Réalisé par Murnau en 1922, Nosferatu le vampire est l’un des grands chefs-d’œuvre du cinéma expressionniste allemand. Contrairement à ce que certains ont pu croire, il n’entretient aucun lien avec la montée du nazisme, mais révèle sans doute le traumatisme de la Grande guerre et de la grippe espagnole.
En 1838, dans le port nordique de Wisborg. Thomas Hutter (Gustav von Wangenheim), jeune agent immobilier, est heureux en mariage avec la belle Ellen (Greta Schröder). Sans se soucier des sombres pressentiments de celle-ci, il part pour la Transylvanie afin de vendre une résidence au comte Orlok (Max Schreck). Dans une taverne, la population locale lui révèle que le château du comte est possédé par des forces obscures. Il s’y rend néanmoins. Mais dès qu’il franchit le pont, des fantômes viennent à sa rencontre. Arrivé au château, il est accueilli par le sinistre comte. Pendant la négociation, Orlok aperçoit une gravure d’Ellen et décide d’acquérir le bâtiment proche de la maison du couple. A minuit, Hutter se coupe le doigt : « Du sang ! Votre précieux sang ! » s’exclame Orlok avant de lui sucer le doigt. La nuit, le comte prépare des cercueils pour emmener, à Wisborg, de la terre de Transylvanie. Hutter comprend alors la véritable nature de celui-ci : un vampire qui, la nuit, se nourrit du sang de ses victimes. Nosferatu, après un long voyage en mer au cours duquel il extermine tout l’équipage, répand dans la ville de Wisborg une épidémie de peste. Il prend possession de sa nouvelle maison, située en face de celle des Hutter. La nuit, il observe et convoite ainsi sa prochaine victime : Ellen. Ellen apprend que la seule façon de vaincre un vampire est de l’exposer à la lumière du soleil. Pour sauver la ville frappée par la peste et conjurer la malédiction, Ellen attire dans sa chambre le vampire et se sacrifie. Le lever du jour l’y surprend. Le vampire Nosferatu tombe en poussière…
Nosferatu le vampire (Nosferatu, eine Symphonie des Grauens) est un film muet fantastique allemand, réalisé par Friedrich Wilhelm Murnau, sorti le 4 mars 1922.
Le budget limité de ce film n’a pas permis d’acquérir les droits du roman Dracula de l’écrivain irlandais Bram Stoker, paru en 1897. Pourtant, le scénario d’Henrik Galeen s’en inspire fortement, tout en prenant plusieurs libertés : l’action se passe dans la ville imaginaire de Wisborg (au lieu de Londres), les noms des personnages sont modifiés par rapport au roman, Dracula devenant notamment le comte Orlok (Nosferatu). Il ajoute à l’œuvre originale une idée qui marquera le mythe de Dracula : la lumière du jour peut tuer le vampire. Le film Nosferatu le vampire fait alors l’objet d’un procès intenté par la veuve de l’écrivain. En 1925, un jugement exige la destruction de toutes les copies illicites. Mais plusieurs subsistent aux États-Unis et en France.
Nosferatu a été filmé dans des décors réels, ce qui était rare à l’époque. Le tournage a lieu en Slovaquie, dans les Carpathes, pour les scènes censées se dérouler en Transylvanie. Le château d’Orava sert de décor pour celui du comte Orlok. L’interprétation est inégale. On peut regretter que Gustav Von Wangenheim joue Hutter avec un enthousiasme frisant le ridicule. Greta Schröder est plus convaincante lorsqu’elle montre Ellen résignée à se sacrifier. Un siècle après la sortie du film, l’acteur Max Schreck continue de marquer les esprits. Longiligne et rigide, de longs doigts crochus, le visage pâle et effrayant, le crâne chauve, d’épais sourcils, le regard obnubilé, il campe un vampire particulièrement horrifique. Le vampire de Murnau est différent du personnage de Dracula représenté dans les adaptations postérieures, notamment celle de 1931 dans laquelle Bela Lugosi incarne un vampire mystérieux et raffiné.
L’expressionnisme se manifeste dans Nosferatu par les gros plans oppressants et les jeux d’ombres et de lumières, ainsi que par les teintes utilisées par Murnau pour colorer la pellicule, donnant l’illusion d’une alternance jour/nuit. La bande sonore, composée par Hans Erdmann, accentue encore la tension dramatique.
Le jeu de l’acteur Max Schreck et l’expressionnisme font de ce film l’un des grands chefs-d’œuvre du cinéma muet. Ainsi, selon Jacques Lourcelles, il s’agit de « l’un des cinq ou six films essentiels de l’histoire du cinéma, et sans doute le film muet capital… Nosferatu est avant tout un poème métaphysique dans lequel les forces de la mort ont vocation – une vocation inexorable – d’attirer à elles, d’aspirer, d’absorber les forces de vie » (Jacques Lourcelles, Dictionnaire du cinéma, Éditions Robert Laffont, 1992). Murnau montre ainsi le mal à l’état pur, Nosferatu vivant dans les ténèbres et semant la peste derrière lui. Certes, ce film n’est pas pour l’époque d’un esprit conservateur puisqu’il dénué de toute connotation religieuse. Mais le sacrifice d’Ellen pour éradiquer le mal s’inscrit dans ce courant.
Plusieurs historiens du cinéma ont cru pouvoir faire un lien entre ce film terrifiant de la période de Weimar et la montée du nazisme. Dans son essai De Caligari à Hitler : Une histoire psychologique du cinéma allemand (1947), Siegfried Kracauer tente de démontrer que Nosferatu, en montrant l’attirance d’Ellen pour le vampire, a favorisé l’avènement d’Hitler en Allemagne ! Anton Kaes voit même « des motifs antisémites » dans les images de rats répandant la peste ou encore du fait que Nosferatu vient d’Europe de l’Est, comme les « juifs de l’Est » migrants à la fin du XIXe siècle ! Bardèche et Brasillach voient dans l’essai de Siegfried Kracauer « une étrange volonté de déformation politique des faits » (Bardèche et Brasillach, Histoire du cinéma). En effet, ce film datant de 1922, il s’agit simplement d’une allégorie sur les peurs collectives provoquées par les traumatismes passés : la Première Guerre mondiale et les épidémies de l’Europe fin XIXe et début XXe, comme la grippe espagnole (426 000 morts en Allemagne).
Kristol Séhec.
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