Aet eo an Tad Blanchard d’an Anaon. L’abbé Marcel Blanchard, connu dans le monde bretonnant et bien au-delà, est décédé, dans sa 99ème année et dans la 75e année de son sacerdoce.
Dans la soirée du dimanche 1er mai durant lequel se déroulait à Sainte-Anne d’Auray le Pèlerinage des bretonnants, l’abbé Blanchard – qui terminait ses jours dans la maison de retraite St Joachim à deux pas de la basilique – a rendu son âme à Dieu. Nous tentons de brosser ici son portrait, même s’il manque certainement des éléments.
De Lanester à Quistinic
Originaire de Gourin, né en 1923, il a été ordonné prêtre en 1947 par Mgr Bellec, évêque de Vannes. Il fit son service militaire au 48ème régiment d’infanterie de Guigamp, où il rencontra des Bretons venus de toute la Bretagne, gallos et bretonnants de tous dialectes et où il forma son apostolat plein de gaieté.
Après le séminaire, il eut confirmation par des gars de partout en Basse-Bretagne que l’on pouvait aussi bien parler Français que Breton. Ce qui confirmait ses lectures de l’abbé Perrot et de Roparzh Hemon qu’il tint toujours en grande vénération.
Un vicaire à la tête de la Kerlenn Pondi
Alors dispensé du ministère paroissial de par son statut de vicaire-instituteur, il approfondit ses connaissances en musiques et créa une saine émulation entre sa chorale de Locmiquélic et celle de Plouhinec dirigée par son ancien condisciple l’abbé Le Dorze qui avait eu l’adoubement du Bleun Brug. Deux visions différentes du chant breton qui l’ont fécondé jusqu’à nos jours, deux penn-kalet en pleine jeunesse en charge du chant de la jeunesse dans deux paroisses voisines où le clergé foisonnait alors.
Dans tous les cas, ce fut un temps d’apprentissage intense pour l’abbé Blanchard qui bientôt relèvera d’autres défis pastoraux et musicaux. Et surtout le temps de faire sienne la langue bretonne qu’il trouva particulièrement délicieuse dans ce coin charnière du Haut et du Bas-Vannetais, lui qui pourtant était à long terme, sans traumatisme stupide ni inutile, partisan de l’unification progressive de l’orthographe et des dialectes. Et il ne mentait pas quand il disait être à la fois partisan de l’approche de Roparz Hémon, de l’abbé Perrot, de l’abbé P.Le Goff, de Roperh er Mason et de tant d’autres, tout en tant étant partisan d’un breton authentique d’inspiration populaire.
Six ans après, en 1953, il est nommé vicaire à Pontivy. En plus de sa paroisse, il est chargé par l’évêque de la Kerlenn Pondi dont il devient le directeur. Les sonneurs actuels savent-ils ce qu’ils doivent à l’abbé Blanchard ? Sans aucun doute, puisque comme l’affirme la Kerlenn :
« Lezel a ra d’ar rummadoú àr e lec’h disoc’h ur labour, don ha spis diar dañsoú ha tonioú ar vro (il laisse aux générations qui lui succèdent le résultat d’un travail extrêmement riche et précis) ».
Romain Sponnagel, ancien directeur de la Kerlenn et aujourd’hui chargé du Label Coop Breizh Musik, note que « non seulement la Kerlenn mais la musique populaire lui doivent de nombreuses évolutions comme le saut dans la Dañs Pourlet, le retour d’une nouvelle danse – les fest a gren – qu’il dénomma « Laridé-Gavotte » recréée à partir de quelques collectages, le premier bagad-cercle, le premier air ou l’un des premiers airs asymétriques en bagad en 1969 pour mieux correspondre à la monodie collectée, le lien direct de la tradition populaire à la scène qui est toujours un marqueur important de la Kerlenn Pondi et qui a permis a redorer notre culture « interdite » ou mise de coté à l’école et dans les médias français puis de renouer avec la langue bretonne à l’échelle du territoire, et enfin la popularisation bombarde et orgue avec le célèbre couple Jegat / Yhuel dont il fût l’inspirateur et aussi à la direction artistique ».
C’est enfin en 1971 qu’il est nommé recteur à Quistinic, paroisse d’où il fera rayonner la culture bretonne mais aussi cette alchimie alliant français, latin et breton, des offices où la liturgie était belle et enracinée, permettant à de nombreuses familles de cultiver leur attachement à l’expression en breton de la foi, familles qui s’investiront dans l’Eglise et dans le monde culturel breton, jusqu’à aujourd’hui.
Un curé de campagne exorciste
Il aimait à se dire « curé de campagne », appréciant son état de vie, sa paroisse qu’il dirigeait au spirituel comme au temporel, ayant exigé avoir un statut de recteur comme avant Vatican II : il gérait les biens de la paroisse en direct, via une association ad hoc.
Il a par ailleurs eu la charge d’exorciste du diocèse de Vannes pendant de très longues années. à une époque où le clergé rechignait à parler du diable, lui en parlait de manière très libre et décomplexée que ce soit en chaire comme à la télévision. Son premier contact d’exorciste ne manquait d’ailleurs pas de saveur : « Chère madame, avant de me téléphoner, avez-vous pensé à téléphoner à Jésus et à la sainte Vierge ? – Comment fait-on M. L’abbé ? -C’est très simple, il suffit de dire son chapelet, de se confesser et d’aller à la messe. Si le démon continue à vous embêter après cela, rappelez-moi. »
De « Mater Ecclesiae » à « Fidélité Catholique » en passant par Kristenion Breizh
L’abbé Marcel Blanchard sera aussi cheville ouvrière, avec l’abbé Joachim Le Palud -recteur de Kervignac et aumônier de ce qu’il restait du Bleun Brug Bro Guéned – et des laïcs, de Kristenion Breizh, mouvement chrétien breton dont les réunions se poursuivront jusqu’en 1993. Une publication baptisée Bleun Brug Bro Guéned – Kristenion Breizh sera alors éditée. Il accompagnera beaucoup de jeunes sur les chemins du sacerdoce et de la vie religieuse.
