de ses opposants est utile pour mobiliser son électorat. C’est un joueur impitoyable qui, toujours dans le strict respect de la Loi bien entendu, ne donne laisse aucune chance à ses adversaires politiques. La lutte pour le contrôle de la narration médiatique est très marquée, et Orbán commence à prendre le dessus seulement maintenant.

C’est un « tueur » qui n’hésite pas à faire des attaques préventives, une méthode qu’il a récemment exposée comme clef de son succès : voyant ce que la gauche veut amener dans le débat public, il cherche à systématiquement prendre les devants pour attaquer le concept en question avant que les forces progressistes n’arrivent à déplacer la fenêtre d’Overton. Il sape donc au maximum les entreprises de modulation de l’opinion publique si chères à la gauche, rendant ainsi le progressisme des partis inopérants. Toutefois, il ne faut pas croire qu’il n’y a pas d’ombre au tableau, car pendant ce temps, le champ métapolitique est totalement laissé aux progressistes qui, notamment avec l’appui de leurs alliés occidentaux, dominent complètement le monde de la culture, mais aussi une bonne partie de l’éducation. Les films, séries et musiques faisant avancer l’agenda progressiste continuent d’inonder tous les écrans et d’envahir tous les cerveaux et Orbán semble complètement impuissant face à cela.

Du reste, il faut dire que Viktor Orbán n’est pas un populiste ordinaire : il est véritablement un homme du peuple. Son élévation n’a été possible que par son ambition et son intelligence politique. Il vient d’une famille pauvre de province et a eu une enfance tout sauf confortable. Cela parle à beaucoup de gens – aussi bien son origine très modeste que son succès social grâce à son travail. En province, Orbán jouit d’une grande aura pour cela, et aussi parce qu’il a mis fin au chômage, rehaussé les retraites et mis en place des programmes en faveur des familles, tout en développant et rénovant de plus en plus d’infrastructures en province.

Breizh-info.com : Il est dit en Occident que M. Orban contrôlerait la presse en Hongrie, ce qui faciliterait sa réélection. Est-ce vrai ? Quels sont les véritables réseaux d’influence construits par la droite hongroise ces dernières années dans le pays, et plus globalement, dans l’Europe de Visegrad ?

Ferenc Almássy : Pour faire court : non, ce n’est évidemment pas vrai du tout. Pour aller plus dans le détail : la guerre des médias est un des principaux combats d’Orbán et c’est un thème permanent de la démocratie hongroise – depuis le changement de régime, la question de l’indépendance de la presse se pose. Très vite, les médias se sont teintés de couleur rouge, la majorité des journalistes communistes ayant continué leur carrière, se reconvertissant en libéraux progressistes et en socialistes. Les médias étaient dominés par la gauche et cet hégémon semblait impossible à briser ou même à remettre en question.

Orbán, lors de son premier mandat de 98 à 2002, a tenté de renforcer des médias de droit, sans succès notable. En tout cas, cela n’aura pas suffit : il perd les élections de 2002 notamment parce que la gauche a utilisé son réseau médiatique bien plus puissant.

Renvoyé dans l’opposition, Orbán et les siens commencent à vouloir bâtir un vrai pôle médiatique pour disposer enfin des moyens de contrer la gauche. Il faudra plusieurs années et l’argent d’un homme d’affaires proche d’Orbán pour que quelques médias de droite commencent à prendre de l’importance. En 2010, Orbán est réélu de manière écrasante après un deuxième mandat social-libéral catastrophique. À partir de là, la guerre des médias prend une autre dimension. Orbán veut prendre le dessus dans les médias en profitant de son retour au pouvoir. Dès lors, en Hongrie, la politique et le monde des médias se scindent en deux et une lutte acharnée a lieu. Rachats de titres, renvois de journalistes considérés comme pro-Orbán ou anti-Orbán, articles ad hominem, … le climat est parfois délétère et la qualité des médias – comme ailleurs en Occident – chute en parallèle, rendant de plus en plus indigeste cette guerre de tranchée entre pro et anti.

