Dans cet entre-deux impossible à éviter, un regard de vieux sur le temps passé ne peut que réjouir les pauvres humain(e)s. Il y a bientôt cinquante ans (le 29 juin), Robert, Jean-François, Joseph, Pascal Lapointe, nous quittait momentanément, victime de cette saloperie de cancer. C’était un mathématicien hors pair, créateur, bien plus tard, de la « numération Bibi »… Ne me demandez pas, je suis nul en informatique et en math’s.

A vingt ans, comme il était de la « classe 42 », il ne coupa pas au départ pour le STO… Ce qui advint l’année suivante, 1943, quand ce corps d’élite fut expatrié de la France gauloise et wisigothe par Sauckel, le 1er janvier de cette fameuse année. Il y en avait qui travaillait déjà pour le Reich, notamment dans l’aviation, chez Messerschmitt, à Augsbourg, comme on dit en français. La différence avec Lapointe, c’est que celui-ci se « débina » très vite et pris le large dans les landes et maquis de sa région natale (le très beau Languedoc). Il se nommait alors « Robert Foulcan »… et ce « fou-le-camp » se fit scaphandrier sur le port de la Ciotat décidant qu’une rencontre avec la « maman des poissons » lui serait préférable aux lugubres tronches de la Milice et de la Gestapo lancées à sa recherche…

Arrive 1946 et la fin des tourments (enfin pas pour tout le monde), le voilà partant pour Paris avec femme et enfants… Il entre dans la layette ce qui le change des mathématiques mais le met sur la paille. Alors il profite de sa haute taille pour devenir (Wikipédia) « installateur d’antennes de télé ». Il s’est mis à écrire des choses chantables où se mêlent calembours, jeux de mots (laids) et contreprétries (intraduisibles pour les zenfants)…

Il lui faudra attendre 1954 pour commencer à percer le plafond de verre… C’est « Aragon et Castille » qui le fait monter d’un cran, grâce à Bourvil et Gilles Grangier (excusez du peu !). Mais en pleine liturgie coco-existentialiste, ce n’est pas un avantage de se lancer dans la « digression » et la « paronymie » — qui est, nous dit la grammaire : « un rapport lexical entre deux mots dont le sens diffère mais dont la graphie ou la prononciation sont très proches, de sorte qu’ils peuvent être confondus à la lecture ou à l’audition »… M’en suis-je bien sorti ?

François Truffaut, dans « Tirez sur le pianiste », lui offre un « show » avec ses chansons « Framboise » et « Marcelle » : « Elle s’appelait Françoise /Mais on l’appelait Framboise / Une idée de l’adjudant / Qui en avait très peu, pourtant, des idées… » M’sieur Braunberger, le producteur, ne comprend pas les paroles… alors il fait mettre un sous-titrage au film, à moins de retirer la séquence… Hi hi hi ! Boby Lapointe devient « le chanteur sous-titré » à partir de 1960…

C’est parti pour une première gloire. La pochette de disque fait un tabac : Lapointe vautré dans l’herbe vêtu d’une marinière « française », la rayée bleu, chère à ce diable de Montebourg… qui devient à la mode au-delà des abeilles de Saône-et-Loire. Une petite fille de mes amis de Prague apprend le français grâce à Boby (avec le tchèque en langue maternelle, c’est fastoche)… Bref, si l’armée rouge n’y avait pas mis le holà, toute la Bohème aurait attrapé « une Angevine de poitrine ».

1972, Boby Lapointe a soudain cinquante ans. Le voilà qui disparaît à la grande satisfaction de ceux qui n’entendent rien à la « paronymie » et prennent la poésie de Pézenas pour une manifestation de l’esprit autonomiste des naturels de la région du « gros qui tache »… Le 29 juin 2022, ça fera un demi-siècle que je vais chantant « Le papa du papa de mon papa ». Mes respects aux descendants d’Aimé Dépêche et d’Amélie Vite…

MORASSE

Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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