Ces deux prêtres seront aussi derrière une publication qui « se voulait être, contre vents et marées, un flambeau de la Fidélité Catholique d’un groupe de catholiques du diocèse de Vannes… ». Cette lettre mensuelle (à laquelle nous avions consacré un article) visait à expliquer le positionnement de l’Eglise au regard des textes du magistère avec cette herméneutique de continuité qui sera rappelée plus tard par le Pape Benoît XVI. Cette lettre, publiée d’abord sous le nom de « Mater Ecclesiae » puis sous le nom de « Fidélité Catholique », fera grand bruit dans le landerneau ecclésial. Car presque tous les prêtres du Diocèse de Vannes la recevront, certains y éprouvant un certain intérêt et d’autres contribuant à son classement vertical automatique. En tous les cas, aucun n’y sera insensible : soit on était pour, soit on était contre.
Le militant breton
L’abbé Blanchard fut à l’origine du mouvement « Beleion Breizh » qui avait rassemblé plus de 100 signatures de prêtres pour la libération des trois prêtres emprisonnés à l’occasion du premier Front de Libération de la Bretagne. Il fut aussi, nous l’avons dit plus haut, l’animateur de l’association « Kristenion Breizh » avec Paol Kalvez et Youenn Olier.
Il célèbrera très longtemps, autant qu’il le pût, la messe à la mémoire de l’abbé Perrot et des militants de la cause bretonne à Koad Kev le lundi de Pâques. Il avait réussi à apprendre suffisamment de breton vannetais pour prêcher et en breton standard aussi.
Spécialiste de la musique bretonne
À Pontivy, il a développé la musique et la danse bretonne. « Mon esprit fureteur et chercheur m’a fait découvrir les grandeurs de la musique et de la danse bretonne. Celles-ci m’ont émerveillé. Je suis devenu un spécialiste en les étudiant et en les développant. Mon but étant de les partager avec les autres », explique l’abbé Blanchard qui a largement participé au succès de la Kerlenn Pondi. Une anecdote : pour inaugurer une de ses nouvelles chorégraphies du laridé-gavotte, il enlevait sa soutane sur scène et était vêtu en-dessous du costume « moutons-blancs » de Pontivy.
À la même période, le bagad Sant-Ewan de Bubry l’a aussi sollicité pour lancer son groupe. Il accompagna aussi de ses conseils le groupe des Kistinidiz ou encore le couple bombarde / orgue formé par Jean-Claude Jégat et Louis Ihuel.
Peu d’écrits du recteur breton – aujourd’hui décédé – sont accessibles à ce jour au grand public, mais il a pourtant énormément oeuvré dans le domaine culturel et spirituel breton. Malgré nos demandes, il n’aura pas reçu le Collier de l’Hermine qu’il aurait amplement mérité, mais beaucoup connaissent l’héritage qu’ils doivent au recteur. C’est pourquoi Ar Gedour avait mis en ligne une série d’interviews sonores de l’abbé Blanchard que vous pouvez retrouver ici.
Beauté de la messe
En quarante ans sur la paroisse, l’Abbé Blanchard s’est attelé à apporter une beauté exceptionnelle à ses célébrations, de la liturgie elle-même à tout ce qui peut l’entourer. Dans ce but, il a formé lui-même de nombreux organistes mais aussi la chorale qui accompagne la messe en polyphonie. Tout cela en breton, français et latin, un équilibre linguistique dans lequel beaucoup se retrouvaient. « La fusion des voix est la base », ajoute-t-il en connaisseur. Cette attention à la beauté de la liturgie en touchera plus d’un.
Connaissant depuis l’enfance une bonne partie des Gedourion ar Mintin (groupe d’évangélisation par la culture bretonne et l’adoration eucharistique créé en 2000), et connaissant même certains de leurs parents depuis longtemps, il en a accompagné dans leur vie de foi, dès le baptême. Il est lui aussi, mine de rien, à l’origine de ce qui rassemble les Gedourion… et du site Ar Gedour. C’est donc avec joie que nous pouvons ici lui rendre hommage pour tout ce qu’il a apporté au niveau de la liturgie et de la Foi pour l’Eglise en Bretagne. Quistinic, ce petit patelin perdu, est devenu ainsi un exemple de ce que peut être l’Eglise ancrée dans la culture locale, et sur l’implication que chaque Breton peut avoir dans la vie spirituelle et culturelle du pays. Prions pour que son travail puisse perdurer et au-delà, montrer le chemin à d’autres paroisses.
Evit ho puhez, trugarez vraz deoc’h Aotrou Blanchard !
Sur la messe de Requiem et les derniers hommages à l’abbé Blanchard le 5 mai à Sainte-Anne d’Auray :
La messe de Requiem et les derniers hommages à l’abbé Blanchard
Source : Ar Gedour
Crédit photo : H. Bourreau / JM Poirot via argedour.bzh DR
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