Aujourd’hui, je dirais qu’Orbán a atteint une sorte d’équilibre – où chaque camp domine les médias favoris de ses cœurs de cibles sociologiques ; presse écrite et radio pour les pro-Orbán, TV et internet pour les anti –, et est potentiellement en passe de prendre enfin le dessus sur la gauche – après 12 ans au pouvoir, c’est dire le chemin qu’il y avait à parcourir. Une nouvelle génération de journalistes émerge, parmi lesquels beaucoup plus de conservateurs que de progressistes. Il est donc possible, avec l’appui financier des cercles proches du pouvoir, que la presse de droite prenne bientôt le dessus en Hongrie. Mais ce n’est pas acté pour le moment.

Par-delà les frontières hongroises, pas de soft power hongrois, sauf dans les communautés hongroises des pays voisins. Mais cela ne va pas très loin.

Le principal projet d’influence que la Hongrie a bâti ces dernières années, c’est le Matyas Corvinus Collegium (MCC), un organisme de formation et de recherche académique qui invite depuis quelques années de plus en plus de chercheurs, professeurs, auteurs, journalistes et politologues d’autres pays, notamment des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de France, d’Italie ou d’Espagne. Doté d’un budget gigantesque qui ferait saliver n’importe quelle école française du supérieur, le MCC connaît une croissance importante et rempli un rôle de pépinière pour les cercles pro-Orbán. Les jeunes talents de tout le pays y trouvent de l’aide, des bourses, des logements et des formations tout en construisant un réseau important, tant national que désormais international.

Nous parlons dans le livre plus en détail de cette guerre des médias et du MCC.

Breizh-info.com : Comment nos lecteurs peuvent-ils se procurer votre ouvrage ?

Ferenc Almássy : Vous pouvez nous contacter directement via notre adresse mail ([email protected]) ou bien passer par la Nouvelle Librairie (Paris et site internet), TV Libertés (boutique en ligne) ou encore la Librairie des Deux Cités (Nancy).

J’espère que cet ouvrage permettra à vos lecteurs, qu’ils découvrent le sujet ou qu’ils s’y intéressent déjà, de comprendre quelques éléments importants de la politique hongroise. Pourquoi parle-t-on tant de Viktor Orbán, quel intérêt pour les Français ? Quels sont les réussites et les échecs de la politique d’Orbán, et quelles sont les raisons de sa longévité ? Au nom de tous les auteurs, j’espère que notre ouvrage vous donnera les réponses à ces questions, sans pour autant vous noyer dans les détails.

Propos recueillis par YV

Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2022, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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Une réponse à “Ferenc Almássy (Viktor Orbán, douze ans au pouvoir) : « La Hongrie n’ayant pas de soft power, c’est une cible facile et bon marché pour nos propagandistes occidentaux » [Interview]”

  1. Marcel Texier dit :

    On comprend mieux les Hongrois quand on connaît un peu l’histoire particulièrement tragique de la Hongrie. Beaucoup de choses s’expliquent quand on sait, par exemple, que ce pays a gémi pendant 150 ans sous la botte ottomane. Cette effrayante période a laissé dans l’inconscient collectif du peuple hongrois un traumatisme indélébile.

    Qu’on en juge : le chapitre concernant cette période dans la monumentale, mais passionnante histoire de ce malheureux pays, intitulée « Les Hongrois », de Paul Landvai, annonce d’emblée la couleur avec le titre « L’accablant bilan de l’occupation turque ». Plus loin, on peut lire : »Tous les historiens sont d’accord sur le fait qu’avec leurs conséquences sur le plan démographique, ethnique, économique et social, les cent cinquante années de l’occupation turque représentent la plus grande catastrophe de l’histoire de leur pays ». Plus loin encore, on lit : « L’occupation turque vida de leur substance des régions entières de la Grande Plaine hongroise et de la Transylvanie ». Citant, un historien britannique A.C. MacCartney, l’auteur dit encore : « Si le système turc fut au mieux improductif, cruellement destructeur dans ses pires moments », il ajoute (citant encore MacCartney) :en dehors de quelques établissements de bains ou places fortes, les Turcs n’ont rien laissé à la Hongrie, mais ont ruiné ou condamné à un long dépérissement tout ce qu’ils y avaient trouvé ».

    De quoi faire réfléchir pour les naïfs Occidentaux…qui devraient tourner leur langue sept fois dans leur bouche avant de jeter la pierre aux Hongrois !

    Marcel Texier

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